Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
L'Orient, de la description à l'abstraction
| 20.04.11 | 15h10
L'expédition de Bonaparte en Egypte, la conquête de l'Algérie au temps de Louis-Philippe, la constitution de l'Empire britannique, la multiplication des voyages et des explorations : au cours du XIXe siècle, l'Orient - entendez ici l'immense espace qui s'étend du Maroc jusqu'à l'Inde - a été de plus en plus parcouru par les Européens. Ils l'ont visité, ils y ont commercé, ils y ont pris le pouvoir.
De tels événements ne pouvaient qu'avoir des conséquences artistiques. C'est à elles que s'attache l'exposition "Le Génie de l'Orient" conçue par Rémy Labrusse au Musée des beaux-arts de Lyon. Le sous-titre est plus explicite : "L'Europe moderne et les arts de l'islam".
En près de cinq cents objets et oeuvres, du relevé d'architecture au tableau et à la coupe émaillée, elle étudie un siècle de curiosités et d'emprunts. Le sujet est immense et, si riche que soit l'exposition, elle reste incomplète. Le cas particulier du voyage en Egypte, de Champollion à Flaubert et Du Camp, en est exclu. Celui de l'invasion de l'Algérie aussi, de même que, plus généralement, ce qui a trait au contexte politique et religieux. Trois questions se partagent le parcours par tiers à peu près égaux.
La première est celle de la découverte des lieux, des cultures, des monuments et des styles. Des collections se créent, particulières d'abord, publiques ensuite. L'une des principales est celle du duc de Blacas, achetée dans son ensemble par le British Museum en 1866, les musées français ne s'y étant pas intéressés.
Recueils de gravures, volumes de descriptions : alors que les récits de voyage se multiplient, des dessinateurs minutieux popularisent les monuments d'Istanbul, du Caire, d'Ispahan, ou ceux de Grenade et de Cordoue. Ils produisent en quantité des planches, que des éditeurs diffusent, et que d'autres emploient à leur guise.
Ces autres, ce sont - deuxième partie - les peintres orientalistes. Ils associent des éléments documentaires plutôt véridiques à des mises en scène dont le pittoresque, le pathétique ou l'érotisme sont supposés attirer les regards. Cette technique, qu'a récemment étudiée l'historienne d'art Christine Peltre, engendre une industrie imagière aussi prospère qu'internationale.
L'un de ces grands producteurs est le peintre Jean-Léon Gérôme, qui a pour beau-père l'éditeur de reproductions Léon Goupil et pour beau-frère Albert Goupil, accumulateur acharné de pièces "orientales". Les beaux-frères montent une expédition en Egypte en 1868, l'un pour s'y faire un stock de motifs à peindre, l'autre pour y agrandir sa collection. Il en montre une partie à l'Exposition universelle de Paris, en 1878.
Le salon de peinture formé dans l'exposition autour de la toile d'Henri Regnault Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade, fait l'inventaire des fantasmes et des stéréotypes que cet orientalisme véhicule : l'Oriental, également nommé le Musulman ou l'Arabe, ne peut être que cruel et fanatique, ou veule et lascif.
L'Orientale vit dans un harem et passe ses journées au bain. Les unes et les autres ont des esclaves noirs dont la peau permet de beaux contrastes de couleurs avec les faïences bleu et blanc et les tapis écarlates. Face aux toiles, on a toujours autant de mal à admettre que ces poncifs racistes aient été diffusés si longtemps et si largement sans que cela gêne grand monde - en tout cas ni les peintres ni leurs amateurs.
A ces tristes imageries, l'exposition oppose, dans son dernier tiers, l'islamophilie attentive d'artistes qui, loin du pittoresque facile et mercantile, ont étudié calligraphie, motifs des parements muraux et tissus afin de renouveler les arts décoratifs européens. Britanniques comme William Morris ou John Henry Dearle, français comme Edmond Duthoit, Léon Parvillée ou Jules Bourgoin, ils rassemblent les éléments d'une grammaire et d'une rythmique graphiques d'une complexité qui défie le regard. Celui-ci se perd dans des entrelacs et des compositions orthogonales follement calculées.
Calculées et aériennes comme des oeuvres de Paul Klee : c'est ce que l'exposition suggère par sa dernière salle. Il y a là une trentaine de Klee, directement ou implicitement liés à son voyage en Tunisie en avril 1914.
Ce cabinet qui s'ouvre au moment où l'on croit le parcours achevé a quelque chose du miracle, comme chacune des oeuvres qui s'y trouvent, arabesques fantasques entre pictogrammes et calligrammes, paysages absorbés par un nuage d'aquarelle, abstractions d'une harmonie parfaite.
"Le Génie de l'Orient. L'Europe moderne et les arts de l'islam", Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, Lyon 1er. Tél. : 04-72-10-17-40. Jusqu'au 4 juillet. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 18 heures. 10 €. Mba-lyon.fr Philippe Dagen (Lyon : envoyé spécial) Article paru dans l'édition du 21.04.11