Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Lu dans la presse:Cette horrible langue française...
LE MONDE DES LIVRES | 02.12.10 | 11h28 • Mis à jour le 02.12.10 | 11h28
A l'en croire, Nietzsche préférait lire Schopenhauer en français. N'était-ce pas "la langue maternelle du bon sens et de l'intelligibilité universelle", comme l'affirmait en 1854 Heine, l'un des plus grands poètes allemands ? Mais on aurait tort de croire que notre belle langue n'a eu droit qu'à des éloges. C'est à tous les réquisitoires prononcés contre elle depuis trois siècles que Gilles Philippe, professeur de stylistique française à l'université Paris III-Sorbonne nouvelle, consacre un livre original et admirablement documenté (Le Français, dernière des langues, Presses universitaires de France, 306 p., 21 €).
Les premiers coups sérieux lui sont portés au début du XVIIIe siècle, alors qu'elle domine l'Europe. Et ils ne viennent pas de l'étranger ! Fénelon ouvre le bal en 1714, formulant une triple critique qui ne cessera d'être reprise par la suite : la langue française manque de mots, de rythme et de souplesse. On la juge très inférieure au grec et au latin, en attendant de la comparer à l'anglais ( plus riche), à l'allemand (plus poétique), à l'italien (plus mélodieux)... Une seule qualité lui est reconnue : la clarté. Mais même cela cache des défauts. "La langue française exige beaucoup de clarté, précisément parce qu'elle en possède peu", estime William Cobbett (1810), qui appartient, il est vrai, à la perfide Albion.
La pauvreté du vocabulaire est dénoncée par La Bruyère : alors que le grec offre mille nuances pour exprimer une idée, le français n'a souvent à sa disposition qu'un seul mot ; pour éviter la répétition, il est condamné à la périphrase. On tentera de démontrer cette pauvreté présumée par des comparaisons statistiques douteuses avec d'autres langues vivantes. Persuadés de manquer de mots, des intellectuels en fabriqueront à la pelle dans les années 1860 à 1880, par des néologismes ou des emprunts à l'étranger.
Deuxième critique : le français est monotone, il manque de cadence. Un reproche que Gilles Philippe traduit par une jolie formule, sans la reprendre à son compte : "En français, toutes les syllabes naissent et meurent égales en droit." Cette faiblesse rythmique ferait de lui la "plus impoétique" des langues d'Europe (Leopardi, 1823). Victime de sa précision et de sa clarté, il serait impropre à l'indéfini et au flou, donc à la poésie. Même Lamartine, connu pour son lyrisme, abondait dans ce sens, jugeant les mots français "secs, précis, décolorés, comme des chiffres".
Cette pauvre langue est enfin accusée de rigidité. Elle paraît engoncée dans ses règles, encombrée de mots "vides", sans contenu sémantique (articles, auxiliaires...). Une langue poudrée, portant perruque. L'ordre des mots dans la phrase (sujet, verbe, complément, adjectif...) ne correspondrait pas à l'ordre affectif des sensations. "Ce que je fais n'est que la conséquence et la consécution de ce que je suis, constatait Roland Barthes. Par sa structure même, la langue implique une relation fatale d'aliénation."
Comment expliquer alors que de si beaux textes aient été écrits en français ? Eh bien, justement, en raison de ces limites ! Les grands auteurs, contraints d'inventer une autre langue dans la langue, auraient fait de l'or avec du plomb. Ouais...
Robert Solé
http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/12/02/cette-horrible-langue-francaise_1447780_3260.html