Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
À Orsay, Degas avoue ses secrets
Degas partageait tout avec son ami Henri Rouart, ces nus exceptés. Des feuilles comme cette Femme sortant du bain , pastel sur monotype à l'encre noire exécuté vers 1886, étaient en général classées confidentiel. Gauguin l'a pourtant copiée. Degas a, en effet, dérogé à sa règle en montrant au public parisien quelques-unes de ses baigneuses en 1886 et en 1888. Il nourrissait alors le projet de créer un nu monumental. Les critiques pleuvront. Mais Gauguin comme Toulouse-Lautrec discerneront là une voie nouvelle. Crédits photo : Sotheby's/Coll. part./Musée d'Orsay
L'exposition au Musée d'Orsay qui court du 13 mars au 1er juillet 2012 redécouvre les femmes de Degas.
Oubliées, les danseuses. Sous les tutus, il y avait des corps, derrière les salons mondains des bordels, dans l'arrière-salle de modistes et des blanchisseuses de pauvres salles d'eau.
Les femmes que Degas représente, déshabillées plutôt que nues, ont pourtant posé dans son atelier. C'est là qu'il y avait le tub, cette bassine plate où elles faisaient mine de s'ébrouer. Degas cherchait aussi ce naturel-là. On ne le sut vraiment qu'après sa mort. Jusqu'alors, les amateurs n'avaient eu sous les yeux que la formidable série présentée à l'ultime exposition impressionniste de 1886.
Lorsqu'on inventoria l'atelier, on découvrit, outre des sculptures (encore des corps), ces audacieuses compositions. Elles proliféraient. Quelques peintures et surtout des dessins, des estampes aux noirs raffinés et ces fameux pastels si variés, admirables, indépassables, sauf peut-être par Redon.
Orsay s'apprête à réunir ce corpus. Il témoigne d'une obsession cachée chez ce célibataire endurci doublé d'un avare en confidences amoureuses que fut Degas. «Il n'est pas capable d'aimer une femme, ni même de le lui dire, ni de rien faire», assurait Berthe Morisot. Elle se trompait.
Après le bain (Femme s'essuyant), vers 1896. Crédits photo : Droits réservés/Philadelphia Museum of Art/Musée d'Orsay
Ici, Degas se révèle à la fois effrayé par la syphilis qui ravageait son entourage (une personne sur sept à Paris et bien encore plus le milieu des rapins, des grisettes et des ballerines) et fasciné par ces intimités que lui permet son métier. Tout vrai peintre ne peut être que voyeur. Esthétiquement parlant, il combat le nu académique. Ses fesses et ses nénais ne sont pas ceux des Vénus mythologiques et des Suzanne bibliques. Il les veut résolument contemporains.
Cette vérité toute nue n'est toutefois jamais obscène ni dégradante. Les croquis de tel lupanar ne jugent pas. On sent la routine, le quotidien, parfois la drôlerie. De même, les rondeurs de telle silhouette ne se mesurent pas. Plus que Monet ou Renoir, Degas a appris et maîtrise les canons de la beauté néogrecque, mais c'est pour mieux s'en passer.
Bien sûr, du coup, il rend l'animalité aux êtres. Parfois de manière très expressionniste. Mais ne fait-elle pas partie du réel? «J'ai peut-être trop considéré la femme comme un animal», regrettera-t-il toutefois l'âge venu.
Le Tub, 1886. Crédits photo : H.Lewandowski/RMN-Musée d'Orsay/© RÈunion des MusÈes Nationau
Entre prostitution et bourgeoisie
On ne saura jamais qui étaient ces modèles. Les visages sont laissés dans l'imprécision ou cachés sous leur formidable chevelure qui cascade au moment de la coiffure.
Leur milieu même est flou, entre prostitution et bourgeoisie. Demeurent leurs courbures excessives, leur solitude dans des angles de vue étranges, saisies comme par accident pour donner l'impression de l'instant.
Et aussi les fonds sombres de monotypes, sophistiquées comme des poèmes de Mallarmé. Et enfin les poussières merveilleusement agglomérées des pastels tout en nuances dorées. Ils annoncent les feux d'artifice jaune, mauve, rose de Bonnard. Avec le temps, Degas hésite de moins en moins: le voilà avec en main un vert pomme, un rose fluorescent, un canari.
Xavier Rey, le commissaire, décrit ces travaux avec une belle acuité dans le catalogue: «libres camaïeux de bruns et de bleus opaques et transparents» ou «pigment en hachures parallèles denses, parfois fondues à l'estompe»…
Soit une réalité cristallisée dans l'art, par-delà le bien et le mal. «C'est dans le commun qu'est la grâce», assurait Degas. II ne l'a jamais prouvé plus fortement que dans ces nus.
Au Musée d'Orsay, Paris VIIe,du 13 mars au 1er juillet. Catalogue Hazan, 352 p., 40 €. Tél.: 01.40.49.48.14. www.musee-orsay.fr
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