Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
L'art au risque du blasphème
Mots clés : Piss Christ, AVIGNON, Andres Serrano
Par Valérie Duponchelle19/04/2011 | Mise à jour : 15:46
Un employé de la Collection Lambert devant Piss Christ, l'œuvre en partie détruite d'Andres Serrano. Crédits photo : JEAN-PAUL PELISSIER/REUTERS
Alors que le directeur de la Collection Lambert, à Avignon, est menacé de mort s'il continue à exposer Piss Christ d'Andres Serrano, la polémique dérape.
L'art et le sacré ne font plus bon ménage en la Cité des papes. La destruction manu militari de deux œuvres anciennes d'Andres Serrano dans la Collection Lambert, en plein dimanche des Rameaux, à l'heure de la messe, soulève des réactions aussi vives que leur nature même en avait soulevé les semaines précédentes. Loin de clore le débat lancé par les cercles catholiques militants via les pétitions, les blogs et la manifestation musclée samedi devant le musée (dont l'Institut Civitas , proche de Saint-Nicolas-du Chardonnet, qui se présente comme «une œuvre de reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France , et l'Agrif, soit l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française), cette affaire d'Avignon replace brutalement l'art contemporain sur la sellette.
Elle oppose la liberté d'expression au respect des croyances et des fidèles, confronte l'individu au collectif, l'avant-garde qui provoque à la norme qui se défend, la société à son histoire la plus fondatrice. L'art peut-il tout dire, tout montrer? Après Grünewald, Antonin Artaud, Salvator Dali, Max Ernst, Bunuel et plus récemment La Dernière Tentation du Christ, de Martin Scorsese, La Passion du Christ, de Mel Gibson, la série INRI, de Bettina Rheims ou la Nona Ora et son pape écrasé par un météore, de Maurizio Cattelan, après les caricatures de Mahomet parues en 2005 dans le quotidien danois Jyllands Posten, ce vieux débat de l'histoire de l'art est de nouveau brûlant.
De la Suède à l'Australie
La Collection Lambert hésite à rouvrir l'exposition intitulée «Je crois aux miracles», mardi matin, après avoir reçu des menaces de mort, toutes les 15 minutes depuis dimanche. Les responsables voulaient exposer «les deux œuvres détruites montrées telles quelles afin que le public puisse apprécier lui-même la violence des actes de barbarie perpétrés». Pour beaucoup, ce sera l'heure de la découverte d'Andres Serrano, 60 ans, artiste américain d'origine hondurienne et afro-cubaine, élévé dans une stricte éducation catholique et «chrétien revendiqué». Sa photographie de 1987, Immersion: Piss Christ, plonge un crucifix «dans un bain révélateur d'urine et de sang, reprenant la tradition mystique et médiévale des humeurs», ont souligné, dès dimanche soir, Éric Mézil, directeur de la Collection Lambert, et son avocate, Agnès Tricoire. L'œuvre souleva, dès son apparition publique, la colère des chrétiens fondamentalistes américains, puis, en 1997, suscita un acte de vandalisme en Suède et un autre en Australie qui occasionna la fermeture de sa rétrospective. Pas à Paris, où elle fut montrée à Beaubourg à l'été 2008. «Quand Serrano plonge le Christ dans les humeurs, il ne cherche pas l'offense mais s'interroge sur la question de Dieu fait homme», estime Jean de Loisy, commissaire de ladite exposition «Traces du sacré» (270.000 visiteurs). L'historien de l'art avait accroché Serrano dans la salle «Blasphème», aux côtés de La Vierge corrigeant l'Enfant Jésus devant trois témoins: André Breton, Paul Éluard et le peintre, huile de Max Ernst en 1926, et de Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère, dessin de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre par Dali, en 1929, qui créa un clash familial et la légende de Port Lligat.
L'affiche avec le Piss Christ de Serrano, «exposée comme une pub en pleine rue», est perçue unanimement pour le moins comme une maladresse. Peut-on comparer Avignon avec Pour en finir avec le jugement de Dieu, d'Antonin Artaud, censuré par France Culture en 1947 et rediffusé pour la première fois en 1973? Avec Le Christ crucifié au masque à gaz dessiné avec la violence dada par George Grosz, œuvre anticléricale qui reprochait à l'Église d'avoir soutenu l'enrôlement pour la Première Guerre mondiale? Guerre, mort, maladie, l'art est rarement inoffensif.
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