Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Flaubert, le maître et le sauveur
Olivier Frébourg livre un récit d'une grande humanité sur le métier de père. (Mercure de France)
Son admiration pour l'auteur de Madame Bovary permet à un père de traverser l'épreuve de la perte d'un enfant, dans Gaston et Gustave d'Olivier Frébourg.
C'était au lendemain d'un long week-end de Pentecôte à Saint-Malo. Le narrateur, qui aime les livres et les voyages, avait participé avec sa femme Camille au festival Étonnants voyageurs, qui réunit chaque année les amoureux des livres et des grands espaces. Le couple voyait l'avenir avec confiance. Une belle famille en perspective: déjà deux garçons, et des jumeaux à venir à l'horizon de septembre. Le lundi soir, le narrateur raccompagna sa femme dans leur maison près de Dieppe. Puis il prit le train pour Paris, comme il le faisait au début de chaque semaine, où il regagnait son studio-bureau, siège de la petite maison d'éditions qu'il dirigeait depuis quelques années et qui commençait à prendre son envol.
Le narrateur pensait à sa nouvelle vie: dans quelques mois, il serait père de quatre enfants. Son état d'esprit fluctuait entre l'euphorie et l'angoisse. Serait-il à la hauteur? Longtemps, il avait hésité entre faire des livres ou des enfants. Longtemps, il avait cru, comme Flaubert, son maître en littérature, qu'il fallait sacrifier sa vie à l'écriture. Aujourd'hui, il avait résolument changé d'avis.
Gaston, le vivant
Le bonheur ordinaire d'un quadragénaire dans la force de l'âge, Olivier Frébourg le décrit avec maestria dans l'ouverture de Gaston et Gustave. Cinq pages éblouissantes. À la sixième, on bascule dans le cauchemar. Dans la nuit du lundi au mardi, très précisément à 4 h 36, lorsque le narrateur est réveillé par sa belle-mère qui lui annonce que Camille est en train d'accoucher.
Quelques heures plus tard, il est au chevet de sa femme. Épuisée, dévastée, elle trouve la force de prononcer le prénom de leurs fils prématurés : Gaston, le vivant, Arthur, le mort.
Un autre livre commence. Nous devenons les témoins du combat acharné de Gaston pour respirer. Le narrateur ne peut se déprendre de l'obsession de dire, de ressasser: l'hôpital, la douleur, le remords, le chagrin, la culpabilité. En contrepoint à ces jours de souffrance restitués dans leur âpre vérité, le père convoque la figure de Flaubert, son voisin normand de Croisset, dans un va-et-vient magistral entre la réalité anxiogène (la lutte de Gaston) et la littérature qui permet de ne pas sombrer (les évocations de Gustave). Ce n'est pas que l'auteur de Madame Bovary dispense particulièrement la joie de vivre («le travail, écrivait ce démoralisateur patenté, c'est encore le meilleur moyen d'escamoter la vie»), mais il est le patron, la référence insurpassable. L'admiration comme antidote à l'angoisse.
Olivier Frébourg nous livre ainsi de magnifiques parenthèses sur la littérature en général et sur Flaubert en particulier. Flaubert le grognon, le triste, le sarcastique, dont les mots agissent pourtant comme un baume. Flaubert, le maître et le sauveur.
Le livre se termine par un souvenir. Le narrateur a emmené ses trois garçons dans la maison de Flaubert, à Croisset. Gaston, devenu un enfant qui veut être de toutes les aventures et de tous les voyages, ne conserve aucune séquelle de sa prématurité. Il s'amuse comme un fou avec ses deux frères dans le jardin de Flaubert. Au retour, sur la banquette arrière de la voiture, il lance: «Papa, elle est chouette, la cabane de Flaubert !» La relève est assurée.
Gaston et Gustave d'Olivier Frébourg, Mercure de France, 233 p., 17,90 €.