Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Groupe Hersant: Bernard Tapie et les démons du Midi
Bernard Tapie, Etienne Mougeotte, François Pinault et leurs alliés se disputent le rachat des quotidiens méridionaux du groupe Hersant. Pourquoi tant de convoitises pour des titres à la santé fragile? Enjeux d'un match où l'ex-patron d'Adidas et de l'OM fait figure de favori.
MEDIAS - Qui de Bernard Tapie, d'Etienne Mougeotte et de François Pinault l'emportera ?
afp.com/Jacques Demarthon
Le premier, Bernard Tapie (67 ans), est un touche-à-tout jamais rassasié, une figure dumonde des affaires et de la politique, un flibustier de la finance devenu comédien. Le deuxième, Etienne Mougeotte (72 ans), est un poids lourd de l'univers des médias, un baron de la presse aux traits parcheminés, le dernier des Mohicans d'une génération de journalistes inoxydables. Tapie le bulldozer contre Mougeotte le chanoine! C'est l'affiche prometteuse d'un choc annoncé sur les bords de la Méditerranée, où ces deux hommes s'affrontent autour de la reprise du groupe de presse qui ceinture la région: de Nice à Bastia, de Marseille à Monaco. Pour pimenter encore cette confrontation, médiatico-politique et aux multiples enjeux, un troisième homme a fait son apparition: l'industriel et propriétaire de l'hebdomadaire Le Point, François Pinault.
Mais quelle est donc la raison de ce soudain emballement? Tout bonnement, la perspective d'une vente en bloc de plusieurs bastions de la presse quotidienne régionale française, parmi lesquels deux institutions, La Provence et Nice-Matin. Qui aurait imaginé, voilà seulement quelques mois, que ces journaux, à l'état de santé fragile, déclencheraient de tels appétits? Qui aurait pu penser qu'il y avait encore en France des hommes suffisamment intrépides- ou inconscients? - pour vouloirrafler, sur fond de crise du lectorat et de la publicité, un chapelet de titres nichés au coeur d'un groupe au bord du collapsus industriel et financier? En l'occurrence, les vestiges du groupe Hersant, mené aujourd'hui par le dernier du nom, Philippe Hersant.
L'histoire de cette dynastie semble maudite, car, seize ans après la disparition du fondateur, Robert Hersant, et la dilapidation d'un empire de journaux vendu à l'encan, le fils du célèbre "papivore" risque à son tour la banqueroute. Avec 6000 salariés (dont 4000 pour la seule région Paca) et 700 millions d'euros de chiffres d'affaires, Groupe Hersant Média (GHM) affiche une perte colossale de 261 millions d'euros!
Chaque jour, la menace du dépôt de bilan se rapproche
Depuis l'été, c'est cette ardoise qui est au coeur d'intenses tractations. Elles opposent un pool d'établissements bancaires (17 au total), emmené par BNP Paribas, Natixis et la Société générale, à l'industriel, sommé de trouver d'ici au 8 décembre - date limite de dépôt des offres de reprise - une issue à cette crise. C'est aussi un groupe plombé par une dette de 210 millions d'euros, que négocient pied à pied les deux principaux candidats repreneurs avec les créanciers, remontés contrele propriétaire, Philippe Hersant, et sa gestion.
Le temps presse. Chaque jour qui passe, en effet, voit la menace d'un dépôt de bilan se rapprocher. Le risque d'un effondrement de l'entreprise est tel que l'Elysée - inquiet de la déflagration qu'entraînerait sa chute dans cette région - suit le dossier de près. L'affaire est devant le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) depuis cet été. Philippe Hersant n'oubliera jamais son tout premier contact, au coeur du mois de juillet, avec les équipes du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg. Dans un climat d'extrêmetension, il s'est vu sommer decéder son entreprise pour 1 euro symbolique en échange de l'effacement de sa créance. A l'Elysée, on est alors convaincu que l'héritier sera bientôt à terre et que son groupe tombera comme un fruit mûr.
Acculé, Philippe Hersant sort KO debout de cette réunion. Il sait que se joue l'histoire de sa vie. Il va se démener tout l'été afin de reprendre la main. Il dégraisse son groupe, se débarrasse des foyers de perte, orchestrant notamment la vente des deux poids morts que sont les pôles Paris-Normandie et Champagne-Ardenne. Dans le même temps, nouant discrètement et demanière très habile des premiers contacts avec Bernard Tapie - par l'entremise de leur avocat commun, Maurice Lantourne - il prend Arnaud Montebourg et l'Elysée de vitesse.
Le 22 novembre, Philippe Hersant et l'ancien patron de l'OM se retrouvent ainsi à Bercy face à une brochette de cols blancs du Ciriet de représentants des banques. Le ton est alors tout autre. Bernard Tapie n'y va pas par quatre chemins: il s'engage à reprendre 20% de la dette du groupe (à hauteur de 50 millions d'euros) et à investir, dans une seconde phase, entre 55 et 60 millions d'euros. Si BNP Paribas espérait un effort plus important, la totalité des autres établissements bancaires valident ce plan qui les contraint à abandonner 150 millions d'euros de créances. Pour l'ancien ministre de la Ville, l'objectif est clair: il s'agit non seulement de mettre la main sur La Provence et la Sapo - la société éditrice de Nice-Matin, Var-Matin, Corse-Matin et Monaco-Matin -, mais aussi de capter la pépite du groupe Hersant, à savoir les journaux du pôle France-Antilles. "Tapivore!" S'il aboutissait dans les jours qui viennent, l'homme d'affaires réaliserait un coup spectaculaire. Quant à Philippe Hersant, il pourrait s'estimer miraculé. Désendetté et remis à flot, l'héritier serait assuré de conserver un pied solide dans le nouvel ensemble.
Les chiffres devraient inciter les repreneurs à la prudence
"Mais que va donc faire Tapie dans cette galère?" s'interrogent nombre d'observateurs. De quoi parle-t-on, en effet? Les ventes cumulées de ce groupe de journaux dépassent à peine 350 000 exemplaires. Quant aux résultats financiers, d'une opacité parfois troublante, même pour les banques, ils inciteraient plus d'un repreneur à la prudence: en 2011, la Sapo a réalisé un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros pour un bénéfice de moins de 1,2 million. Quant au vaisseau amiral, La Provence, son influence sur la Canebière est inversement proportionnelle à sa puissance: le titre adégagé 5 millions d'euros de résultat en 2011, pour un chiffre d'affaires de 80 millions.
Tapie ou Mougeotte? La peste ou le choléra!
Rien qui ne décourage Tapie ni son rival, Etienne Mougeotte. Face à l'axe Tapie-Hersant, l'homme depresse fourbit ses arguments, en vue du rendez-vous du 8 décembre. S'appuyant sur l'un de ses vieux complices d'Europe 1 et de TF1, le journaliste Charles Villeneuve, et sur les conseils d'un banquier, l'ancien président du Crédit Lyonnais, Jean Peyrelevade, l'ex-patron du Figaro - quotidien dont il a été évincé cet été - s'est associé à une figure des milieux d'affaires franco-libanais, Iskandar Safa (voir l'encadré). Ce trio se dit prêt à injecter entre 50 et 70 millions d'euros dans l'aventure. Habitué au combat (il a fait ses premières armes dans les rangs del'Unef, en 1968!), l'ancien n° 2 de "La Une" résistera-t-il à l'offensive d'un Tapie décidé à revenir au premier plan? Rien n'est moins sûr. Car même si l'ancien propriétaire d'Adidas s'en défend publiquement, la prise de contrôle de ce groupe de presse répond à une stratégie longuement mûrie, où la politique occupe une place clef. Très attaché à la cité phocéenne, l'homme d'affaires convoiterait tout simplement la mairie. A moins de deux ans des élections municipales, ce parachutage sur La Provence a donc de quoi mettre le landerneau marseillais en émoi.
Bernard Tapie ou Etienne Mougeotte? La peste ou le choléra! C'est en substance, résumé de manière brutale, le sentiment de l'Elysée, qui observe ce mano a mano avec circonspection. L'entourage du chef de l'Etat ne s'en cache pas: François Hollande, qui fait du sauvetage du groupe de presse une priorité, ne porte aucun de ces deux hommes dans son coeur. Le premier est à ses yeux le symbole exécré de l'affairisme en politique. Quant au second, il ne lui a jamais vraiment pardonné d'avoir fait la campagne de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro. Aussi a-t-il approuvé sans bruit la décision de Serge Dassault de décapiter son lieutenant en signe d'apaisement, le 12 juillet dernier.
Est-ce pour cette raison que François Hollande verrait d'un bon oeil l'arrivée dans l'arène d'un troisième gladiateur? Dès cet été, ses émissaires se sont mis enquête d'un repreneur ami. C'est ainsi qu'avec le soutien de BNP Paribas, qui ne veut pas d'une solution Tapie, Arnaud Montebourg a tenté ces tout derniers jours d'emmener Fiducial dans l'aventure. L'arme anti-Tapie? Le ministre connaît bien cette société depuis qu'il a encouragé, cet été, la reprise par ce groupe français d'expertise-comptable et de services aux entreprises de la société de gardiennage, Neo Security. C'est ainsi, également, que le cabinet du chef de l'Etat a sollicité François Pinault. Homme d'influence et fidèle de Jacques Chirac, le milliardaire entretient d'excellents rapports avec le locataire de l'Elysée, en compagnie duquel il a dîné à plusieurs reprises, par l'entremise de son ami Jean-Pierre Jouyet, nouveau directeur général de la Caisse des dépôts. Cette relation s'est consolidée durant la campagne présidentielle; plus précisément, au lendemain même du meeting de François Hollande au Bourget. Ce jour-là, l'industriel a laissé un message de félicitations sur le portable du candidat et, depuis, a fait en sorte que l'on sache partout qu'il avait voté pour lui.
Pinault à Tapie: "Je ne suis pas intéressé"
François Pinault, qui n'a pas oublié que la politique est faite de menus services, se lancera- t-il pour autant dans la bagarre? Le 22 novembre, inquiet de cette rumeur persistante, Bernard Tapie a téléphoné, en présence de Philippe Hersant, à l'intéressé, pour en avoir le coeur net: "Si tu y vas, je jette l'éponge", lui a-t-il dit. La réponse du Breton se serait voulue claire: "Je ne suis pas intéressé". Toujours circonspect à l'égard des propos de l'industriel, qui a regardé et étudié le dossier de très près, Bernard Tapie l'a rappelé au début de la semaine dernière. Cette fois encore, Pinault aurait balayé l'hypothèse d'un revers de main, expliquant que c'était le patron de la rédaction et le PDG du Point, Franz-Olivier Giesbert et Cyril Duval,qui "s'agitaient dans Paris".
François Pinault dit-il vrai ou avance-t-il masqué? Sur les bords de la Canebière, dans les étages de La Provence, les pronostics vont bon train. Dans la dernière ligne droite, Bernard Tapie et son allié semblaient se rapprocher un peu plus du but. Mougeotte le sait, lui qui a vu Tapie apprendre les règles du poker à l'ancien PDG de TF1, Patrick Le Lay: quand cet homme tient les bonnes cartes en main, il est imbattable.
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