Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Ces chefs-d'oeuvre que vous ne verrez pas
Le Point.fr - Publié le 15/02/2011 à 15:54 - Modifié le 15/02/2011 à 17:59
Un Degas, volé en 1973, vient de faire une spectaculaire réapparition. Mais de nombreuses toiles de maître restent introuvables.
"Blanchisseuses souffrant des dents" ou "Étude de têtes de femme" d'Edgar Degas a été volé au Havre en 1973. © DR
On la jurerait incommodée par les dorures et le ballet d'officiels qui se pressent autour d'elle. Blanchisseuses souffrant des dents de Degas, une toile de petite taille volée au musée municipal du Havre il y a 37 ans et subitement réapparue à l'occasion d'une vente aux enchères aux États-Unis, vient de rentrer en France. Le 11 janvier, le ministère de la Culture fêtait son retour en grande pompe. La toile reviendra au Havre. Un choix naturel, tant sa rocambolesque histoire est chevillée à celle de la ville. C'est par voie de presse locale qu'en 1973 le voleur demande une rançon à la municipalité. Par ce même biais, il assure à la conservatrice que "les blanchisseuses vont bien", avant de disparaître. C'est un Havrais, enfin, qui reconnaît en octobre dernier le tableau dans un catalogue de Sotheby's.
Une aventure au dénouement heureux : pas si fréquent en matière de vol d'oeuvres d'art. A fortiori pour un tableau dont le vol, non enregistré dans la base informatisée d'Interpol, était peu ou prou oublié. C'est en toute bonne foi que son dernier propriétaire, américain, en avait fait l'acquisition. Après négociations avec les autorités américaines et la maison de vente, il a accepté de rendre l'oeuvre sans contrepartie. Une chance, de nouveau. "Selon les législations, les détenteurs de bonne foi peuvent avoir le droit de conserver une pièce volée, explique Stéphane Thefo, officier de renseignement criminel au sein de l'unité Oeuvres d'art d'Interpol. Dans certaines affaires, comme celle de la Vierge noire de Saint-Gervasy ou de la Piétà de l'église Saint-Hilaire d'Agen, les propriétaires ont demandé une lourde indemnisation".
Coopération internationale
Des voleurs eux-mêmes, difficile de dresser une typologie. "Certains agissent seuls, d'autres au sein de filières organisées ou d'organisations criminelles plus vastes. Mais l'argent est toujours le mobile principal, soit qu'ils répondent à la commande d'un collectionneur, ou qu'ils cherchent à demander une rançon. D'autres encore s'aperçoivent après coup que l'oeuvre est invendable", explique Stéphane Théfo. Une chose est certaine : les toiles voyagent. D'où la nécessité d'une coopération internationale. Interpol collecte ainsi toutes les informations relatives aux oeuvres d'art volées dans le monde et édite, tous les six mois, une affiche des six objets, récemment disparus, les plus recherchés. Parmi eux, deux en moyenne sont retrouvés.
En tête de la dernière affiche, parue en décembre 2010 : Le pigeon aux petits pois, de Picasso, l'un des cinq tableaux de maître disparus, en mai dernier, lors du spectaculaire et très embarrassant vol du musée d'Art moderne de la Ville de Paris. Les collections françaises figurent, du reste, en bonne place dans les dossiers de la police internationale : sur plus de 36 000 objets recensés, toutes catégories confondues, 4 010 sont français. Parmi eux, les peintures occupent une place de choix. "Le mystère, la valeur marchande, le goût affiché par le public pour les toiles, ou encore ce sentiment diffus qu'ici s'exercerait une sorte de génie à l'état pur donnent aux tableaux un statut particulier, auquel les voleurs sont naturellement sensibles", explique le journaliste Nathaniel Herzberg dans Le musée invisible, le très beau livre qu'il a consacré au sujet.
Sensibilisation
De tous les peintres, Picasso, justement, a la préférence. Pas moins de 624 toiles ravies à ce jour, selon Nathaniel Herzberg. C'est donc tout naturellement qu'il décroche, en France, la palme du vol le plus spectaculaire de l'après-guerre : 116 toiles raflées d'un coup au musée du Palais des Papes d'Avignon en 1976 - mais retrouvées quelques mois plus tard. De Picasso encore, mais eux, toujours portés disparus, un carnet de dessins dérobé au musée Picasso en juin 2009, et La coiffeuse, au Centre Georges Pompidou en 1998. Également inscrits au registre des pièces manquantes : neuf tableaux volés en 1972, au musée de Bagnols-sur-Cèze (dont un Bonnard, deux Dufy, un Matisse, un Vuillard, et deux Renoir). Dans le même musée, neuf ans plus tard, un nouveau Renoir disparaît. La base d'Interpol recense aussi un portrait de Rembrandt, dérobé à Draguignan à la faveur des festivités de la nuit du 13 au 14 juillet, et un pastel de Degas volé au musée Cantini de Marseille.
Des pertes inestimables qui ont, du moins, favorisé la sensibilisation aux enjeux de la sûreté des établissements. "Ces dernières années, il y a eu une grosse prise de conscience, chez les conservateurs, de l'importance de la prévention, souligne Stéphane Théfo. On a beaucoup dit, lors du vol au MAM, que les systèmes de surveillance des musées français étaient déficients. Ce n'est pas tout à fait juste. En l'espèce, il y avait en effet une carence. Mais la France est, de manière générale, plutôt mieux dotée que d'autres pays qui n'ont pas comme elle de police dédiée au trafic d'oeuvres d'art (l'OCBC, Office central de lutte contre le trafic de biens culturels, NDLR) ni de législation spécifique".
Puis restent de petits miracles, comme celui des Blanchisseuses, qui parfois rendent au public les pièces du "musée invisible".
Détail du "Pigeon aux petits pois", peint par Pablo Picasso en 1911, volé au musée d'Art moderne de la Ville de Paris dans la nuit du 19 au 20 mai 2010. © DR.
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