Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
DAMES D'ÂGE EN ÂGE
LE MAGAZINE LITTÉRAIRE
(Janvier 2013)
Par une spécialiste de la biographie, un bel essai étudie la manière dont la littérature peut dire l'expérience du vieillissement, vue du côté féminin.
Revues vouées au «bien vieillir», études scientifiques sur les splendeurs et misères de l'âge, vogue des grands-mères dynamiques dans les publicités, reverdies décomplexées sur grand écran (Les Petits Ruisseaux, Peindre ou faire l'amour…).
À l'heure où tout discours métalittéraire s'engage dans une juteuse ruée vers le vermeil, l'essai joyeux de Martine Boyer-Weinmann vient à point nommé rappeler l'apport anthropologique que nombre de ces disciplines doivent au meilleur observatoire du vieillissement: la littérature. Dans le sillage d'un projet de recherches interdisciplinaires autour du «vieillir», mené à l'université de Clermont-Ferrand, cette spécialiste de la biographie choisit de se concentrer sur l'expérience féminine et contemporaine de ce jeu de ruptures, de transitions, avances-rapides et retours en arrière du processus de sénescence. Débobinant le tenace fil de Parques qui lie Sand et Colette à Doris Lessing ou Benoîte Groult, elle tisonne à loisir les éternelles questions: Quand commence la vieillesse? Hommes et femmes sont-ils égaux devant elle? Et qu'apprend-on à vieillir? On croise alors Marguerite Duras, victime d'une brutale «poussée du temps» à 18 ans, Dominique Rolin, occupée à stranguler «lady Mémoire», Nancy Huston, exprimant la délivrance paradoxale de n'être plus interpellée dans la rue, ou encore Nuala O'Faolain, dont les héroïnes prouvent combien le vieillir est aussi une épreuve du temps socialisée et culturalisée. Mais c'est surtout à Simone de Beauvoir, Annie Ernaux, Régine Detambel et Hélène Cixous que l'auteur consacre ses plus beaux chapitres. Au Castor, un itinéraire à la Benjamin Burton, ce jeune homme né vieux et rajeunissant au fil des ans; à Ernaux, l'expérience d'un vieillir discontinu, précipité ou suspendu au rythme des passions et déconvenues amoureuses; à la kinésithérapeute, le déchiffrage émerveillé des peaux tâchées ou striées; et, à la dramaturge, la dispute régulière avec sa mère quasi centenaire, dont les inventions linguistiques, destinées à colmater les brèches de sa mémoire, portent en elles-mêmes une «nouvelle intelligence du monde». Qu'on ne se figure pas cependant un simple répertoire de représentations du grand âge. Camille Thomine
L'écriture des femmes semble plus tonique
Pour «Vieillir, dit-elle», l’universitaire Martine Boyer-Weinmann a lu les écrivains mûrissant — les femmes surtout — pour entendre les peurs et les joies de l’âge
«La vieillesse appartient à cette catégorie que Sartre a appelée: les irréalisables», écrivait Simone de Beauvoir dans «La Vieillesse» (1970). L’écriture semble chez certains auteurs le lieu même du questionnement de cette impossibilité... Quelle différence entre le vieillir-homme et le vieillir-femme? La littérature écrite par des hommes ou des femmes prend-elle en charge différemment la question du vieillissement? Il y a une intelligence du vieillir, qui va de pair avec l’humour, dites-vous. La belle vieillesse présuppose-t-elle un certain degré d’ironie sur soi? EXTRAIT «Une première définition minimale de ce premier cap du vieillissement, cette perception intime et taraudante, m’est soufflée par une réflexion de Benoîte Groult. S’il vient un jour (lointain encore) où “vieillir est un boulot à plein-temps”, où l’on est “vieux tout le temps”, la maturité pourrait être cet état métabolique contradictoire, troué de crises de rajeunissements, où le sentiment de vieillir l’emporte sur la réalité observable, ou au contraire n’est perceptible, à temps partiel, que lorsque la rumeur du monde s’en fait l’écho. De cette confusion des âges installée à partir de la quarantaine dans l’inconscient collectif des femmes de la fin du XXe siècle, l’entreprise littéraire d’Annie Ernaux dessine lucidement la cartographie accidentée.» Ce qu'elles écrivent de la «poussée du temps»DIDEROT lui a définitivement réglé son compte. La «belle vieillarde» n’existe pas. Par définition: «La nature douce, molle, replète, arrondie de la femme, toutes qualités qui font qu’elle est charmante dans la jeunesse, font aussi que tout s’affaisse, tout s’aplatit, tout pend dans l’âge avancé.» Les canons de la beauté ont beau avoir changé, les féministes ont beau avoir revendiqué l’égalité devant le corps et le désir, trois siècles plus tard, le vieillissement est toujours présenté comme une calamité ; l’industrie de la beauté fait d’ailleurs preuve d’une inventivité sans égale pour prouver aux femmes qu’elles ne doivent en aucun cas y consentir. Les premières rides arrivent pourtant. Beauvoir appelle cela «avoir un âge», une formule qui dit tout et ne révèle rien de cette ligne d’ombre avec laquelle il faut vivre après 40 ans. Quelque chose se dessine pourtant sous l’œil de Martine Boyer-Weinmann, lectrice précise et subtile, en quête de cette énigme, le vieillir féminin, chez des écrivaines contemporaines. Que se passe-t-il quand, comme le dit Régine Détambel, peu à peu, «les gradins se vident»? Accablement, révolte, acquiescement, et la contradiction dynamique de ces sentiments mêlés emporte la plume de Beauvoir, Ernaux, Cixous, Rolin... Mieux que les traités de psychologie ou d’anthropologie, la littérature nous révèle comment les femmes s’accommodent, s’interrogent, et finalement font face à cette «poussée du temps». Pas de lamentations vindicatives, plutôt les aveux d’une euphorie qui le dispute au désespoir, des confessions sur la cruauté de l’invisibilité et sur la joie d’une possible reprogrammation de soi. Une chose est sûre: la vieillesse n’est pas une ligne droite vers le déclin, mais une suite de discontinuités, avec des hivers, oui, mais suivis parfois de «reverdies», heureux néologisme de Martine Boyer Weinmann qui signe ici un bel essai littéraire.• Julie Clarini
|
||
Éditions Champ Vallon
F 01420 Seyssel
Tél. 04 50 56 15 51 Fax 04 50 56 15 64
info@champ-vallon.com
http://www.champ-vallon.com/Pages/Pagesdetours/BoyerWeinmann4b.html