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Catégories : L'économie

La maladie de l'euro fou

Publié le 14/10/2010 à 18:14 Le Point

 

la hausse de l'euro depuis le printemps 2010 est une arme de destruction massive de la croissance et de l'emploi.

Nicolas Baverez

L'euro s'affirme, contre toute raison économique, comme la devise la plus fortedu monde en cette fin 2010. Au printemps, sous l'effet de la crise des dettes souveraines, il avait baissé jusqu'à 1,18 dollar et sa survie même était mise en doute par la divergence des économies et la faiblesse de la gouvernance de la zone. Il atteint aujourd'hui 1,40 dollar, soit une hausse de plus de 15 %, alors même que la croissance est limitée à 1,8 %, que le taux de chômage s'installe au-delà de 10 %, que la dette publique s'élève à 84 % du PIB et que plusieurs pays européens sont au bord de la banqueroute : la Grèce, le Portugal, l'Irlande - cette dernière affichant un déficit de 32 % du PIB.

La surévaluation de plus de 20 % de l'eurone s'explique que par la stratégie suicidaire de la Banque centrale européenne. La BCE est seule au monde à lutter contre l'inflation et à refuser toute forme de gestion du change quand le péril est la déflation. Aux Etats-Unis, face à une reprise qui patine et à un chômage de 9,8 % qui atteint sa plus forte intensité depuis 1948, la Fed, conformément à la stratégie de lutte contre la déflation définie dès 2002 par Ben Bernanke, relance les mesures quantitatives d'expansion monétaire et recourt à la dévaluation compétitive du dollar, qui a perdu plus de 10 % de sa valeur en quelques mois. La Chine, afin de se donner le temps de basculer son modèle vers la demande intérieure, défend la stabilité du yuan, sous-évalué de plus de 40 %. Le Japon, avec une politique de taux zéro couplée au rachat de 5 000 milliards de dollars d'actifs financiers, le Brésil, via son fonds souverain, et jusqu'à la Suisse multiplient les interventions sur le marché des changes pour enrayer la hausse de leurs monnaies.

La zone euro est devenue la variable d'ajustementde la reprise et de la reconfiguration des échanges et des paiements mondiaux. Dans un environnement déflationniste et au moment où la concurrence internationale ne cesse de se renforcer, la surévaluation de la monnaie est un péril fatal. La hausse de l'euro depuis le printemps 2010 représente une perte de quatre à cinq ans de gains de productivité pour l'Europe et de deux à trois ans de marges pour son industrie. Elle est une arme de destruction massive de la croissance et de l'emploi : ses effets dépressifs, qui s'ajoutent à ceux de la rigueur budgétaire, confortent le surendettement et accroissent les risques de défaut des entreprises comme des Etats. Elle amplifie les divergences entre les membres de la zone euro tout en fragilisant le système bancaire via les défauts en chaîne qu'elle provoque.

La guerre des monnaies représente un risque majeur pour la sortie de crise : l'encourager est irresponsable, mais l'ignorer est mortel. La perte de confiance dans la monnaie et sa chute en vrille constituent l'un des risques inhérents à la dégradation du bilan des banques centrales, séquelle des interventions keynésiennes mises en place pour endiguer le choc déflationniste de 2008. Il doit être géré, au même titre que l'explosion des dettes publiques. Les dévaluations compétitives, notamment de la part des Etats-Unis, créent de nouvelles menaces. Elles favorisent la hausse des matières premières, notamment du pétrole, dont le cours est déjà remonté au-delà de 80 dollars le baril. Surtout, elles ouvrent la voie au protectionnisme et à la spirale des représailles commerciales. En témoigne le projet de loi adopté par la Chambre des représentants qui autorise l'institution de droits de douane spécifiques en cas de pratiques commerciales déloyales, ce qui a justifié la menace immédiate de rétorsions de la part des autorités chinoises.

L'expansion désordonnée des marchés des changessouligne les limites des réformes engagées depuis 2008. Celle du système monétaire international, que la France entend placer au coeur de sa présidence du G20, est aussi nécessaire qu'incertaine. La France s'oppose à la volonté des Etats-Unis de conserver le monopole du dollar comme monnaie internationale, à la stratégie de la Chine qui vise à ralentir l'internationalisation du yuan, au ralliement d'une majorité d'Européens à la position allemande, aux intérêts de la City et de Wall Street, enfin. Elle ne peut donc avancer qu'à deux conditions. La crédibilité qui passe par la remise en ordre de ses finances et une stratégie cohérente de redressement de son économie. Des propositions réalistes et la recherche patiente de compromis. Un nouveau Bretton Woods est hors de portée. Un accord raisonnable, mêlant la libéralisation par étape de la politique de change des pays émergents, le refus réaffirmé du protectionnisme, la surveillance coordonnée des marchés des devises, l'élargissement des pouvoirs et la réforme de la gouvernance du FMI, reste possible et marquerait un net progrès

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