Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
"Le tombeau des lutteurs" de Magritte
René Magritte est un peintre majeur du XXème siècle.
Après des études artistiques classiques, il se livra dans la première moitié des années 20 à diverses recherches, d'abstraction ou de couleur.
Puis, par l'intermédiaire de son ami l'écrivain Louis Scutenaire, il rentra en contact avec les surréalistes et se rallia au mouvement.
Dès lors il creusera obstinément ce même sillon pendant une quarantaine d'année, jusqu'à sa mort d'un cancer en 1967.
L'artiste se peignit en 1936.
L'autoportrait, intitulé "La clairvoyance" (1936, coll. part.), est particulièrement intéressant.
Il se représente en train de peindre, et contrairement aux autoportraits usuels, en général cadrés uniquement sur l'artiste, le sujet et le tableau sont visibles.
Et le sujet est un oeuf, alors que le tableau dépeint un oiseau. Comment mieux définir le surréalisme, cette volonté de représenter une réalité au-delà des apparences ?
Cet autoportrait si pertinent aurait pu être placé dès l'entrée de l'exposition, comme le bel autoportrait de Chagall à l'entrée de l'exposition du Grand Palais...
Magritte creusera le même sillon pendant quarante ans.
Le genre reste le même, la manière change peu, tout juste peut-on noter une palette un peu plus claire au fur et à mesure des années et une touche de plus en plus précise.
Et ces toiles magritiennes si célèbres, apparemment faciles mais souvent très riches de signification, sont entrées dans l'imaginaire collectif...
Il fera cependant quelques exceptions à sa démarche, quelques périodes bien particulières, mais à part cela restera fidèle à son surréalisme personnel.
Ainsi des tableaux-mots.
L'une des expérimentations de Magritte, à ses débuts surréalistes, consiste à jouer sur les mots.
Certains tableaux sont réduits à des alignements de mots, remplaçant les images.
D'autres jouent sur la contradiction entre visuel et textuel, tel le célèbre la trahison des images, montrant une pipe sous-titrée d'un texte "this is not a pipe" (1935, coll. part., pour la version anglaise ici présentée).
"La clef des songes" (1927, Pinakothek der Moderne, Munich) aligne des images scolaires d'objet, titrées de noms différents (un sac est ainsi baptisé ciel). Ce procédé sera d'ailleurs repris bien plus tard par Marcel Broodthaers, autre surréaliste belge, qui reprendra un tableau scolaire des races de vache en remplaçant les noms des races par celui de marques de voiture.
La démarche est prometteuse, elle anticipe l'art conceptuel, en soulignant l'importance des mots, mais le résultat reste assez décevant, passé la surprise initiale. Ce que Magritte a ici rêvé ne sera pleinement réalisé qu'un demi-siècle plus tard, par Joseph Kosuth, qui reprendra le procédé dans des dispositifs beaucoup plus spectaculaires.
D'autres essais sont insolites.
La période Renoir, en 1943, voit Magritte pasticher le maître de l'impressionnisme, par exemple avec "Le premier jour" (1943, coll. part.), dans des tableaux assez anecdotiques.
La période vache, en 1948, relève de la plaisanterie de potache, Magritte ayant subitement réalisé une série de tableaux volontairement hâtifs. Ainsi "La famine" (1948, Musée Royal des Beaux-Arts, Bruxelles) oscille-t-elle entre les couleurs d'Ensor et l'expressionnisme de Grosz.
Enfin la période pierre, en 1951, le conduit-elle à pétrifier tout son tableau, le résultat est amusant, témoignant d'une grande maîtrise de la représentation de la matière, mais assez limité. "Le chant de la violette" (1951, coll. part.) voit ainsi le personnage magrittien récurrent, cet homme au melon, représenté en pierre.
Mais l'essentiel de l'oeuvre est ailleurs.
Les images emblématiques se succèdent.
La série "La belle captive" est constituée de tableaux illusionnistes, un chevalet portant un tableau se fond dans le paysage, dont il semble faire partie, en un impressionnant trompe-l'oeil. L'un des tableaux de cette série, malheureusement non présent dans l'exposition, inspirera d'ailleurs Alain Robbe-Grillet pour un film homonyme, avec la belle Cyrielle Claire.
"L'empire des lumières" est l'une des images les plus fortes de Magritte, avec ce paysage nocturne éclairé par un unique lampadaire, sous un ciel diurne. Trois versions en sont présentées ici (1953, Gugenheim Collection, Venise ; 1954, coll. part. ; 1961, coll. part.), mais il en existe seize, et l'on ne peut que rêver à l'ensemble spectaculaire que constituerait la réunion de la série intégrale. Chaque tableau diffère subtilement dans l'image, jamais identique, mais le concept est suffisamment fort pour qu'ils se reconnaissent immédiatement.
L'on admire aussi "Le soir qui tombe" (1960, coll. part.), où le éclats d'une fenêtre brisée, tombés à son pied, portent encore le paysage...
D'autres tableaux sont moins connus.
"Perspective, Madame Récamier de David" (1950, coll. part.) pastiche le célèbre tableau du peintre néo-classique, jusque dans la manière, mais en remplaçant Mme Récamier par son cercueil. L'image est forte, traduisant en une spectaculaire vignette l'éphémère de l'existence humaine, version revue et corrigée des vanités d'antan.
"Le bouquet tout fait" (1956, coll. part.) représente de dos l'homme magrittien, devant un paysage automnal alors qu'il porte une figure extraite du sacre du printemps de Botticelli, en un amusant contraste.
Ou encore "Le tombeau des lutteurs" (1960, coll. part.) voit une rose surdimensionnée envahir une pièce. Simple jeu sur les dimensions ? Un coup d'oeil superficiel pourrait le faire croire, mais un examen plus poussé révèle un aspect très sexué de ladite rose, et le tombeau des lutteurs est peut-être le repos des guerriers...
J'ai choisi de ci de là quelques tableaux, mais presque chacun se prêterait à une telle analyse, et l'exposition mérite assurément que l'on s'y attarde longuement.
Magritte peindra jusqu'au bout.
Il souffre d'un cancer à partir de 1965, mais ne s'interrompt pas, et ses ultimes tableaux datent de l'année de sa mort.
La dernière salle regroupe ces oeuvres tardives, qui ne dénotent en rien le moindre faiblissement dans la main ou dans l'inspiration.
Malgré la maladie, l'artiste a gardé tout son brio, et par exemple "Le blanc seing" (1965, National Gallery of Art, Washington) se révèle-t-il un trompe-l'oeil virtuose.
Seule la série de sculptures de bronze de grand format qu'il a autorisée en 1967 est parfois discutable, sans doute plus due à un désir commercial qu'à un réel besoin artistique. Magritte n'a vécu de sa peinture que sur le tard, obligé auparavant de se commettre dans des publicités pour vivre, et il est probable qu'il a volontiers profité de cette tardive opulence.
http://www.ciao.fr/Magritte_Galerie_Nationale_du_Jeu_de_Paume_Paris__Avis_509485