Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Quand Chagall était russe
Mots clés : Chagall, Musée de Grenoble, GRENOBLE
Par Valérie Duponchelle07/03/2011 | Mise à jour : 11:41 Réagir
Le Musée de Grenoble accueille des chefs-d'œuvre de l'artiste et de ses contemporains.
(Envoyé spéciale à Grenoble)
Il serait étrange que les tableaux que j'ai peints en Russie soient exposés aux côtés de ceux de peintres européens. Ils doivent au contraire trouver place dans des musées consacrés à l'art russe du XXe siècle.» Cette confession faite par Marc Chagall en 1973 à l'historien russe Alexandre Kamenski s'inscrit sur le premier mur de cette belle leçon d'histoire des avant-gardes au Musée de Grenoble. Le peintre des amoureux qui s'envolent, des ânes roses et des violonistes au visage vert est le guide de cette exploration en douze chapitres des courants révolutionnaires du nouveau siècle. Après Tokyo et avant Toronto, Grenoble accueille une version plus ample de cette exposition du Centre Pompidou, petit miracle avec la sortie inespérée de chefs-d'œuvre dont le Double portrait au verre de vin de Chagall, Dans le gris de Kandinsky et même l'historique Croix noire de Malevitch.
Pour ce retour sur les années russes de Chagall, exilé, naturalisé français en 1937 et mort à Saint-Paul-de-Vence en 1985, voici donc les trésors du fonds Chagall, dons de l'artiste, puis dation de ses héritiers en 1988, les «Chagall de Chagall» qui donnent le sentiment d'entrer dans l'atelier de l'artiste au plus beau de son invention de coloriste né. Dans la première salle, pleine d'entrain comme des retrouvailles, voisinent ainsi La Mort (1908-1909), son ciel jaune expressionniste, sa composition en X, son violoneux sur le toit et sa villageoise qui crie; L'Atelier, qui marque l'arrivée de Chagall à Paris en 1911, le chamboulement de sa thématique et sa passion pour «la couleur liberté»; Le Père (1911), longue barbe effilochée, peau blafarde et cernes mauves, qui restera dans sa collection personnelle jusqu'à sa mort; mais aussi ce petit Nu à l'éventail (1911), sujet rare chez Chagall, expérimentation très marquée par sa découverte du cubisme, premier essai aussitôt réussi.
Vers les cieux
Pour qui avait oublié Chagall dans les bouquets à répétition de la fin de sa vie, voilà à qui l'on a vraiment affaire. Au fil des salles ordonnées par thèmes gaiement pédagogiques, voici l'artiste en son soleil et en son temps. Ses contemporains sont époustouflants: Le Cavalier bleu et Improvisations III de Kandinsky, le néo-primitivisme et le couple d'artistes Natalia Goncharova et Mikhaïl Larionov, le suprématisme de Malevitch, le constructivisme de Rodtchenko…
Le chemin reste savoureux et buissonnier, tracé en toute poésie par le jeune Moïshe Zakharovitch Chagalov, né à l'été 1887 près de Vitebsk, en Biélorussie, joyeux malgré la guerre, personnel malgré les rencontres artistiques, instinctif et sensuel parmi les cérébraux. Tête bouclée de pâtre grec et nez busqué, il hisse le visiteur vers les cieux comme il le fut lui-même, marié rieur juché sur les épaules de Bella la belle du merveilleux Double portrait au verre de vin.
Vingt-cinq années pour illustrer la Bible
Quoi de plus naturel, pour le Musée d'art et d'histoire du judaïsme, que de présenter les liens profonds qui unissaient Marc Chagall et la Bible? Source inépuisable d'inspiration pour ce peintre, juif par excellence, l'Ancien Testament est l'un des plus formidables livres d'aventure jamais écrit. C'est en 1930 qu'Ambroise Vollard, célèbre marchand d'art, lui confia le soin d'illustrer la Bible hébraïque. L'exposition dévoile le fruit des vingt-cinq années de travail nécessaires pour parvenir à ces portraits d'homme barbus aux mains lourdes ou d'anges annonciateurs. Gravures noires mais lumineuses, sur lesquelles David, Loth, Saül Bethsabée, Moïse ou Abraham ne sont ni tout à fait humain ni tout à fait mythe.
Utilisation symbolique
Une autre série de tableaux - en couleur, ceux-là - met en lumière la manière très personnelle dont Chagall interprète la Bible. On y retrouve des figures presque amies, celle du juif errant, celle de l'être ailé, du vagabond, du violon, de la vache, du petit village - souvenirs d'enfance, part d'un monde yiddish détruit, signes de rêves et de peurs. Face à l'écroulement de son monde, Chagall en appellera «à la conscience des Nations» et s'emparera, pour ce faire, de la figure du Christ.
Dans la Crucifixion en jaune (1943), le peintre n'hésite pas à en faire «le premier martyr juif». Une utilisation symbolique du premier des chrétiens qui est «compliquée», voire déroutante, estime Laurence Sigall, commissaire et directrice du musée. Elle préfigure les travaux réalisés par l'artiste dans les années 1950 pour des vitraux de lieux de culte chrétiens et dont les dessins sont aussi exposés. Tout en refusant d'y faire figurer les épisodes du Nouveau Testament, Chagall mettra notamment en lumière l'église Saint-Étienne de Mayence. (Claire Bommelaer)
«Chagall et l'avant-garde russe, dans les collections du Musée national d'art moderne - Centre Pompidou», jusqu'au 13 juin au Musée de Grenoble.
Catalogue aux Éditions du Centre Pompidou (44,90 €).
À lire aussi : la BD de Joann Sfar Chagall en Russie, Gallimard (13,90 €).
«Chagall et la Bible», jusqu'au 5 juin. Musée d'art et d'histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris IIIe. Catalogue : Éd. Skira Flammarion, 35 €.