Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Des livres plein les poches
Jean-Marc Parisis, Jean-Christophe Buisson, Rémi Soulié
17/06/2011 | Mise à jour : 18:07
Sur la plage, en avion, dans le train, à cheval ou en voiture: notre sélection des livres de poche pour cet été.
Révisez vos classiques
ANTHOLOGIE Baudelaire journaliste
Baudelaire journaliste a le mérite de présenter l'auteurdes Fleurs du Mal tel un énigmatique et paradoxal trublion en quête d'éternité. Loin de l'image maudite qui lui colle à la peau - celle d'un malheureux débauché wertherien -, ce recueil de textes montre un artiste aux mille visages : dandy rimailleur, mystificateur inspiré, poète audacieux révérant les classiques, critique d'art inspiré méprisant le vulgaire, journaliste politique, chercheur d'absolu, révolutionnaire, et plus ! Au fil des chroniques, on découvre l'apparente contradiction motrice qui explique et oriente l'activité journalistique de l'écrivain : une hypermodernité associée à une quête jamais éteinte d'éternité. «Tirer l'éternel du transitoire» sera son mot d'ordre ; «Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or», sa maxime. Enfin une définition acceptable du journalisme.
GF, 326p., 8,90€. Textes choisis et présentés par Alain Vaillant.
• Voyage en Italie, de Johann Wolfgang von Goethe
Le 3 septembre 1786, à 3 heures du matin, Goethe décide brutalement de quitter Carlsbad et de partir en Italie. Pulsion ? Caprice ? Angoisse ? Nécessité intérieure ? Un cocktail, sans doute, et romantique comme il se doit. Durant deux ans, il va sillonner la Péninsule et tenir un journal. Venise, Pérouse, Rome, Naples, Palerme défilent. Entre les figures imposées que sont l'Antiquité et la Renaissance, l'écrivain s'attarde sur des épisodes pittoresques et baroques de la vie italienne. Tel ce surprenant carnaval romain, où les rôles et conditions s'échangent en de ludiques bacchanales. Toujours écrit, souvent surprenant, parfois spirituel, Voyage en Italie permet de découvrir un autre Goethe, trop souvent enseveli sous Les Souffrances du jeune Werther.
Bartillat, « Omnia», 642p., 15€.
• ARTICLES ET CHRONIQUES Les Poètes de la Méditerranée
«La poésie est née tôt, en Méditerranée. Et presque aussitôt elle y a parlé haut et fort», écrit Yves Bonnefoy en préface d'un livre phénoménal où elle y continue son voyage. Délaissez les romans à l'huile solaire et changez vraiment de peau. C'est le moment de découvrir Athina Papadaki (Grèce), Bejan Matur (Turquie), Dritëro Agolli (Albanie) et tant d'autres venus de Chypre, de Syrie, d'Israël, de Palestine, du Portugal, de France, etc. Une centaine d'auteurs, 24 pays, autant d'horizons, de rivages. La poésie est née tôt et elle n'est pas près de mourir. Ici, ils sont tous vivants, à de très rares exceptions disparues récemment. L'édition est bilingue, ce qui redouble les charmes d'une odyssée où «chaque pas qu'on pose hors de l'eau veut creuser jusqu'à l'eau encore» (Ludovic Janvier).
Gallimard, «Poésie», 958p., 12€.
Le goût du voyage
• Les Naufragés des Auckland, de F.E. Raynal
Publié pour la première fois quand s'éteignaient les feux du second Empire, ce petit roman survivaliste est de la veine des (grandes) ½uvres du genre, signées Defoe ou Jules Verne. Echoués vingt mois sur une île du Pacifique Sud peuplée de lions de mer et de moustiques, cinq hommes s'organisent dans l'attente et l'espoir d'être secourus. Ordre, discipline et entraide leur permettront d'échapper aux drames, sinon aux disputes. Et de quitter ce mini-enfer qui les révélera à eux-mêmes. La préface de ce récit magnifique est signée Simon Leys. Elle est lumineuse.
La Table Ronde, «La Petite Vermillon», 321p., 8,50€.
• À marche forcée, de Slavomir Rawicz
Mythique, culte, légendaire. On ne sait plus quel mot utiliser pour décrire l'aura de ce texte puissant qui a marqué des générations entières. A l'origine, l'évasion du goulag de quelques prisonniers en hiver 1941. Quatre mille bornes en chaussettes, de la Sibérie à l'Inde en traversant l'Himalaya. Ils bouffent des serpents et boivent n'importe quoi. A l'arrivée, il semblerait que ce document soit un faux. Sylvain Tesson l'a tellement aimé qu'il a refait le trajet et certifie en toute mauvaise foi (Lire Sous l'étoile de la liberté, Arthaud Poche) que tout y est authentique. Nicolas Bouvier disait : «Ce n'est pas de la littérature, c'est peut-être mieux que ça.» Il avait raison. Vrai ou faux, le livre est un charme.
Phébus, «Libretto», 329p., 10€.
• En avant, route !, d'Alix de Saint-André
Siffler en « pèlerinant »... Alix de Saint-André, de son propre aveu, explique : «Un périple d'ouest en ouest, par une fille à l'ouest». Ou comment, pour une fois, vanter les mérites du long chemin effectué pédestrement tout en consignant mille situations absurdes, grotesques, drôles, lamentables. La cigarette s'accroche au bec, les ampoules s'obstinent. Mais le trajet est unique. Ceux qui ne marchent pas pourront, avec ce récit singulier, se refaire le Voyage autour de ma chambre cher à Xavier de Maistre, les images en plus - mais l'émotion en moins.
Folio, 352p., 6,80€.
Belles lettres étrangères
• Trois hommes, deux chiens et une langouste, de Iain Levison
Kevin, Doug et Mitch, la vingtaine finissante, sont bien des enfants de Waltson, cité minière de Pennsylvanie en pleine déliquescence. Fumant comme des cheminées d'usine, regardant filer le temps, redoutant l'avenir, nos trois larrons survivent à coups de combines minables et de petits boulots assortis. Vol de Ferrari improvisé, promenades canines, détournement de télé géante... Un autre emballerait leur histoire dans un roman désespéré : Iain Levison en tire une fable allègre sur l'amitié, avec la morale existentielle de rigueur. Optimiste, la morale : elle rappelle que même les glandeurs les plus accomplis ont droit à un destin.
Liana Levi, «Piccolo», 268p., 10€.
• Mishima, de Jennifer Lesieur
Cette bio inédite démaquille un mystère. Mishima, c'est une ½uvre traversée par l'amour de la mort et de la beauté, une psychologie de pointe, un romantisme martial fantasmant la restauration du Japon impérial. C'est aussi un homme en quête d'harmonie, homosexuel, marié et père de famille. C'est encore un corps, sculpté par les haltères, paradant en smoking, en blouson de cuir, en chemise hawaïenne ou nu sous le kimono. Mishima ou l'art des masques, du spectacle, du paroxysme : «L'énergie des fous dépasse de loin celle des gens de lettres. (...) Il faut que je devienne aussi fou qu'eux.» Mission accomplie en 1970 : il investit avec sa milice le quartier général des Forces d'autodéfense japonaises, puis se suicide en samouraï, par seppuku. Avant, il y avait eu une vie et des livres. Lesieur y plonge avec perspicacité et noblesse.
Folio Biographies, 274p., 7,30€.
• Une vie à brûler, de James Salter
C'est peut-être le dernier héros de l'Amérique. Et, sans doute, son plus grand romancier (Un sport et un passe-temps, Un bonheur parfait, etc.). Né en 1925, James Horowitz, réinventé en James Salter pour les besoins de la littérature, a vécu, non assez vieux mais assez vite, pour avoir eu plusieurs vies. Ces vies - l'enfance new-yorkaise, West Point, pilote de chasse en Corée, l'adieu aux armes et l'entrée en écriture, l'amitié de Redford ou de Kerouac, les femmes, l'amour de la France -, il les décline au fil de ce merveilleux Une vie à brûler, moins recueil de mémoires que recréation nostalgique d'un monde disparu. Comme si le Nabokovd'Autres rivages avait entrepris de narrer la vie d'un personnage de Fitzgerald.
Points, 512p., 8€.
• Les Réprouvés, d'Ernst von Salomon
L'Histoire est pleine de générations perdues. Avec Les Réprouvés, Ernst von Salomon raconte celle qui, née en Allemagne au début du XXe siècle, va se trouver confrontée à la défaite, à l'humiliation, aux désordres accompagnant la République de Weimar. Ces hommes au milieu des ruines chercheront leur salut dans l'action violente et la contestation radicale d'un ordre bourgeois qu'ils voient émerger des décombres. La suite est connue : d'un nihilisme l'autre ! On suit avec passion le destin de ces aventuriers perdus embarqués dans une histoire chaotique dont ils ne pouvaient prendre la mesure, cherchant en vain des causes susceptibles de légitimer leur désespoir et leur soif de combat. Un roman tourmenté, écrit au sabre, qui reflète en partie la vie de son auteur.
Bartillat, «Omnia », 424p., 14€.
• Lonesome Dove, de Larry McMurtry
Quand il s'agit de voyager, la littérature bat n'importe quel tour operateur à plates coutures. Elle propose ici un aller simple du Texas au Montana, à travers l'ancien monde du Far West, en compagnie de 3 000 têtes de bétail et d'une sacrée tête de mule. Call, fine gâchette et ancien ranger, accompagné d'une tête d'ange, Woodrow. Leur univers : celui, sauvage, du western, mais en 1880, alors que pointe cette modernité qui achèvera de balayer Indiens, bisons et légendes. Le récit progresse au rythme du troupeau, s'entrecoupe d'aventures emblématiques - le combat d'un taurillon contre un grizzli, la loi qui vous commande de pendre un ami - et vous embarque en deux pages dans le quotidien de ces cow-boys du dernier jour. Un roman débordant de vitalité, mais ne pas s'y tromper : National Book award 1986, les deux tomes de Lonesome Dove forment le mausolée d'un genre - le roman de western - qui connut son heure de gloire dans les années 50.
Gallmeister, «Totem», 570p. (t.1) et 618p. (t.2), 11€ chacun.
• Juliet Naket, de Nick Hornby
«Ils étaient venus d'Angleterre jusqu'à Minneapolis pour visiter des toilettes.» Celles où Tucker Crowe, la star du rock des années 80, a uriné. En fan obsessionnel, Duncan est aux anges. Annie, elle, commence à se demander ce qu'elle fait là. Et ce qu'elle a fait durant les quinze dernières années de sa vie... De musique, de rock et de pop, il est encore question chez Nick Hornby. Mais, cette fois, la ballade joue sur des accords plus nostalgiques. Style nerveux et humour intact, l'auteur britannique traque les désillusions du couple, le spectre du temps qui passe et les écueils de la célébrité. A toute allure. Sans fausse note.
10/18, 377p., 8,20€.
Vues de France
• Le Roman de l'été, de Nicolas Fargues
Une comédie humaine. Voilà ce qui se joue ici, non loin de la centrale nucléaire de Flamanville, dans le Cotentin : une famille normande pur jus et un bobo parisien qui, la cinquantaine venue, se rêve écrivain. Entre les deux, une histoire de fenêtre avec vue sur la mer que les premiers ne peuvent ouvrir sans l'accord du second... On croise également la fille du bobo, le député-maire en représentation permanente, un présentateur de télévision à la plume douteuse, et même Nicolas Sarkozy ! Dans ce roman choral, Nicolas Fargues capte l'air du temps sans ménager ses personnages. Son regard sur ce microcosme en dit long sur nos pauvres âmes égoïstes et sur notre société contemporaine terriblement hypocrite. Tissé avec humour, causticité et une dose savoureuse d'autodérision. Jubilatoire !
Folio, 321p., 6,20€.
• La Délicatesse, de David Foenkinos
Depuis la mort de son mari, la belle Nathalie vit au royaume des c½urs secs. Rien ni personne ne saurait l'extirper de sa torpeur. Comment, dès lors, expliquer le baiser qu'elle donna à Markus, ce collègue un brin poussiéreux qu'elle connaît à peine ? Acte gratuit ? Retour à la vie ? Comme souvent chez Foenkinos, cette histoire d'amour se déguste comme une friandise dont on croit connaître le goût mais qui regorge de saveurs inattendues. Ce petit miracle s'accomplit grâce à son écriture élégante et d'une irrésistible vivacité. L'humour, l'émotion, l'art de la digression, les formules qui claquent, Foenkinos les conjuguent avec virtuosité. Inutile de résister : cette plume qui s'immisce dans les méandres des c½urs vous touchera avec la justesse d'une flèche de Cupidon.
Folio, 210p., 6,20€.
• Un léger passage à vide, de Nicolas Rey
Nicolas Rey a connu «un léger passage à vide entre11 et 35ans» : il s'est brûlé les ailes entre l'alcool et la coke. Les médicaments et les soirées parisiennes ont fait le reste. Oui, Nicolas Rey nous a agacés. Aujourd'hui, il bouleverse. Ce livre se lit comme une poignante confession, sincère et touchante de bout en bout. Une succession de chapitres aux allures désordonnées comme des instantanés de sa descente en enfer. Sa prose cristalline distille avec grâce, cynisme et humour le désespoir d'un homme qui a flirté avec les ombres, mais qui retrouve la lumière.
J'ai Lu, 156p., 4,80€.
• J'aimerais revoir Callaghan, de Dominique Fabre
A se souvenir de trop, on se gâche la vie, mais on réussit parfois une ½uvre. Ses années de pension et son copain Callaghan, Dominique Fabre ne les a jamais oubliés. Car Callaghan, avec son charme british et sa vie familiale à la dérive, incarnait avec style les peurs et rêves propres à l'adolescence. Son départ anticipé du pensionnat a laissé à leur amitié un goût d'inachevé. En racontant ses recommencements, ce roman démontre que l'autofiction ne voue pas forcément au narcissisme ni la nostalgie, aux violons du pathos. Vingt ans après, son narrateur retombe sur Callaghan. Devenu SDF après plusieurs existences. Il en vivra d'autres, mais ne rêvez pas, il s'agit d'un roman du réel où les seuls miracles possibles sont ceux, modestes, que permet l'amitié. Vous savez, cette invention des humains pour se raccrocher, devant la peur du vide, à l'idée qu'ils comptent pour quelqu'un...
Le Livre de Poche, 450p., 6€.
La faim de l'histoire
• Histoires de la Révolution et de l'Empire, de Patrice Gueniffey
La Révolution française n'est pas seulement terminée, elle est morte, affirme Patrice Gueniffey, un des meilleurs historiens de la question. Pour l'occasion, il se fait médecin-légiste : ne se contentant pas de présenter un acte de décès, il s'adonne à une autopsie dans les règles de l'art. L'Empire clôt cette période à propos de laquelle l'auteur offre un recueil de textes écrits depuis une vingtaine d'années : études, récits et portraits, dont ceux des historiens (Jacques Bainville, José Cabanis) ne sont pas les moins intéressants. Les Napoléon de François Furet concluent l'ouvrage sur une interrogation dont la réponse est laissée au lecteur. 1789-1815 : ce grand bouleversement de notre histoire est un fascinant miroir des passions françaises. Mais ce miroir est brisé. L'image qu'il reflétait, au demeurant, était celle d'une société si différente qu'elle nous paraît venir d'un autre monde.
Perrin, «Tempus», 744p., 12€.
• L'Histoire des rois francs, de Grégoire de Tours
L'Histoire des rois francs, sans doute le premier classique de l'historiographie française, est enfin aisément accessible. Rédigé par Grégoire de Tours (538-594), évêque du diocèse éponyme pendant vingt ans, ce récit des temps mérovingiens fait revivre les première heures de ce qui deviendra le royaume de France. Clovis y fracasse le crâne d'un soldat en assénant une phrase destinée à traverser les siècles : «C'est ainsi que tu as frappé l'urne à Soissons» ; les conflits succèdent aux supplices et aux assassinats en une sombre légende que Grégoire de Tours conte d'une façon remarquablement vivante.
Folio, 287p., 8,40€.
• La Chute de Saigon, d'Olivier Todd
Le 30 avril 1975, les blindés de la République démocratique du Vietnam pénètrent dans Saigon, tandis que les hélicoptères de l'US Navy évacuent les réfugiés qui s'écrasent dans l'ambassade américaine. C'est la fin d'une guerre de trente ans : celle que le Nord communiste livrait au Sud allié aux Américains. De 1965 à 1973, Olivier Todd, alors journaliste au Nouvel Observateur, avait suivi le conflit avec sa bonne conscience de gauche, jusqu'à ce qu'il comprenne la réalité, mais que sa rédaction ne veuille plus le publier. «J'avais milité afin d'installer à Saigon un régime que nous condamnions à Prague ou Budapest», écrit-il ici. Un prodigieux reportage doublé de la chronique désenchantée d'une époque.
Perrin, «Tempus», 748p., 12€.
• Les Russes blancs, d'Alexandre Jevakhoff
C'est l'histoire d'une diaspora mal connue que raconte Alexandre Jevakhoff, en s'attachant à l'itinéraire de ceux qui durent quitter la Russie après la révolution communiste. Loin d'être tous tsaristes, ces « Russes blancs » furent aussi bien des socialistes minoritaires que des partisans de l'ordre. Un trait les unit : le refus du pouvoir bolchevique. Pour le reste, ce livre très documenté révèle un foisonnement de personnalités et d'organisations politiques ou culturelles qui, entre nostalgie et espoir d'avenir, subirent l'érosion du temps et les déconvenues de ceux qui firent trop confiance à des Alliés peu scrupuleux... Paradoxalement, la chute du système soviétique se fit sans ceux qui firent vivre la Russie hors frontières.
Tallandier, «Texto», 606p., 12€.