Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Gounod, fasciné par Faust, composa son Ave Maria par amour
Alain Duault Publié le 06/08/2011 à 16:38
Entre Dieu et Diable, la chair et la religion, l'opéra et les cantiques, le compositeur de Faust et de la célébrissime ode à la Vierge, oeuvres qui firent le tour du monde, riait peu de se voir si double en ce miroir.
Regardez-le, ce Charles Gounod en majesté, sa barbe parfaitement taillée encadrant son visage inspiré: c'est un compositeur révéré, dont le Faust sera longtemps un des opéras les plus joués au monde. Pourtant, derrière cette image, la véritable personnalité de Gounod est pleine d'ambiguïtés qu'un de ses amis d'enfance résume bien: «Un jour, il grimpait aux arbres et chantait tous azimuts; un autre, il entrait en transe religieuse. Un jour, il embrassait le mari; le lendemain, il courtisait la femme.» Moine ou voyou? Mystique ou érotomane? La double personnalité de Gounod a de quoi surprendre !
Né à Paris le 18 juin 1818, Charles Gounod est le fils d'un peintre et d'une pianiste. Elève au lycée Saint-Louis, il y découvre le Don Juan de Mozart qui le bouleverse et l'incite à se vouer à la musique: conservatoire, concours de Rome, il arrive en 1839 à la villa Médicis où, accueilli par Ingres, ami de son père (qui fait de lui un joli portrait), il découvre d'abord à la Sixtine la musique de Palestrina : c'est un choc esthétique autant qu'éthique, sa conception de la musique religieuse trouvant à s'enraciner dans ce grand style sévère. Jusque-là, en effet, il a rejeté toute la musique sacrée de son temps: «Elle n'était même pas nulle, elle était exécrable.» Mais, à côté de cet intérêt pour l'expression de la foi en musique, Gounod aime la vie sous toutes ses formes et profite largement des délices de la dolce vita romaine... Il y fait entre autres la rencontre de Fanny Hensel, la sœur de Mendelssohn, qui le juge «passionné et romantique à l'excès», mais se dérobe à ses avances. Il rencontre aussi Pauline Viardot, la sœur de la Malibran, déjà grande cantatrice, qui, outre les voluptés qu'elle partage avec lui, lui fait découvrir le théâtre: c'est un autre choc. Toute sa vie, il sera déchiré entre ces deux aspirations, ces deux désirs, la foi et le théâtre. Et s'il assiste aux sermons de Lacordaire, qui font grand bruit à Rome, c'est peut-être qu'ils nouent ces deux faces. A l'issue de son séjour romain, il voyage en Autriche et en Allemagne jusqu'à Berlin où il retrouve Fanny Hensel qui l'envoie chez son frère à Leipzig : «Ah! C'est vous le fou dont ma sœur m'a parlé», lui lance Mendelssohn en l'accueillant... Mais si Gounod manifeste alors un inté rêt fasciné pour l'opéra, il ne compose que de la musique religieuse. D'ailleurs, à son retour à Paris en 1843, sa mère lui écrit: «Je ne sais de quel côté tu désires te loger: près des Missions ou près de l'Opéra?» Tout est dit. Finalement, il s'installe chez sa mère, vit en compagnie d'ecclésiastiques, devient maître de chapelle des Missions étrangères, compose deux messes au style très dépouillé et, en 1846, fait dire qu'il est «entré dans les ordres». C'est faux, mais il est en revanche vrai que, d'octobre 1847 à février 1848, il porte l'habit des Dominicains, se fait appeler «l'abbé Gounod » et obtient une lettre de l'archevêque de Paris l'autorisant à demeurer chez les Carmes.
«La Nonne sanglante» ne traîne pas longtemps sa blessure
Pour autant, sa sensualité le travaille et l'amène parfois à mêler le profane au sacré: appelé un jour à servir la messe, il est tellement extasié par la beauté du texte de l'Evangile qu'il murmure au prêtre «encore, encore»,comme un bis au théâtre !
Toujours est-il que, pendant une dizaine d'années, le jeune Gounod ne fait absolument pas parler de lui jusqu'à ce que, en 1851, on annonce la création de son premier opéra. C'est Pauline Viardot, retrouvée à Paris, et avec laquelle il renoue une liaison harassante, qui l'a convaincu de lui écrire cette Sapho, créée le 16 avril dans une indifférence générale : sept représentations et rideau. En 1854, son deuxième opéra, La Nonne sanglante, «n'y traîne pas longtemps sa blessure», selon la formule de Berlioz: onze représentations. Les débuts de Gounod dans l'univers lyrique s'avèrent difficiles.
En revanche, sa musique religieuse atteint son apogée à cette époque avec la belle Messe de sainte Cécile, créée à Saint-Eustache en 1855. C'est de cette époque que date sa Méditation sur le premier prélude de piano de J.-S.Bach, pour violon et piano, qui va lui valoir un succès durable alors qu'en fait, il n'en est pas vraiment l'auteur: en effet, un jour que, dans le salon d'attente de ses futurs beaux-parents, il improvise nonchalamment une mélodie sur le piano à partir du premier prélude du Clavier bien tempéré de Bach, son beau-père, qui est violoniste, note la mélodie que Gounod a répétée deux fois, il la transpose à la quinte et, quand le jeune homme revient quelques jours plus tard, la lui joue au violon en lui demandant de l'accompagner au piano. Gounod, ravi, le remercie d'autant que le futur beau-père va plus loin: il vend la mélodie à un éditeur et donne bientôt à Gounod les 200 francs qu'il en a retirés ! Mais l'histoire ne s'arrête pas là : quelque temps après, Gounod est séduit par la voix et par les courbes d'une de ses jeunes élèves, une certaine Rosalie Jousset. Pour pousser son avantage, il colle à la tendre mélodie des vers de Lamartine qui disent clairement à la jeune fille ce qu'il ressent. La jeune fille rougit, son sein se soulève à un rythme soutenu, sa respiration s'affole... Mais la mère de Rosalie s'émeut du tour pressant des leçons de Gounod et, découvrant le manuscrit de cette mélodie que le professeur a remis à sa fille, entreprend pieusement d'en remplacer les paroles par celles, latines, de l'Ave Maria... Gounod s'en amuse et décide d'adopter cette version: c'est ainsi qu'une mélodie sentimentale de circonstance, née d'une simple improvisation, devient un tube, ce fameux Ave Maria de Gounod, qui fera le tour du monde !
Mais l'ambivalence de Gounod va déboucher sur une première parenthèse brève mais tragique: en 1857, il doit être interné à Passy, chez le Dr Blanche (un aliéniste célèbre, qui soignera aussi Nerval ou Maupassant). Après quelques semaines, il peut sortir, se remettre au travail et trouver enfin l'oreille du public avec ce Faust créé le 19 mars 1859 sous le feu d'une critique sévère (à l'exception de Berlioz, fort élogieux), mais que le public apprécie sans doute à cause de son aspect très Second Empire, son côté Pierrefonds, qui en fait une nourriture idéalement «digeste». Pour autant, ce succès public ne fait pas de Gounod un compositeur à succès dans le domaine lyrique: La Reine de Saba, d'après Nerval, créée à l'Opéra devant Napoléon III le 28 janvier 1862, est un échec total. Même Mireille, d'après Frédéric Mistral, ne rencontre pas le succès escompté. En 1865, à Saint-Raphaël, il se lance dans un Roméo et Juliette, mais les crises d'angoisse le reprennent et il doit faire appel à nouveau au Dr Blanche, qui descend, le soigne sur place, puis le ramène à Saint-Cloud... où il termine son Roméo, créé au Théâtre Lyrique Impérial avec, enfin, un «feu d'artifice de succès» !
Mais toujours l'ambivalence. Gounod repart en 1868 pour Rome, où il traverse une nouvelle crise mystique, se lance dans l'écriture, ou du moins les esquisses de plusieurs œuvres religieuses et d'un «opéra chrétien», Polyeucte. Il se calme quelques mois... avant de replonger début 1870 dans une crise plus grave qui le conduit au bord de la psychose maniaco-dépressive : «Je me débats contre le vide... Ma tête se perd et se désole, je ne sais où j'en suis... Je ne vois plus clair: je ne sais plus où je vais... Vingt fois la tristesse me prend, je pleure, je me désespère et j'ai envie de m'en aller... Rien! La tête vide! Oh! Mon Dieu, que faire de mieux que d'accepter cette désolation du néant?»
La guerre et la chute du Second Empire arrivant sur ces entrefaites, il quitte la France et se réfugie à Londres: son style onctueux convient à la gentry anglaise et Faust est l'opéra favori de la reine Victoria. Mais à Londres, l'autre face de Gounod, sa sensualité faunesque, va trouver à s'exercer. Il y fait en effet la rencontre de Mrs Georgina Weldon, cantatrice amateur, executive woman avant la lettre et femme ardente, semble-t-il: c'est une liaison torride. Elle a 34 ans, il en a 53, elle est hystérique, il est exalté. Elle racontera leur première rencontre dans ses Mémoires: «Il commença à chanter et je n'écoutais que ses paroles qui m'allaient droit au cœur, qui remuaient les fibres de mon émotion. Je ne savais plus de quel côté regarder. Mes larmes qui avaient commencé à couler dès la première ligne étaient devenues un ruisseau, le ruisseau, un fleuve, le fleuve, un torrent, le torrent, des sanglots, les sanglots, une attaque de nerfs!»
À Londres, auprès de la blonde Mrs Weldon, il écrit «Polyeucte», son opéra chrétien
Crédits photo : Bridgeman Art Library/©Jean Bernard/Leemage
La femme de Gounod, lasse depuis longtemps des infidélités multiples de son mari, regagne la France; le mari de Mrs Weldon en revanche ne semble pas s'offusquer de cette aventure scandaleuse qui s'étale au vu et au su de tous. Décrivant Tavistock House, où vit le trio, un journaliste écrit: «C'est un temple de la musique dont Gounod est le dieu, MrsWeldon l'ardente prêtresse et MrWeldon l'apôtre convaincu.» Pourtant, les trois années qu'il va passer là vont être mouvementées pour Gounod: il compose beaucoup, termine son opéra chrétien, Polyeucte, entre deux séances fort peu chrétiennes avec Mrs Weldon. Elle se voit déjà le créer, écrivant: «J'ai la voix la plus extraordinaire qu'il ait jamais entendue, une voix des deux sexes. Il dit avoir trouvé en moi sa Pauline, l'héroïne de son nouvel opéra.» Mais il est souvent malade, épuisé peut-être par le fort tempérament de la blonde Mrs Weldon, il est même plusieurs fois atteint d'errance mentale... Plus le temps passe et plus il se sent séquestré, au bord de perdre complètement la raison ! Il est finalement littéralement enlevé par des amis qui le ramènent en France. Mais Mrs Weldon se venge en gardant le manuscrit de Polyeucte; ce qui déclenche une série de procès qui dureront des années. Plus tard, unissant dans une phrase ses deux penchants, Gounod se souviendra de Mrs Weldon en écrivant avec comme une nostalgie gourmande: «Priez pour cette femme qui m'a si bien persécuté.»
A cette crise anglaise à l'érotisme débridé succédera un nouvel élan de mysticisme exacerbé. Il n'écrira pas moins de douze messes entre son retour de Londres et sa mort, mais aussi, ambivalence jusqu'au bout, une étude sur le DonJuan de Mozart, renouant avec la découverte initiatique de sa jeunesse. Quant à Polyeucte, l'opéra chrétien engendré dans les circonstances que l'on connaît, sa création sera un échec complet...
Les indispensables de Gounod
On peut se passer de Polyeucte, on connait mille et une versions de l'Ave Maria (celle de Maurice André, à la trompette, avec un simple accompagnement d'orgue, est peut-être une des plus émouvantes; EMI), mais on ne doit pas manquer Faust, le chef-d'oeuvre lyrique de Gounod, dont la version de référence parmi beaucoup d'excellentes demeure celle dirigée par le grand Georges Prêtre avec Placido Domingo, Mirella Freni, Nicolaï Ghiaurov (EMI).