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Catégories : Des anniversaires, Genet Jean

Jean Genet, un centenaire tourmenté

couvsue.jpgML n°503 | dossier | Jean Genet

Jean Genet est entré dans la littérature française par effraction : de la prison de Fresnes, il fit s’échapper, comme un cri, une liberté de ton nouvelle - non seulement inédite, mais d’abord intolérable, inaudible. Réductible à rien de ce que l’on connaissait jusqu’alors, nourrie d’érotisme homosexuel et chargée de la violence de toute une époque, son écriture semblait surgie des profondeurs refoulées où la littérature ne s’était pas aventurée depuis Sade. Puis, subitement, sans attendre le long mûrissement du génie incompris qu’il se croyait peut-être destiné à devenir, Jean Genet fut encensé, porté aux nues, joué, et presque immédiatement étudié, décortiqué, voire sanctifié. Comment le jeune écrivain et dramaturge, apôtre de la trahison, pouvait-il réagir face aux déferlantes simultanées d’éloges et d’injures ? Il tenta autant qu’il put, contre le jeu social, contre ses succès et contre ses tumultes, de défendre les exigences créatrices qui étaient les siennes. Et il voulut dicter souverainement ses propres règles, ne cessant de les changer en cours de route. C’est ainsi qu’il y eut, et qu’il y a encore, plusieurs Genet. L’écrivain se fit comédien d’une pièce dont il voulait déjouer les auteurs, ce qui lui permit de déployer, envers et malgré tout, une oeuvre polymorphe.

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Aujourd’hui, cent ans après sa naissance, commence un nouveau régime d’existence pour l’oeuvre. Alors que se dissipe l’aura de l’homme, disparu en 1986, les textes reprennent la première place. Ses romans, ses pièces de théâtre, ses recueils de poèmes et ses essais critiques ont paradoxalement été quelque temps occultés par le personnage que Jean Genet avait fini par incarner. En cela, la figure de l’intellectuel qu’avait définie Sartre a beaucoup desservi son protégé. Le philosophe semble lui avoir transmis sa propre posture comme un virus - et Genet, qui pouvait prendre celle-là comme beaucoup d’autres, a en partie succombé aux sirènes existentialistes. En partie seulement ! Car il resta toujours un écrivain lyrique, et ses textes les plus engagés visent surtout, à travers la défense d’une cause ou d’une autre, à retrouver le chemin de la grotte d’Orphée - cet « espace littéraire » qu’a si bien décrit un autre militant politique, Maurice Blanchot.

La grande découverte de Genet est que cette grotte où résonnent les mots, comme autant d’éléments d’un rite sacrificiel, n’est peut-être rien d’autre que ce que l’on appelle, d’un nom absurdement univoque, « l’individu » - humanité peuplée de mille êtres, monstres, anges et même demi-mesures. « Pour le moment, une action théâtrale - pour moi, et pour ce moment où j’écris - ne doit pas avoir lieu sur une scène mais en moi », écrit-il à Roger Blin, à propos des Nègres. C’est dire que les pièces de Genet, autant que ses romans, ouvrent sur un domaine tout intérieur. Les enjeux politiques ou sociaux n’y sont présents que sous la chair, incarnés comme des ongles par des fantômes qui habitent l’écrivain longtemps avant de prendre la forme de personnages. Cette densité-là, qui permet au « message » d’une oeuvre de se diffracter en plusieurs dimensions, nous en avons presque perdu le souvenir. C’est en ce sens que relire Genet, c’est regagner les profondeurs .

 

 

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