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Catégories : Des expositions

Le secret des nus selon Cranach

Par Eric Bietry-Rivierre
07/02/2011 | Mise à jour : 11:40 Réagir

Présentée au Musée du Luxembourg, la rétrospective de ce maître allemand de la Renaissance montre beaucoup plus qu'un artiste sensuel. 

 

Lucrèce, Lucas Cranach L'Ancien,1510-1513. (Friedrich Kisters © Collection privée)
Lucrèce, Lucas Cranach L'Ancien,1510-1513. (Friedrich Kisters © Collection privée)

 

Obsédé, Cranach? On pourrait le croire. L'affiche de la belle rétrospective au Musée du Luxembourg qui s'ouvre mercredi a été choisie pour émoustiller le public. On y voit en plan resserré une jeune fille aux yeux de ­vierge. Elle arbore des seins en pomme qu'Adam croquerait volontiers. Au-dessus flottent une quintessence de voile et de riches bijoux. Sex in the City? Ce maître allemand de la Renaissance aggrave son cas lorsqu'on dresse les comptes. Sur un demi-siècle d'activité, ses nus abondent. En 1509, il est le premier au nord des Alpes à révéler l'intimité d'une déesse païenne. Signées de ses armoiries - un serpent couronné aux ailes de chauve-souris portant un rubis dans la gueule - suivent 39 autres Vénus, 35 Ève, autant de Lucrèce, trois fois les Trois Grâces (dont celle qu'a acquise le Louvre récemment par souscription publique), 12 nymphes au repos, autant d'Héra, d'Athéna, d'Aphrodite, et 19 Judith. Le fait que cent madones lui soient également attribuées ne suffit pas à l'absoudre. Ce pourrait être le signe d'un hypocrite. Cranach n'a-t-il pas par ailleurs honoré nombre de commandes des grands catholiques alors que Luther comptait parmi ses amis? Qui donc en somme fut ce fier barbu au visage carré qui nous toise à la manière de Titien dans un splendide autoportrait prêté par un collectionneur privé allemand?

L'exposition, variante légèrement modifiée et moins riche que celle du Palais des beaux-arts de Bruxelles, le replace dans son temps, et l'œuvre dans son contexte. Ce faisant, elle corrige les idées fausses. L'affiche? Avec sa balance et son épée, la dame est une allégorie. Celle de la Justice. Nue parce que pure, vertueuse par sa pondération et son implacabilité. Si elle n'a pas les yeux bandés comme le veut la tradition, c'est parce qu'elle peut, comme l'exprime son regard, faire preuve de charité.

 

Vices et vertus 

 

Ainsi ce type de corps féminin, avant d'être érotique, valorise-t-il certaines valeurs morales. À commencer par la chasteté. Sur un plan idéologique, ces Judith, Salomé et Lucrèce incarnent le protestantisme. Leur poitrine, jamais impudique, ressemble à celle de notre Marianne. Elle appelle à la liberté. Ici en l'occurrence, les tétons visent Rome et le très catholique Charles Quint, exigeant l'émancipation. Quant aux filles de Loth et aux Bethsabée séductrices, elles stigmatisent les vices, et notamment les dangers de l'amour, ce sentiment si puissant qu'il est capable de soumettre les caractères les plus forts et d'aveugler jusqu'aux rois.

La monomanie apparente de Cranach pour le nu s'explique aussi par les méthodes de production. Le thème a très vite rencontré le succès et l'artiste y a répondu en développant de manière impressionnante son atelier de Wittenberg (Saxe). Protégé par l'Électeur Frédéric le Sage, cette véritable entreprise comptera jusqu'à 14 employés. On y peignait mais on y gravait aussi (en polychromie, ce qui était nouveau). On illustrait et on imprimait des livres (dont ceux de Luther), on chroniquait les chasses, on couvrait les palais de fresques (malheureusement disparues) et on préparait des fêtes. Pour aller plus vite, Cranach a standardisé formats et compositions. Nombreuses, dans le millier d'œuvres subsistantes, sont donc les figures types. Au-dessus du blason qu'il faut voir plus comme la griffe d'un couturier ou une marque de fabrique que comme la garantie d'un génie individuel, il est facile d'identifier les mêmes silhouettes, les mêmes formes d'arbres ou de feuilles.

On a critiqué ce système en oubliant que dans ce creuset exceptionnel de Wittenberg, concurrent de l'aîné Dürer à Nuremberg et de Lucas de Leyde, un art proprement allemand s'est cristallisé. Où l'influence des fabliaux et de l'idéal courtois teinte les thèmes de la mythologie profane et sacrée. Où les écoles italiennes et flamandes synthétisées de cette manière si particulière vont rayonner dans toute l'Europe.

 


 http://www.lemonde.fr/

Les conservateurs dénoncent une «course à la fréquentation»

Politique culturelle le jour même où Frédéric Mitterrand organisait un Forum culture, à Paris, sur le thème de la démocratisation culturelle ( «Culture pour tous, pour chacun et partagée»), l'association des conservateurs de collections publiques mettait les pieds dans le plat. Dans un livre blanc sur les musées de France, ces hauts fonctionnaires dénoncent un monde muséal en crise, soumis à un «diktat économique». Les musées ont d'abord eu un développement spectaculaire entre 1970 et 2000, qui s'est accompagné d'une hausse de la fréquentation et d'une politique de rénovation. L'année dernière, quelque 52 millions de visiteurs se sont rendus dans un des 1200 musées, un très bon score lorsque l'on se compare avec nos voisins européens.

«Logique libérale»

Avec le Louvre et ses 8,5 millions d'entrées, la France possède d'ailleurs l'établissement le plus visité au monde. Mais ces bons chiffres, ajoutés au succès des grandes expositions comme celle consacrée à Monet, masquent, selon les conservateurs, un réel déséquilibre: entre petits et grands établissements, d'abord ; entre Paris et le reste de la France, ensuite. Des petits musées sont vides ou ferment leurs portes comme celui lié aux Hôpitaux de Paris, alors que les files d'attente s'allongent devant d'autres. L'Ile-de-France et ses institutions prestigieuses accueillent ainsi 50 % des visiteurs chaque année.

Pour l'association des conservateurs, les gros établissements «cannibalisent» le public, les artistes et, du coup, les subventions publiques et le mécénat. S'ensuit une «course à la fréquentation » et l'événementiel, qui «privilégie la forme sur le fond» . La tentation de louer ou de vendre des collections publiques s'imposerait de plus en plus, bien que cela soit aujourd'hui impossible. Au total, l'institution muséale serait «confrontée elle aussi à une logique libérale», estiment les auteurs. Pourtant, «il est illusoire de penser que les musées peuvent s'autofinancer» , préviennent-ils, à rebours d'une pensée communément admise.


Du 9 février au 23 mai, au Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris VIe. Catalogue RMN/Skira Flammarion, 300 p., 39 €; album 9 €; hors- série Gallimard 8,40 €; essais d'Anne Malherbe (Lucas Cranach. Peindre la grâce, À Propos, 12 €) et de Naïma Ghermani (L'Europe au temps de Cranach, RMN, 9,90 €). Tél. : 01 40 13 62 00. www.museeduluxembourg.fr

Profitez d'une visite privée avec un conférencier pour les abonnés ! Rendez-vous vite sur le www.lefigaro.fr/privileges

 

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