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Catégories : L'actualité

Amaury de Hauteclocque, le visage du Raid

Par Nicolas Ungemuth Publié le 12/04/2012 à 12:27
Amaury de Hauteclocque, avec quelques-uns des 200 hommes du Raid.
Amaury de Hauteclocque, avec quelques-uns des 200 hommes du Raid. Crédits photo : Jean-Pierre Rey pour Le Figaro Magazine

PORTRAIT - Critiqué par certains pour sa gestion de l'affaire Merah, le chef du Raid a effectué un parcours brillant. Portrait d'un battant.

Sur son bureau, plusieurs couteaux qui n'ont pas été designés par Philippe Starck pour éplucher les navets. Au mur, derrière lui, deux fusils d'honnête calibre se croisent. Pas de doute: le rendez-vous n'a pas été pris chez un notaire, mais bien avec le chef du Raid en son fief, sur le site de Bièvres, à quelques encablures de Paris.

Le public a découvert Amaury de Hauteclocque il y a seulement quelques semaines. Le patron de la plus mythique des unités de la police française avait alors été amené à s'expliquer devant les caméras. Il faut dire qu'à l'issue de l'affaire Merah, à Toulouse, l'homme avait été insidieusement critiqué en plein déroulement de l'opération qu'il menait. Au rang de ces inquisiteurs, un ancien patron-fondateur du GIGN (nous y reviendrons), un député socialiste défouraillant de puissants SMS et, naturellement, des milliers de quidams sachant mieux que tout le monde ce qu'il aurait fallu faire. Les reproches étaient invariables: pourquoi tant de temps (trente-deux heures d'assaut) et tant d'hommes pour circonvenir un seul malfrat? Les diverses autres propositions étant d'un ordre assez fantaisiste: lâcher de boules puantes pour endormir le proverbial «forcené», envoi de jus de citron dans l'œil et, éventuellement, tir de lance-pierre dans le plexus solaire (personne, à l'heure où nous imprimons, n'a encore envisagé le fluide glacial...). Arrivait enfin, après l'affaire, la cohorte des habituels complotistes agités du bocal, jusqu'au père de la victime, visiblement un modèle de paroissien: «Mohammed Merah travaillait en réalité pour les renseignements français, il fallait donc l'abattre pour qu'il ne parle pas,» CQFD (un homme du Raid explique, en aparté: «S'il avait fallu le tuer dès le début, une simple rafale de G36 l'aurait coupé en deux instantanément...»), la preuve par 300 cartouches, il aurait crié avant d'être abattu: «Pourquoi me tuez-vous? Je suis innocent!» D'ailleurs, sans doute n'est-il pas mort, mais en train de vendre des kebabs avec Elvis au Burkina Faso... Quelles meilleures preuves de l'incompétence d'Amaury de Hauteclocque?

Issu d'une famille où on choisit le métier des armes, il choisit la police

 

Amaury de Hauteclocque est le patron du Raid depuis 2007.
Amaury de Hauteclocque est le patron du Raid depuis 2007. Crédits photo : Jean-Pierre Rey pour Le Figaro Magazine

 

Dans son bureau, on se demande si ces courageux donneurs de leçons les lui donneraient en face. Ce n'est pas tant la taille qui impressionne - les hommes du Raid ne sont pas à proprement parler des brindilles - que son regard. Plus que pénétrant, un vrai coup de bélier. La belle gueule est également d'un genre particulier: toute en longueur, avec une mâchoire massive. Au choix, un Rupert Everett viril ou un héros de Disney avec les cheveux poivre et sel coupés très court. Lorsque nous le rencontrons, Amaury de Hauteclocque et les hommes gérant sa communication - pas le genre des demoiselles de l'Efap (Ecole française des attachées de presse, ndlr), ils viennent du Raid et des GIPN - ont manifestement deux obsessions: d'abord parler de leur unité d'élite, ensuite faire en sorte que le chef ne soit pas trop mis en valeur. Noble désir, mais il faut bien écrire un article. C'est sous la torture que la montagne accepte de livrer quelques bricoles. D'abord les dents serrées, puis, plus détendu du gilet, cet homme au langage châtié dont la chevalière, le prénom, la particule et le patronyme doivent détonner dans l'exercice de ses fonctions, livre au compte-gouttes quelques éléments.

Il a grandi dans «l'Ouest parisien» dans un milieu «traditionnel et aristocrate» où la plupart des mâles ont «choisi le métier des armes». Petit-neveu du maréchal Leclerc de Hauteclocque, il ne le dit pas. Il pense avoir eu une première chance dans sa vie: «Contrairement à mes cousins, nous n'avons pas hérité du château familial et par conséquent n'avons pas eu à nous transformer en exploitants agricoles pour entretenir la bâtisse: mon grand-père l'avait vendue pour s'installer en Indochine afin d'exploiter le caoutchouc. C'est là que mon père est né. Ils ont tout perdu au moment de l'indépendance et sont venus s'installer dans l'Ouest parisien.»

Le patron du Raid fréquente des collèges privés avant de finir, pour sa première et sa terminale, dans une pension en Normandie, chez les Jésuites. Pourquoi donc? Hauteclocque n'avait pas de réel problème scolaire («J'avais la malice des feignants consistant à en faire le minimum pour passer en classe supérieure», admet-il), mais d'autres, plus surprenants: «J'étais très turbulent, c'est le moins qu'on puisse dire. Les établissements parisiens ne voulaient plus de moi parce que j'avais un énorme problème avec la discipline.» Étonnant pour un fils de militaire et futur flic. Le paradoxe ne le surprend pas outre mesure: «À l'armée ou à la police, il y a l'esprit d'aventure, et la chance que je me suis fixée de pouvoir vivre les événements de l'intérieur. Je n'ai jamais souhaité m'intégrer dans un système hiérarchique très lourd.»

Plus grégaire que solitaire, entouré d'une vaste bande de copains, pratiquant le rugby et le tennis, Hauteclocque vit sa jeunesse dorée comme ses congénères issus du même milieu: «J'étais un jeune homme de mon temps, fréquentant les soirées étudiantes, etc.» On lui demande, narquois, s'il était le champion des rallyes, il répond, souriant d'un air entendu: «Entre autres, entre autres: je n'ai pas laissé ma part aux chiens.»

Un rêve d'enfance: attraper les méchants

Lorsqu'il est en pension, il décide de se diriger vers la police plutôt que vers l'armée, rompant avec la tradition familiale: «J'avais le sentiment, à l'époque, que les choses se passaient au cœur de la cité et qu'on pouvait mieux les vivre au sein de la police. Je dois préciser que mon choix s'est opéré avant la chute du Mur et qu'alors les armées ne bougeaient pas: tout le monde était stationné en vue d'une confrontation massive Est/Ouest. L'idée de cette attente l'arme au pied ne me convenait pas.»

Mais d'abord, il faut faire son service. Préparation militaire parachutiste, commandos marine, intégration à l'Elis (Élément léger d'intervention spéciale) de Lorient, où il passe une année «extraordinaire».Son choix est fait, c'est l'obsession de la police, où on peut mieux «attraper les méchants». D'ailleurs, il a déjà en poche le concours après un troisième cycle de droit à Assas (where else?) et entre à l'école des commissaires, dont il sort parmi les premiers, «afin d'être sûr d'obtenir les quelques rares postes de la police judiciaire réservés aux meilleurs». La suite est impressionnante: avec ou sans l'aide, ici et là, de son ami d'enfance Frédéric Péchenard, actuel directeur général de la police nationale («le fil rouge de ma carrière à la police»), avec qui il jouait au billard lorsqu'il avait 12 ans, il intègre la brigade criminelle, puis la brigade des stups. Péchenard propose à Hauteclocque de reprendre la section antiterroriste de la crim' au moment où il descend de l'avion: il revient de Colombie pour une affaire de cocaïne ; le lendemain, «jet lagué», il doit arrêter à Sartrouville des salafistes dont il ignore tout, avec des hommes qu'il ne connaît pas.C'est un coup rude pour la vie de famille mais un puissant coup de rein professionnel: «Je quitte les stups où je travaille la nuit et ne vois jamais mes enfants en bas âge. Je suis ravi de filer à la section antiterroriste, très paisible à l'époque, mais j'y arrive en octobre 2001, un mois après les attentats de New York. Le rythme est très soutenu, je peux vous le dire.»

À la maison, de toute manière, madame a compris depuis longtemps: «Je me suis marié en juin 1995 avec un voyage de noces prévu en septembre. Nous n'avons pu le réaliser que trois ans plus tard! Autant vous dire qu'elle a tout de suite compris l'impact de ma vie professionnelle sur la famille.» Les enfants ont grandi. La petite a aujourd'hui 12 ans, l'aîné, 15. Le chef maintient le grand écart comme il peut: «Mon fils marche sur les traces de son père en termes d'énergie, je n'ai pas particulièrement envie de fertiliser ce terreau-là. Il est fasciné par les armes, les sections d'assaut, etc. Je fais tout pour les tenir éloignés de la réalité de mon métier et ne pas les inquiéter inutilement.»

Il déteste les romans policiers, vient de refermer Voyage au bout de la nuit après avoir «adoré Les Bienveillantes». Dans sa résidence secondaire, sur la côte atlantique, il lit et relit Les Poneys sauvages, mais n'est pas allé au cinéma «depuis Ben Hur, c'est dire mon retard».

«Pas commentateur, acteur»

Parce que depuis, le même Frédéric Péchenard lui a proposé la direction du Raid. Une unité dont il est infiniment fier, comportant 200 hommes et autant de champions dans leurs spécialités respectives, sélectionnés via les épreuves drastiques que tout le monde connaît (en 2010-2011: 350 dossiers pour 1 élu). Amateur de métaphores musicales - et du mot «foultitude», très haut XVIe, années 1980 -, Amaury de Hauteclocque estime qu'il tient un «orchestre dans lequel chacun joue de son instrument mais doit respecter le rythme et le diapason souhaité par le chef afin de faire ce qu'il a à faire».

Il assure que «tout se passe au mieux avec le GIGN, contrairement à ce que certains ont voulu laisser entendre dans l'espoir de nous diviser». Il parle bien sûr de Christian Prouteau, pour ne pas le nommer, ancien chef du GIGN qui s'est largement répandu, et en direct avec ça, sur la gestion de l'affaire toulousaine... «Je tiens à dire une chose, affirme Hauteclocque, d'une voix soudainement beaucoup plus ferme. En tant que professionnel, jamais, je dis bien JAMAIS, je ne prendrai le risque de me prononcer ou de porter un jugement de valeur sur une opération en cours. Qu'on me critique après, je suis prêt à l'accepter, mais pendant, alors que nous sommes en train de risquer nos vies, je trouve cela indécent.» Que lui dirait-il s'il devait le croiser? «Rien. Je n'ai rien à dire à ces gens-là. Moi, je ne suis pas commentateur, je suis acteur. C'est la différence entre lui et moi.»

À titre personnel, le chef du Raid est-il frustré de ne pas avoir coincé Mohammed Merah vivant? La réponse ne tarde pas: «Oui, bien sûr. Évidemment. C'était ma mission et je garde beaucoup d'amertume de n'avoir pu l'honorer. Mais je n'ai aucun regret parce que ce que j'ai fait, je devais le faire pour protéger la vie de mes hommes. Ces quatre blessés que nous avons eus l'ont été parce que nous avons tout fait pour l'avoir vivant. Il était impossible d'aller plus loin.»

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