Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Décès de Vaclav Havel, autorité morale de la République tchèque
PRAGUE (Reuters) - L'ancien dissident puis président tchèque Vaclav Havel, décédé dimanche à 75 ans des suites d'une longue maladie, incarnait aux yeux de beaucoup l'autorité morale par excellence dans l'Europe de l'Est post-communiste.
La "conscience éclairée" de la République tchèque, usée par ses problèmes de santé, s'était retirée de la vie politique en janvier 2003, après une douzaine d'années à la présidence, tout d'abord de la Tchécoslovaquie, puis, après une brève interruption, de la République tchèque.
Dramaturge et dissident, il passa près de cinq années en prison dans les années 1970. Politique et intelligent, il fut l'artisan de la "Révolution de Velours" qui mit fin, en novembre 1989 à quatre décennies de régime communiste.
La Tchécoslovaquie se tournait alors vers l'économie de marché, mais Havel fut là pour rappeler à ses compatriotes que la recherche de la prospérité ne devait pas effacer la mémoire d'un peuple, et il fustigea, lui, grand amateur de rock et de Frank Zappa, la culture occidentale lorsqu'elle se résumait aux fast-food et aux sodas.
Durant ses années de présidence, loin des moments où il s'était adressé aux foules immenses sur la place Wenceslas, le président occupa une place plus distante mais toujours privilégiée dans le coeur des Tchèques.
Peut-être parce que, comme il l'admettait, il avait conservé "certains traits du dissident dans son comportement de chef de l'Etat".
En janvier 1997, une bande de dissidents aux cheveux longs se réunit au Château de Prague, la résidence présidentielle, pour célébrer le 20e anniversaire de la signature de la Charte 77, manifeste pour les droits de l'Homme et pavé dans la mare du communisme.
Paradoxalement, Havel, qui venait d'être opéré d'un cancer, ne put participer à la fête, mais il s'adressa aux participants dans un message enregistré.
"Ceux qui sont à l'origine de la Charte 77 ou qui, sachant parfaitement à quoi ils devaient s'attendre, l'ont signée plus tard, pouvaient-ils imaginer alors qu'ils la célèbreraient dans la salle espagnole du Château de Prague, comme citoyens d'un Etat libre ?" souligna alors le président.
UN RÔLE D'ARBITRE
Le chef de l'Etat, timide et nerveux en public, frôla la mort une première fois en 1996. Il fut hospitalisé pour une pneumonie mais les médecins découvrirent une tumeur maligne, qu'ils retirèrent. L'opération se passa mal, Havel fut atteint de fortes fièvres. La même année, il perdit Olga, épousée 32 ans auparavant, vaincue par un cancer en janvier.
Un an plus tard, il se remariait avec une actrice de 43 ans, Dagmara Veskrnova, et arrêtait le tabac. Mais les ennuis de santé ne cessèrent pas pour autant. Cancer du poumon, occlusion intestinale, bronchite aiguë, hernie, les séjours à l'hôpital du chef de l'Etat furent réguliers.
Malgré cela, il se représenta à la présidence tchèque en 1998 et le Parlement le réélit pour un mandat de cinq ans.
Havel appréciait son rôle d'arbitre, celui-là même qui l'avait propulsé sur le devant de la scène en 1989, lorsqu'il avait négocié la capitulation du pouvoir pro-soviétique.
Vaclav Havel est né en 1936 dans une famille d'entrepreneurs en bâtiment très impliquée dans la vie culturelle et politique tchécoslovaque de l'entre-deux-guerres.
L'arrivée au pouvoir des communistes, en 1948, prive la famille de la plupart de ses biens et à quinze ans, une fois terminée la scolarité obligatoire, le jeune Vaclav n'est pas autorisé à poursuivre des études au lycée.
Il devient apprenti dans un laboratoire de chimie et prend des cours du soir pour achever sa formation secondaire, ce qu'il parvient à faire en 1954.
Mais, pour des raisons politiques, l'accès à l'étude des sciences humaines dans un établissement d'enseignement supérieur lui est interdit. Il s'inscrit alors à la Faculté d'Economie de l'Université technique Tchèque, qu'il quitte au bout de deux ans.
A son retour du service militaire, il travaille comme technicien dans des théâtres, au Divadlo ABC puis, au Divadlo Na zabraldi et, de 1962 à 1966, il suit des cours par correspondance à la Faculté de Théâtre de l'Académie des Arts musicaux.
Depuis l'âge de vingt ans, Vaclav Havel a publié divers articles et critiques dans différents périodiques littéraires. Ses premières oeuvres seront montées au Divadlo Na zabraldi, notamment "La garden party", en 1963.
QUAND LE PRÉSIDENT ET L'ÉCRIVAIN SE REJOIGNENT
Il est l'une des figures de la prise de conscience civique du Printemps de Prague, en 1968, période au cours de laquelle il produit "Le mémorandum" (1965) et "La difficulté accrue de se concentrer (1968).
Après l'écrasement du Printemps de Prague, ses oeuvres seront interdites de publication en Tchécoslovaquie.
Cofondateur de la Charte 77 dont il fut l'un des trois porte-parole, il a effectué plusieurs séjours en prison. Mais en pleine effervescence, en plein tumulte de la fin de l'empire soviétique, il garda la tête froide.
Dès le début de la Révolution de Velours, en novembre 1989, il devient la figure de proue du Forum civique, qui regroupe des organisations et des personnalités réclamant des changements fondamentaux du système politique tchécoslovaque.
Il négocie la fin du régime communiste et, sept semaines plus tard, après avoir été élu président de l'Assemblée fédérale de Tchécoslovaquie, il s'installe au Château, d'où il voit arriver de nouveaux dirigeants, des technocrates avec lesquels il ne s'entend guère.
Comme par exemple Vaclav Klaus, nommé Premier ministre en 1992, monétariste convaincu, qui s'oppose à Havel pour imposer la partition de la Tchécoslovaquie la même année.
Havel démissionne alors de la présidence tchécoslovaque pour devenir président de la nouvelle République tchèque un an plus tard. Mais ses relations restèrent tendues avec Klaus et les deux hommes apparurent très rarement ensemble en public.
De son château, Havel défendit l'intégration de la République tchèque au bloc occidental, de l'Otan à l'Union européenne. Mais, devant le parlement de Strasbourg, il mit l'Europe en garde contre les "symptômes de l'égoïsme national, de la xénophobie et de l'intolérance raciale", l'invitant à faire l'"examen critique" de ses valeurs.
Le président et l'écrivain se rejoignirent alors. De ses "Lettres à Olga" à "Largo Desolato", Vaclav Havel n'aura jamais cessé de s'interroger sur les responsabilités morales de l'homme et le respect des libertés.
Jean-Loup Fiévet pour le service français, édité par Benjami Massot