Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
"La Joconde" de Léonard de Vinci
La Joconde ou Portrait de Monna Lisa Léonard de Vinci, 1503-1506 Huile sur bois de peuplier, 77 X53 cm Le Louvre, Paris |
Daniel Arasse : Histoires de peintures : chapitre 2:
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C'est Léonard qui a inventé l'idée de faire un portrait avec un sourire. Il n'y a pas de portrait souriant avant La Joconde, à l'exception du tableau d'Antonello de Messine, L'homme qui rit, conservé à Cefalu en Sicile.
Léonard a peint un certain nombre de portrait, à Milan celui d'Isabelle d'Este, le dessin qui est au Louvre et deux portraits florentins, le premier est le Portrait de Ginevra de Benci aujourd'hui à Washington et l'autre, celui de Monna Lisa.
Le Joconde sourit parce que son mari, Francesco del Giocondo, a commandé son portrait au plus grand peintre du temps, Léonard de Vinci, pour fêter leur déménagement dans une maison plus grande de Florence suite à la naissance du troisième enfant qu'elle vient de lui donner.
C'est un tableau de bonheur, où une jeune femme de vingt-deux, vingt-trois ans, qui a déjà donné deux enfants mâles à son mari, est honorée par l'amour de celui-ci à travers ce portrait.
Mais ce tableau, elle ne l'aura jamais, puisque Léonard le gardera pour lui. Francesco del Giocondo n'aurait pas accepté le tableau fini parce qu'à l'époque c'était un tableau scandaleux inadmissible : le sourire est incorrect et la jeune femme est plantée devant un paysage préhumain, affreux, terrible.
Le sourire de la Joconde : l'instant de grâce entre le chaos du passé et le néant à venir.
Le sourire lie la figure au paysage à l'arrière plan. Le paysage est incohérent, dans la partie droite il y a des montagnes très hautes et tout en haut un lac, plat comme un miroir qui donne une ligne d'horizon très haute. Dans la partie gauche au contraire l'horizon est beaucoup plus bas et il n'y a pas moyen de concevoir le passage entre les deux parties. C'est du coté du paysage le plus haut que sourit la Joconde, la bouche se relève très légèrement de ce côté là et la transition impossible entre les deux parties du paysage se fait par le sourire de la figure
Léonard est un grand admirateur d'Ovide et de ses Métamorphoses. Or pour Léonard comme pour Ovide, c'est un thème classique et courant, la beauté est éphémère. Il y a de fameuses phrases d'Hélène chez Ovide à ce sujet : "Aujourd'hui je suis belle mais que serais-je dans quelques temps ?".
C'est ce thème là que traite Léonard mais avec une densité cosmologique extraordinaire car La Joconde c'est la grâce, la grâce d'un sourire. Or le sourire c'est éphémère, ça ne dure qu'un instant. Et c'est ce sourire de la grâce qui fait l'union du chaos du paysage qui est derrière. C'est à dire que du chaos on passe à la grâce, et de la grâce, on repassera au chaos. Il s'agit donc là d'une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une réflexion sur le temps qui passe. On passe donc, avec ce sourire éphémère de la Joconde, du temps immémorial du chaos au temps fugitif et présent de la grâce mais on reviendra à ce temps sans fin du chaos et de l'absence de forme.
Le pont est le symbole du temps qui passe ; s'il y a un pont, il y a une rivière, qui est le symbole banal par excellence du temps qui passe. C'est un indice donné au spectateur que l'étrangeté du rapport entre ce paysage chaotique et cette grâce souriante est le temps qui passe. Le thème du tableau c'est le temps. C'est aussi pour cette raison que la figure tourne sur elle-même, car un mouvement se fait dans le temps.
Un tableau inacceptable ; un tableau destiné à la méditation.
Francesco del Giocondo n'aurait pas accepté le tableau fini parce qu'à l'époque c'était un tableau scandaleux, inadmissible : le sourire est incorrect et la jeune femme est plantée devant un paysage préhumain, affreux, terrible et non devant les fonds de portrait de Raphaël avec des prairies et des petits oiseaux. Léonard a peint le pont pour expliquer qu'il ne faisait pas n'importe quoi mais une méditation profonde sur le temps. Mais le tableau restait trop innovateur. Raphaël a admiré La Joconde mais, quand il fait La dame à la licorne, il la normalise. La Joconde est à part.
A la même époque, Léonard travaillait sur les cartes géographiques le paysage avec son lac très élevé et son val aquatique et marécageux dans la partie gauche sont pratiquement la prise en vue cavalière d'une carte de la Toscane que Léonard réalise aussi en 1503-1504 et l'un des problèmes qu'il se pose dans cette carte est de savoir comment le lac Trasimène a pu jadis, dans un temps immémorial expliquer les marécages du val d'Arno, qui se trouvent au sud d'Arezzo.
Destin d'un tableau (par Michel Laclotte)
Quel est le lien mystérieux qui s'établit au cours du temps entre une oeuvre d'art et son public ? Quels sont les éléments, les motivations profondes et les secrets techniques qui peuvent expliquer que La Victoire de Samothrace, La Vénus de Milo ou L'Angélus de Jean-François Millet soient devenus des objets d'admiration, de contemplation -presque d'adoration- universelles, au point que tous les supports modernes, depuis les calendriers de fin d'année jusqu'à la publicité, les aient utilisés, parfois, jusqu'à l'excès ? L'étude du succès sans égal, depuis trois siècles, de La Joconde de Léonard de Vinci -nommée Monna Lisa par le public anglo-saxon- permettrait sans doute de mieux comprendre les motivations nombreuses et complexes qui amènent les visiteurs d'un musée à ne se souvenir que d'une seule oeuvre au milieu de milliers d'autres.
En effet, la Joconde est sans contestation possible le tableau le plus célèbre du monde, identifié aujourd'hui totalement au musée du Louvre et même à la notion d'art en général. Et si nous parvenions à pénétrer dans les origines de sa création, dans ses qualités esthétiques, dans son histoire depuis la mort de son créateur, nous pourrions peut-être dégager des règles expliquant le succès d'une oeuvre d'art. Ainsi, pouvons-nous dégager quatre pistes de recherche ayant un lien étroit avec le succès sans égal de la Joconde auprès de son public.
- la personnalité marginale, fantasque et géniale de son créateur, Léonard de Vinci (1452-1519)
- la perfection de sa technique picturale
- les mystères, entretenus sur l'identité du modèle qui a posé pour cette oeuvre
- les rebondissements de son histoire, aussi surprenants et nombreux qu'un roman policier pourrait le permettre.
La technique parfaite de la Joconde
La recherche de la perfection est une véritable obsession pour Léonard de Vinci : "Dites-moi, dites-moi, a-t-on jamais terminé quoi que ce soit ?", gémit-il dans ses carnets, dans lesquels il insiste fréquemment sur son désir d'égaler la perfection de la création divine dans ses propres créations artistiques.
Peinte sur un mince support en bois de peuplier, demeuré très fragile -ce qui explique qu'elle soit aujourd'hui conservée dans une vitrine-, la Joconde est une réalisation exemplaire, grâce aux effets subtils de la lumière sur les chairs et au brio du paysage situé à l'arrière-plan du tableau. Le modelé du visage est étonnamment réaliste. Léonard a exécuté ce tableau avec patience et virtuosité : après avoir préparé son panneau de bois avec plusieurs couches d'enduits, il a d'abord dessiné son motif directement sur le tableau lui-même, avant de le peindre à l'huile, additionnée d'essence très diluée, ce qui lui permet de poser d'innombrables couches de couleurs transparentes -que l'on appelle des glacis- et de revenir indéfiniment sur le modelé du visage.
Ces glacis, savamment travaillés, mettant en valeur les effets d'ombre et de lumière sur le visage, constituent ce que Léonard lui-même appelle le "sfumato". Cette technique permet une imitation parfaite des chairs, grâce à un traitement raffiné de la figure humaine plongée dans une demi-obscurité -le clair-obscur-, ce qui permet à Léonard de satisfaire ses préoccupations de réalisme.
De son vivant, Léonard fut en effet surtout célèbre pour ses capacités évidentes à imiter la nature à la perfection et lorsque son premier biographe, le peintre Vasari a décrit la Joconde, il insistait surtout sur le réalisme de cette oeuvre : "Ses yeux limpides avaient l'éclat de la vie : cernés de nuances rougeâtres et plombées, ils étaient bordés de cils dont le rendu suppose la plus grande délicatesse. Les sourcils avec leur implantation par endroits plus épaisse ou plus rare suivant la disposition des pores, ne pouvaient être plus vrais. Le nez, aux ravissantes narines roses et délicates, étaient la vie même. [...] Au creux de la gorge, le spectateur attentif saisissait le battement des veines." D'autre part, grâce au "sfumato", Léonard peut atteindre un de ses objectifs artistiques prioritaires, en s'intéressant en priorité à la personnalité de son modèle : "Le bon peintre a essentiellement deux choses à représenter : le personnage et l'état de son esprit", disait Léonard. Peindre l'âme plutôt que le physique est en effet la finalité ultime de son oeuvre et le "sfumato", éclairage du portrait par le clair-obscur, accentue de fait les mystères d'une oeuvre : "plonger les choses dans la lumière, c'est les plonger dans l'infini".
A ce sujet, il est important tout de même de rappeler à quel point la question du réalisme de la représentation du modèle est liée à l'identité de ce modèle. Et, à ce jour, nous ne savons toujours pas si Léonard de Vinci a représenté avec fidélité un modèle existant, s'il a idéalisé un portrait de femme de son entourage ou s'il a entièrement imaginé un type de femme universelle.
Le mystère de l'identité du modèle
En ce qui concerne l'identité du modèle, toutes les hypothèses, y compris les plus farfelues, ont été envisagées : Isabelle d'Este, qui régnait à Mantoue lorsque Léonard de Vinci y séjourna -nous connaissons d'ailleurs un dessin de sa main la représentant- ; une maîtresse de Julien de Médicis ou de Léonard ; peut-être même une femme idéale ; et même un adolescent habillé en femme, voire un autoportrait. Gioconda désigne aussi en italien une femme joyeuse, une femme agréable.
Le premier témoignage concernant le modèle de la Joconde, daté des dernières années de la vie de Léonard, parlait du portrait "d'une certaine dame florentine faite d'après nature sur demande du magnifique Giuliano de Médicis". Nous savons que ce portrait avait été amené en France par Léonard de Vinci, lors de sa venue à la cour de François 1er -et sans doute y travaillait-il encore- mais il l'avait commencé durant son séjour à Florence entre 1503 et 1506. Il apparaît donc vraisemblable que le modèle, quel qu'il soit, ait pu être florentin.
Plus tard, un deuxième témoignage, celui de Vasari décrivait le portrait de Monna Lisa comme la femme d'un gentilhomme florentin, Francesco del Giocondo. Ce dernier, riche bourgeois investi de responsabilités politiques dans sa ville, a réellement existé, mais la vie de sa femme, Lisa Gherardini, née en 1479, ne nous est pas très connue. Nous savons qu'elle avait épousé del Giocondo en 1495 et nous n'avons aucune preuve qu'elle ait pu être la maîtresse d'un Médicis.
Plus tard, un autre témoignage anonyme crée une certaine confusion, en parlant, à propos de la Joconde, du portrait de Francesco del Giocondo -origine des thèses hasardeuses qu'il s'agirait d'un portrait d'homme. En février 2011, l'équipe de "scientifiques" italiens mené par Silvano Vincenti, aussi controversé qu'avide de publicité, affirme qu’un jeune assistant de Leonard appelé Salai (de son vrai nom Gian Giacomo Caprotti) fut le modèle du célèbre portrait de Mona Lisa. Selon "l'expert" les deux hommes entretenaient une relation "ambiguë" et étaient probablement amants. M. Vincenti fait état de fortes similitudes entre les traits de Mona Lisa et ceux du Saint-Jean-Baptiste et de l'ange de La Vierge aux rochers. Pour ce chercheur, le peintre avait laissé des indices en peignant dans les yeux de La Joconde un minuscule "L" pour Leonardo et un "S" pour Salai. Les affirmations de M. Vincenti sont contestées par le Louvre qui rappelle que le tableau a été soumis à toutes les analyses de laboratoire possibles en 2004 et en 2009. Aucune inscription (lettre ou chiffre) n’a été décelée lors de ces examens. "Le vieillissement de cette peinture sur bois a provoqué un grand nombre de craquelures dans la matière picturale, qui sont à l’origine de nombreuses formes qui ont souvent été l’objet de sur-interprétations", a souligné le musée qui a en outre indiqué ne pas avoir eu communication de pièces démontrant ces nouvelles hypothèses.
Un dernier texte, daté de 1625, fait enfin référence au "portrait en demi-figure d'une certaine Gioconda", qui a donné définitivement son titre français au tableau.
Si nous ne possédons à ce jour, aucune preuve définitive sur l'identité de la femme représentée par Léonard, le témoignage de Vasari reste, de loin, le plus solide.
Le roman policier de l'histoire de la Joconde
Ces qualités intrinsèques à l'oeuvre de Léonard, qui avaient déjà impressionné les amateurs et les professionnels de l'art, n'auraient pas suffi au succès mondial de la Joconde si son histoire n'avait pas été également exceptionnelle.
Acquise par François 1er, soit directement à Léonard de Vinci, durant son séjour en France, soit à sa mort, auprès de ses héritiers, ce tableau est demeuré dans les collections royales depuis le début du XVIe siècle jusqu'à la création du Musée Central des Arts au Louvre en 1793. Nous savons qu'il fut conservé à Versailles sous Louis XIV et qu'il était aux Tuileries durant le Premier Empire.
Depuis la Restauration, Monna Lisa est toujours restée au musée du Louvre, pièce maîtresse des collections nationales. Etudiée par les historiens et les peintres, qui la copièrent fréquemment, la Joconde devait devenir mondialement célèbre après son vol en 1911. Le 21 août 1911, un peintre italien un peu fou, Vincenzo Peruggia l'avait en effet dérobée afin de la rendre à son pays d'origine. Après une longue enquête policière, durant laquelle on suspecta tout le monde, y compris les peintres cubistes et le poète Guillaume Apollinaire, qui avait un jour crié qu'il fallait "brûler le Louvre". Monna Lisa fut retrouvée en Italie presque deux années plus tard et réaccrochée au Louvre, traitée avec les honneurs d'un chef d'état, après avoir occupé, durant toute cette période, les premières pages de tous les journaux du monde. Depuis lors, ce tableau est véritablement devenu un objet de culte, sacralisé jusqu'à l'excès.
Les deux voyages qu'elle effectua au XXè siècle, en 1963 aux Etats-Unis et en 1974 au Japon, furent des succès sans précédent, l'oeuvre étant mieux accueillie par les foules qu'une star du cinéma. Ces deux voyages participèrent d'ailleurs beaucoup à sa notoriété, comme le vol de 1911, et les publics japonais et américains vouent depuis lors un véritable culte à cette oeuvre qui séjourna quelques semaines sur leur territoire et devant laquelle des centaines de milliers de visiteurs défilèrent. Un créateur hors du commun et une technique sans faille, liés aux mystères de son modèle et de son histoire, furent donc à l'origine d'un engouement étonnant pour Monna Lisa qu'aucune autre oeuvre d'art n'a connu jusqu'alors. Peut-être d'ailleurs le fait que ce tableau représente une figure humaine, c'est-à-dire ni une scène religieuse ou profane, thèmes toujours datés et oubliés dès que les modes s'estompent, ni un paysage ou une nature morte, des sujets parfois trop intellectuels, expliquent sûrement cette passion des foules. En effet, le genre du portrait, genre directement accessible pour le public, a toujours été populaire et Léonard lui-même, semblant prédire déjà le succès de ce portrait, n'avait-il pas écrit : "Ne vois-tu pas que parmi les beautés humaines, c'est le beau visage qui arrête les passants, et non les ornements riches...", insistant ainsi sur les mystères des échanges du regard d'un visiteur avec ce visage étrange et souriant. (Vincent Pomarède Conservateur au département des Peintures du musée du Louvre)
Sources :
- Daniel Arasse : Histoires de peintures : chapitre 2.
- Michel Laclotte et Vincent Pomarède
http://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/vinci/joconde.htm