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Catégories : Des expositions

Jean-Léon Gérôme, l'anti-Monet

Par Eric Bietry-Rivierre
21/10/2010 | Mise à jour : 18:29

Pollice Verso (1872   Phoenix Art Museum)
Pollice Verso (1872 Phoenix Art Museum)

Le Musée d'Orsay met en évidence la modernité paradoxale de ce peintre ultra-académique. Une rétrospective drôle et haute en couleurs.

Pour sa peinture léchée, Baudelaire l'avait hissé au rang de «premier des pointus». Dans la foulée, Zola l'avait habillé pour l'hiver. «Ici le sujet est tout, la peinture n'est rien: la reproduction vaut mieux que l'œuvre.» Cette carbonisation devait durer un siècle. Monsieur le peintre à rosette Jean-Léon Gérôme (1824-1904), académicien professeur, artiste parmi les mieux payés de son temps, ayant aggravé son cas en insultant Manet et en estimant que les impressionnistes déshonoraient la France.

Aujourd'hui le revoilà tel un capitaine des pompiers émergeant de cendres. Il est accroché en majesté (impériale) au Musée d'Orsay. Les murs vert notaire, bleu Iznik ou rouge pompéien donnent le ton: irrésistiblement kitsch. Devant les toiles, les rires jaillissent aussi nombreux que les figurants peuplant ces très grands spectacles. Voici de fausses esclaves nues qui jouent les saintes-nitouches sous le regard de bachi-bouzouks ou d'héliastes égrillards. Voici des prostituées grecques qui se tordent comme des odalisques ingresques, déportées dans un lupanar de Pompéi. Autre ménagerie incongrue: un tigre s'étale dans l'Alhambra et quantité de fauves en peluche bouffent du chrétien dans les arènes. Lorsqu'ils sont en cage, ils reniflent un Amour atterri là le zizi à l'air.

Bonaparte en Égypte joue les touristes à dos de chameau ou songe évidemment à Œdipe quand il découvre le Sphinx. De leur côté les coureurs d'Herculanum sprintent sous les remparts… du Caire ! Plus loin, c'est Versailles qui nous est conté. Louis XIV reçoit Molière dans un décor louis-philippard. Un saint Jean-Baptiste fait des poutounes au petit Jésus sur les genoux d'une Vierge plus bêtasse que raphaélite. Un Anacréon s'est costumé en Assurancetourix.

On peut s'amuser sans fin à compter ces citations, amalgames et invraisemblances: malgré ces hilarants collages, Gérôme n'annonce pas le surréalisme. C'est un peintre résolument réactionnaire. Quand même ses pairs le trouvent too much, il se lâche. Peint dans une enseigne pour opticien un fox-terrier à monocle qui repose sur le jeu de mot facile «o pti chien». Ou multiplie les cages à oiseaux dans ses compositions histoire de faire causer les muets. Mais ce n'est pas du dadaïsme, ni même du zutisme.

Durant toute sa carrière Gérôme a tenté de revivifier la peinture d'histoire. Son truc: n'en considérer que l'anecdote choc. On mesure combien il s'est fourvoyé. «Le grand genre meurt avec lui, c'est le dernier des raconteurs en peinture», estime Laurence des Cars, commissaire avec Dominique de Font-Réaux et Édouard Papet.

Un lit de têtes coupées

L'exposition a déjà été présentée à Los Angeles où l'artiste plaît depuis toujours en dépit de son ridicule. Des collectionneurs, tels Sean Connery ou Jack Nicholson, ont le sens de l'humour. Surtout, ils apprécient son côté hollywoodien. À ce propos, l'exposition rapproche les toiles les plus antiquisantes avec les grands péplums. Griffith, Cecil B. DeMille ou encore Ridley Scott ainsi que toute l'heroic fantasy de série B seraient redevables à l'art pompier. Il est vrai que Tamerlan à cheval au-dessus d'un lit de têtes coupées fait songer à Conan le Barbare. Et que Ben Hur n'est jamais loin des jeux du cirque décrits avec un soin sadique par Gérôme. Si celui-ci avait vécu plus vieux, nul doute qu'il aurait adoré le cinéma. Il supervisait déjà les reproductions photographiques, gravées ou même sculptées de ses œuvres.

Le bilan de cette rétrospective? «Ce n'est ni une réhabilitation ni un plaidoyer» , se défendent les commissaires. À leur tête, Guy Cogeval, grand amateur, est moins affirmatif. Il fait valoir une «modernité paradoxale». On s'en convaincra surtout devant Consummatum est, une toile scandaleusement profane puisqu'elle montre la Crucifixion uniquement par les ombres des trois martyrs souffrant sur le Golgotha. Ou devant Le 7 décembre 1815, neuf heures du matin. L'exécution du maréchal Ney, quand ce dernier des héros napoléoniens gît face dans la boue. Ici aussi la messe est dite. Un monde a vécu.

«Jean-Léon Gérôme, l'histoire en spectacle», jusqu'au 23 janvier. Musée d'Orsay, 1, rue de la Légion-d'Honneur, 75007 Paris. Catalogue Musée/Skira-Flammarion, 384 p., 49 €. Tél.: 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

 

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