Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Jules Renard (5e)
Jules Renard est né le 22 février 1864 à Châlons-du-Maine (Mayenne) où son père, entrepreneur de travaux pour le chemin de fer, s'était provisoirement installé. C'est le cadet de trois enfants. Sa soeur Amélie est née en 1859 et son frère Maurice en 1862. A l'époque de sa naissance, ses parents, François Renard et Anne-Rosa Colin, ne s'entendent définitivement plus et sa venue n'a pas été souhaitée.
Lorsque Jules Renard a deux ans, sa famille s'installe à Chitry-les-Mines, dans la Nièvre, village d'origine de son père et dont ils deviendront maire tous les deux.
André-Paul Antoine décrit ainsi les membres de la famille Renard :
« Grand chasseur, taciturne, bourru, se consolant d'un mariage mal assorti par des aventures prudentes sous couleur de veiller à ses affaires, François Renard ressemblait trait pour trait à M. Lepic. Quant à Mme François Renard, son fils ne se cachait nullement de l'avoir portée toute vive sur la scène et dans les Cloportes. Jules Renard s'était toujours mal entendu avec son frère aîné Maurice, nonchalant, assez égoïste, qui n'aimait véritablement que son village de Chitry et mourut beaucoup plus tard d'une angine de poitrine qui le terrassa dans son bureau. Par contre, pendant toute son engance, Jules Renard partagea avec sa soeur Amélie une tendre affection. C'est elle qui lui envoyait à Paris, quand il y vint faire ses études, de menus subsides et des cadeaux utiles. Amélie avait épousé un négociant en rubans de Saint-Etienne et ravitaillait le jeune homme en cravates. Elle était sa confidente. Très pieuse, elle ne le comprenait pas très bien, mais l'aimait. Quant à sa mère, Jules Renard en a laissé dans Poil de Carotte, dans les Cloportes et dans la Bigote, un portrait certainement retouché mais féroce. Au cours des répétitions de Poil de Carotte, il avait alors trente-six ans, il avouait que personne le l'impressionnait encore autant qu'elle. Et l'espèce de haine que Jules Renard lui vouait semblait en grande partie justifiée. Les yeux brillants, la voix dure, Anne-Rosa Renard était d'une volubilité presque maladive. Aigre, fantasque, exagérée, elle sombrait tout à coup dans des crises de larmes incompréhensibles. Elle exaspérait tout le monde. Elle n'aima jamais Jules Renard, dont elle avait certainement gâché l'enfance, provoquant chez lui un réflexe de contradiction mentale et de défense qui le marqua à jamais. »
André-Paul Antoine, Antoine père et fils, cité in Jules Renard, vu par ses contemporains, Association des Amis de Jules Renard
« C'était un grand garçon roux, solide, au front bombé, à la physionomie originale et fine, aux yeux aigus, mais taciturne et peu enclin aux confidences. Il m'empruntait, avec un soin constant, les livres profanes que j'apportais du dehors, mais il me les rendait sans mot dire. Comme un coeur trompé que l'expérience a rendu méfiant, il décourageait les approches. Déjà, il m'intriguait par son mystère. »
Ernest Raynaud - La mêlée symboliste (1900-1910)
Il obtient le baccalauréat mais n'a aucune envie de rentrer à Chitry et reste à Paris, où il vit d'une pension que lui fait son père. C'est une période difficile, ponctuée de difficultés financières et de nombreux appels à l'aide à son père, son frère, et sa soeur qui vit à Saint-Etienne avec son mari. Il espère un temps décrocher une place aux Chemins de fer de l'Est et multiplie en vain les démarches pour y parvenir. Finalement, il va travailler quelques mois à la Société de magasinage et de crédit, et comme precepteur des trois fils du romancier Auguste Lion.
« Le baccalauréat obtenu, Renard resta à Paris sous couleur de se préparer à l'Ecole normale. Il occupait une chambre garnie, rue Jean-Lantier. Il vivait chichement d'une maigre rente de son père, qui dirigeait une entreprise de travaux publics, dans la Nièvre et présidait, comme maire, aux destinées de son village. M. Renard père venait quelquefois à Paris. C'était un homme simple, à la belle barbe blanche, comme on en voit aux portraits de Garibaldi, et qui donnait l'impression de la vigueur. Il parlait peu. Je l'ai vu demeurer des heures entières au milieu de la société la plus animée, sans ouvrir la bouche. Il se contentait de fumer sa pipe, les yeux repliés en lui-même. Il devait finir tragiquement. Son commerce déclinant, il diminua, et, je crois bien, suspendit tout à fait la rente de son fils. Jules Renard accepta, pour vivre, une place de comptable chez un charbonnier en gros, rue Vivienne, mais il n'entendait rien à la comptabilité (du moins à ce qu'il avouait), et finit par quitter cet emploi, dénué d'agrément. »
Ernest Raynaud - La mêlée symboliste (1900-1910)
Durant cette époque, il lit beaucoup et commence à fréquenter le monde des lettres. Il se lie avec Danièle Davyle, pensionnaire de la Comédie-Française, qui récite son poème Les Roses dans les salons et les théâtres.
Il fait connaissance avec le couple Galbrun, les Vernet de l'Ecornifleur et part avec eux en vacances à Barfleur, à charge pour lui d'écrire un livre sur l'ameublement.
Il publie ses poèmes à compte d'auteur sans le moindre succès. Crime de village, recueil de nouvelles, ne trouve pas d'éditeur.
Il commence la rédaction de son journal et de son roman Les Cloportes, qui ne sera publié qu'en 1919. On y fait connaissance de l'agréable famille Lérin, qui est une répétition générale avant l'entrée en scène des Lepic.
Le 4 novembre 1885, il part faire une année de service militaire à Bourges, elle aussi ponctuée de problèmes financiers.
« En 1888, Jules Renard fit un mariage d'amour qui lui apportait en même temps quelque aisance. Les deux époux s'installèrent rue du Rocher. C'était un spectacle touchant que celui de leur tendresse. Mme Renard, jeune - elle avait à peine seize ans, - intelligente, vertueuse, agréable, enveloppait son mari d'une affection vigilante. Elle paraît les chose de sa grâce enjouée et saine. Renard demeura fidèle et rangé. Dès qu'on entrait, on se sentait baigné d'une atmosphère tranquille. Une vertu pacifiante fleurissait autour de la lampe. Cette intimité bourgeoise avait son charme et reposait des intérieurs d'artistes, ordinairement traversés de fracas et d'orages. On en emportait une impression de bonheur. »
Ernest Raynaud - La mêlée symboliste (1900-1910)
Crime de village, dédié à son père, paraît à compte d'auteur.
En 1889, naissance de son fils Jean-François (Fantec).
Cette année-là, il participe à la fondation du Mercure de France, revue littéraire dont il est le principal actionnaire. Il y publie des critiques et une partie des textes qui seront regroupés dans Sourires pincés (1890). Le cercle de ses relations s'élargit et il commence à avoir ses entrées dans le monde de la presse.
Il entreprend en 1890 la rédaction de L'Ecornifleur et publie Sourires pincés et Les Petites Bruyères. Il sort beaucoup, fréquente les théâtres et les banquets littéraires, malgré le peu de goût qu'il manifeste dans son Journal pour "le monde", et il se lie avec plusieurs auteurs dont Alphonse Allais, Marcel Schwob, Alfred Capus, Courteline, les Goncourt, Alphonse Daudet.
En 1892, publication de L'Ecornifleur. Le roman est bien accueilli par la critique et permet à son auteur d'enfin se faire connaître. Il écrit au Gil Blas, au Figaro, à l'Echo de Paris, et au Journal.
Naissance de sa fille Julie-Marie (Baïe).
Coquecigrues et La Lanterne sourde paraissent en 1893 et confirment sa réputation. Il rencontre Tristan Bernard, qui restera son ami sa vie durant.
Il est élu à la Société des gens de lettres en 1894 et publie Le Vigneron dans sa vigne (qui sera complété en 1901) et Poil de Carotte.
L'année suivante, sa première pièce, La Demande, écrite avec Georges Docquois, est jouée à Boulogne. Il s'agit d'une pièce en un acte tirée de la nouvelle publiée dans Sourires pincés. Publication par le Gil Blas de X..., roman impromptu, écrit avec Georges Auriol, Tristan Bernard, Courteline et Pierre Veber, dont chacun a écrit un chapitre à tour de rôle.
Il a du mal à se faire accepter par des gens qui l'ont connu enfant, mais y progresse petit à petit, grandement aidé en cela par sa femme :
« Tout petit, je passais pour une mauvaise tête. Il faut maintenant que, dans mon cher pays, je me fasse une réputation de bonté. »
« La pauvreté. C'est ma femme qui est bonne. Moi, j'ai du plaisir à m'envelopper d'épines. On s'y trompe. Le curé dit : « Le diable a épousé un ange ». Cela fait l'affaire de mon goût pour l'ironie et des pauvres. Ils acceptent mieux ce que leur donne ma femme, parce qu'ils s'imaginent qu'elle donne à mon insu. Ils ont l'air de me faire une bonne farce. « Ce n'est pas lui qui nous donnera ! » disent-ils. Et ils tendent la main sans pudeur. Ils se vengent de ma dureté. L'aumône qu'ils acceptent est un peu volée. »
Journal
Dans son village et tout autour, il prend des notes sur tout et tout le monde. Rien n'est trop petit ni trop insignifiant pour receler de l'intérêt. Il regarde, il écoute, et rend par de merveilleuses petites touches la vie des hommes et de la nature. Il est soucieux de vérité, de trouver le mot juste, la phrase concise qui laissera à son sujet toute sa poésie... ou son manque de poésie (« Il faut aimer la nature et les hommes malgré la boue », « Vieille ferme, murs qui suent du sang noir de fumier. »).
« Sans aucune aide, sans éclairage théâtral ni lanterne magique, mais en plein jour, et en n'osant que de petits mots biens simples, il s'approchait des fleurs les plus fragiles ou de la plus insaisissable des alouettes, et il cueillait le parfun de l'une, ou prenait au filet la chanson de l'autre... et nous recevions cela tout frais de la Nièvre, un beau matin. Il y ajoutait un sourire, quelquefois. »
« Il veut la vérité. Sans rechercher la poésie mais en la laissant se dégager elle-même de ses phrases qu'il épure autant qu'il est possible. Il les ponce, il les polit, il ne les lâche pas tant qu'elles n'ont pas exprimé le plus en disant le moins. »
Marcel Boulenger, Opinions choisies, cité in Jules Renard, vu par ses contemporains, Association des Amis de Jules Renard
Le Plaisir de rompre est joué pour la première fois en 97, par Jeanne Granier et Henry Mayer, et remporte un vif succès.
Cette année-là, son père, malade, se tue d'un coup de fusil. Ce suicide l'impressionne énormément : « Je serais un coupable et un sot si je ne savais pas dégager de cette mort la belle leçon qu'elle nous donne. » « Je ne peux plus lire. Que vaut la plus belle des phrases après une belle action ? » « J'ai déjà la peur de ne jamais avoir le courage de faire comme mon père. »
Il engage le couple Chalumeau (Philippe et Ragotte dans son oeuvre) pour l'entretien de la maison de famille, qu'occupe sa mère, et de la Gloriette.
1898, l'affaire Dreyfus. Jules Renard s'indigne de la condamnation de Zola. Il exprime longuement sa colère et son écoeurement dans son journal et publie dans Le Cri de Paris des Chroniquettes, textes non signés.
Le 14 mars, Le Pain de ménage est joué par Marthe Brandès et Lucien Guitry : c'est un succès.
Il publie les Bucoliques.
Il fait une conférence sur Michelet à Chaumot.
En 1899, publication des Histoires naturelles illustrées par Toulouse-Lautrec.
Le pain de ménage est joué au Théâtre des Mathurins.
Il fait une conférence sur Molière à Corbigny.
Décès de son frère, d'une angine de poitrine. Il écrit à Tristan Bernard : « Je pleure parce que nous nous sommes bien mal aimés ».
Il est élu conseiller municipal à Chaumot et demande à Léon Blum de lui indiquer « un livre pratique où je m'instruirais dans mes nouvelles fonctions » et « une édition claire des codes. »
Il est (enfin) nommé chevalier de la légion d'honneur, ce qu'il attendait impatiemment et dont il est très fier. Il va pouvoir commencer à pester contre sa croix, qui l'encombre et qui le fait remarquer à son corps défendant, mais il ne paraît jamais avoir l'idée de la mettre tout simplement dans sa poche avec son mouchoir par-dessus.
Il publie une édition augmentée du Vigneron dans sa vigne.
Il fait la connaissance de Jean Jaurès.
La première de Poil de carotte au Théâtre-Antoine est un triomphe. Le Plaisir de rompre est reçu à la Comédie Française. Le Gymnase reprend Le Pain de ménage.
Il fait une conférence à Chaumot sur Victor Hugo.
Il commence à écrire une série de chroniques dans l'Echo de Clamecy, hebdomadaire républicain. « Je ne désire pas, selon l'expression usitée, faire de la politique, je désire faire de la morale , je dirai à ceux qui voudront bien me lire : Voilà ce qui se passe à la mairie, à l'école, voilà quelle est la vie publique de notre petit pays, qu'en pensez-vous ? ».
En 1903, première de Monsieur Vernet, adaptation de L'écornifleur. La pièce est bien accueillie par le public, moins bien par la presse.
Il fait à Clamecy une conférence sur le rire et une sur Molière, qu'il répète à Cosne-sur-Loire.
En 1904, parution du premier numéro de l'Humanité et il y participe en publiant La Vieille. Il collaborera à l'Humanité tout au long de cette année 1904.
« On traitait, comme il le mérite, Poil de Carotte. Ca devenait une élection littéraire. Me confier des enfants, à moi ! »
« On parle, avec mystère et perfidie, d'une certaine personne de ma famille qui n'oserait avouer ni son nom, ni son emploi. Qu'est-ce que ça signifie ? L'un des miens tiendrait-il une maison ?
D'ailleurs mon père exploitait ses ouvriers, ce qui explique pourquoi je suis si riche et si avare.
Sur un papier rouge semé la nuit, dans les cours, sous les portes, je lis : « Les paysans sont des imbéciles. On ne peut rien leur faire comprendre ! Paroles de Jules Renard à une interview de l'Echo de Paris. »
« Que d'insultes ! Et le conseil de me faire baptiser au sécateur est une des plus propres. »
Pour lui, ce qui importe plus que tout, c'est la lutte contre contre l'ignorance, qui maintient les paysans dans des conditions pénibles qu'ils supportent avec résignation. Cela l'amènera à se battre contre le clergé local, qu'il accuse de ne rien faire pour améliorer la situation des paysans mais plutôt d'en tirer parti pour conserver son influence dans les campagnes.
« Je donnerai des conseils, des conseils républicains, à la commune. N'importe qui, mieux que moi, établirait un budget ou réparerait un chemin. Mon rôle sera d'expliquer et de faire aimer la République. Je dirai, aux plus attardés, que la République ne vole ni ne brûle personne ».
Il fera agrandir les bâtiments de l'école, construire un préau et instaurera la gratuité des fournitures scolaires.
Il donne une conférence au banquet de l'Amicale des instituteurs de la Nièvre, sur Poil de Carotte.
L'invité ou Huit jours à la campagne est joué au Théâtre de la Renaissance, avec un succès mitigé. Ravel met en musique quelques unes des Histoires naturelles, ce qui le laisse parfaitement indifférent : c'est Marinette et Baïe qui sont chargées d'assister à la première.
Pressé par des besoins d'argent, il donne des critiques dramatiques à Messidor. Son élection à l'Académie Goncourt lui permettra de s'en affranchir.
Réélection à Chitry en 1908.
Parution de Nos frères farouches, Ragotte.
Il termine Le cousin de Rose, pièce tirée d'une des nouvelles de Ragotte, et qui ne sera pas jouée.
La Gloriette est mise en vente et Jules Renard envisage de s'installer dans la maison de Chitry.
Première de La Bigote en 1909. La pièce choque par son anticléricalisme.
Sa mère meurt en tombant dans le puits de son jardin.
Jules Renard quitte le Mercure de France à la suite de la publication d'un article de Rachilde sur Ragotte.