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Catégories : Des expositions, Le paysage

Au-delà du paysage

La chronique d'Olivier Cena Peinture 3

Il y a quelque chose de Corot chez Carrache (1560-1609), le don de révéler l'air, de le rendre visible, de faire sentir l'agitation par le vent du feuillage des arbres. Sans doute est-ce ainsi que commence l'histoire de la peinture de paysage, par l'intérêt d'un artiste pour les feuilles d'un chêne animées par la brise - par une sensation cézannienne, en quelque sorte, la première. La nature émerveille le peintre bolognais. Jusque-là, elle inspirait de la crainte. On la domestiquait dans des jardins ordonnés. On lui donnait des allures géométriques.

Mais l'avènement de la peinture de paysage a un prix. Le Sacrifice d'Abraham (1600), de Carrache, est avant tout le sacrifice du sujet religieux. Abraham, son fils et l'ange sont relégués dans un coin du tableau, statufiés au sommet d'une falaise. Seuls importent la végétation, la vallée sinuant jusqu'à la plaine, les montagnes dans le lointain, le vent, surtout, qui souffle de la gauche vers la droite dans les arbres du premier plan, entraînant dans le ciel bleu des filets de nuages blancs. Un arbre pris dans la bourrasque, admirable dessin du peintre, confirme cette fascination.

Gottfried Wals, miniaturiste de Cologne émigré en Italie, avait la même passion. On sait peu de chose de lui, sinon qu'il fut le professeur de paysage de Claude Gellée, dit le Lorrain, à Naples vers 1620. On ne connaît sa peinture que depuis 1969. Les dates de sa naissance et de sa mort sont incertaines (vers 1590- 1638). Corot aurait pu peindre sa Route de campagne avec une maison (1620). Le vent y souffle par la droite. La lumière franche, italienne, est splendide. Le sujet religieux a définitivement disparu. Wals ne raconte plus rien. Il peint une route en fin d'après-midi, à l'entrée d'un village où deux personnes bavardent, tandis qu'une troisième se repose à l'ombre d'un talus, voilà tout.

On ne sait s'il a durablement marqué l'art du Lorrain (1600-1682) - un peu, à en juger par le Paysage avec un berger (1635) ou la magnifique Vue de la Crescenza (1650), bien que l'on ne sente pas, ou si légèrement, l'air circuler dans les tableaux du Français. L'affaire du Lorrain, c'est avant tout la lumière. C'est elle qui circule. En cela, il séduit - surtout, comme chez Turner, lorsqu'elle est aussi évidente que celle d'un coucher de soleil sur la mer. Le Lorrain éblouit. A ses côtés, Poussin (1594-1665) paraît terne. Ses méchantes bacchanales, où le vent anime pourtant en arrière-plan les bosquets, pèsent. Au mieux, il atteint, comme Cézanne, une gravité légère. Une lumière savante (ou, comme au théâtre, un éclairage) structure le paysage inventé. Poussin compose. Ce n'est pas tant la nature qui l'intéresse que son ossature et ses couleurs. Dans le merveilleux Paysage avec saint Jean à Patmos (1640), où Jean, simple figurant, ne semble là que pour le jaune de sa toge, le paysage du premier plan (les arbres, la rivière, les ocres et les verts du sol) paraît peint par Courbet ; le fond, une majestueuse Sainte-Victoire se reflétant dans la calanque de l'Estaque visible au-dessus des toits de tuiles, par Cézanne. Poussin ne peint pas le paysage, il peint la peinture - ou, comme le disait Picasso, « il surpasse la nature ». A peine le genre est-il né qu'il se place au-delà. Et cet au-delà, comme l'histoire de la peinture de paysage elle-même, semble infini. C'est pourquoi les nombreux jeunes artistes qui s'essaient aujourd'hui au paysage, souvent trop empêtrés dans le modèle photographique, devraient toujours s'en inspirer.

 

| Jusqu'au 6 juin | Grand Palais, Paris 8e | Tél. : 01-44-13-17-17.

Olivier Cena

Telerama n° 3195 - 09 avril 2011
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