Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Dynamo: l'art électrique fait des étincelles
Il en faut du souffle pour embrasser en une exposition toute cette épopée de la lumière et de la couleur qui sort l'art du cadre au XXe siècle pour incorporer l'espace même dans l'œuvre. Il en faut du savoir et de l'esprit de synthèse pour bousculer catégories et époques et proposer une relecture vivante de l'histoire de l'art en mouvement. Tout, vous saurez tout, du Carré blanc sur fond blanc de Kazimir Malevitch et du Broadway Boogie-Woogie de Piet Mondrian jusqu'au halo mystique de l'Américain James Turrell(Awakening, ou la naissance de l'aube sous vos yeux). Il en faut du doigté et de l'intuition pour faire cohabiter toutes ces lueurs, tous ces cercles, toute cette géométrie qui s'en balance, tous ces va-et-vient de formes et d'intensités lumineuses, sans que le visiteur ne soit mis KO au premier round.
Chromosaturation de Carlos Cruz-Diez (1965) Crédits photo : Sébastien SORIANO/Le Figaro
Docte et clair en professeur émérite qu'il est, Serge Lemoine est un ardent défenseur de l'abstraction et de sa mise en action, le cinétisme. Il l'a prouvé depuis longtemps quand il dirigeait le Musée de Grenoble ou, plus récemment, à Paris, en exposant la collection Jean Cherqui à la Maison de l'Amérique latine (ce continent neuf est le biotope naturel de cette poésie nouvelle des formes).
Pétillant et frondeur, Mathieu Poirier apporte sa vision fraîche de jeune chercheur à cette dynamique de l'art, sérieuse derrière le jeu et l'illusion, parfois désarmante par ses théories fort cérébrales: à vérifier dans le labyrinthe du GRAV (Groupe de recherche d'art visuel). Avec ces deux commissaires si complémentaires, Dynamo réussit ce tour de force de mettre en scène des concepts comme on dresse une table de Noël. D'abord pour le plaisir de l'œil. Les deux autres commissaires associés, Domitille d'Orgeval et Marianne Le Pommeré, apportent leurs touches féminines et érudites à ce vaste ballet cinétique.
Un jeu vidéo géant
Faire que ce soit l'œil qui associe le premier - et non la lecture, et non le discours sur ce que l'on devrait voir et comprendre, comme c'est si souvent désormais le cas - c'est tout le défi du programme de cette promenade phénoménale: plus de 150 artistes sur un siècle, autant de mirages essaimés sur environ 3 700 m2. Il eût été banal de commencer par les précurseurs, Giacomo Bella le futuriste, Calder le trapéziste du mobile, Duchamp l'insolent joueur d'échecs qui inverse tout propos, Kupka le géomètre de la couleur, Moholo-Nagy l'œil moderne… et de finir par le beau mobile sombre de Xavier Veilhan qui sert d'entracte visuel aux deux étages, très denses, de l'exposition.
Il est beaucoup plus parlant de confronter les approches sœurs, de faire dialoguer un sublime Kenneth Noland de 1962 (Spring Cool), un Frank Stella bluffant de simplicité de 1964 (Sidney Guberman) et un Frantisek Kupka qui annonce tout d'une simple gouache abstraite, noire et blanche de 1933.
Mirror Billboard de Jeppe Hein (2008) Crédits photo : Sébastien SORIANO/Le Figaro
Si l'art contemporain est l'art vivant, alors tous ces artistes, morts ou vifs, sont contemporains. Comme de juste, Anish Kapoor ouvre ce ballet intersidéral avec ses trois miroirs sombres concaves. Ann Veronica Janssens pose son étoile de lumière dans le brouillard comme une petite fille (Bluette, 2006). Plus loin, elle perd le visiteur dans son brouillard. Né en 1926 à Cholet et portraituré à 17 ans par Laure Albin-Guillot au Jeu de paume, François Morellet ne fait pas figure d'ancêtre avec son Triple X Neonly de 2012. Né à Caracas en 1923, Carlos Cruz-Diez ne cesse de fasciner avec sa Transchromie mécanique, 1965 qui découpe la couleur au carré et l'espace immatériel au cordeau. À côté, feu Dan Flavin en impose comme l'Amérique avec son mur de fluos verts qui scintille comme un jeu vidéo géant (Untitled, to you, Heiner, with Admiration and Affection, 1973, prêt spectaculaire de la DIA Art foundation de New York).
De Julio Le Parc, sculpteur souple comme un danseur de tango, à Tinguely le Suisse, grand bricoleur de l'art si intensément créatif (les mécanismes aléatoires de son Méta-Malevitch, 1954), de Gianni Colombo le Milanais qui prend possession du mur avec seulement deux cubes opalescents à la Ponctuation lumineuse de Pol Bury, des trompe-l'œil multicolores de Yaacov Agam, si cher à Georges Pompidou, à la magicienne du Brésil, Lygia Clark, c'est toute une grammaire visuelle qui est expliquée sous vos yeux. De Vasarely, jaillissant de la toile en illusionniste, à Zilvinas Kempinas, né en Lituanie en 1969, qui fait tenir son auréole de bande magnétique par le souffle combiné de trois ventilateurs, la gamme est semble-t-il sans fin. On sort de Dynamo halluciné, l'esprit en mouvement.
Transformation Instable Juxtaposition Superposition de Francisco Sobrino Crédits photo : Sébastien SORIANO/Le Figaro
Dynamo, un siècle de lumière et de mouvement dans l'art 1913-2013», Grand Palais, Paris (VIIIe), jusqu'au 22 juillet 2013. www.grandpalais.fr
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