Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Librairie : Boulogne-sur-Mer ne veut pas tourner la page Chapitre
Le groupe américain Actissia veut fermer 12 de ses 57 librairies Chapitre en France. 22 employés de l’enseigne à Boulogne-sur-Mer sont sous le choc de cette annonce incompréhensible.
Les employés ne comprennent pas cette décision brutale (Claire Barois).
Il est 10 heures. Le rideau se lève devant une dizaine de personnes attendant l’ouverture de leur librairie. Combien de temps encore les employés répéteront-ils ce geste ? Ils n’en savent rien. Actissia, le groupe propriétaire de la chaîne de magasins culturels Chapitre, leur a annoncé par téléphone, le 9 avril, un tomber de rideau définitif.
Après le choc vient l’incompréhension. Nul ne sait quand ni pourquoi ce magasin, parmi les dix plus rentables de la marque, devra fermer. Contactée, la direction générale d’Actissia refuse de s’exprimer, elle qui se targue de compter, pour Chapitre et Chapitre.com, 1,6 million de clients en France, et qui affiche un réseau de 57 librairies à cette enseigne, « fortement implantées dans la vie culturelle locale ».
En attendant, peut-être, les explications, les employés s’efforcent de faire bonne figure. L’exercice est difficile, alors que règne l’incertitude et que les clients demandent des renseignements que personne ne peut fournir… « Il y en a de deux sortes, sourit André Vasseur, doyen des vendeurs, au rayon DVD, les rapaces, qui nous demandent si on va tout solder, et les inquiets, qui nous soutiennent et cherchent à comprendre.Dans les deux cas, on ne peut leur répondre, nous n’avons aucune information. C’est le plus dur : ne rien savoir… »
Les employés dans un grand désarroi
Quand les clients ne demandent pas son aide, seul derrière son comptoir, il ne peut s’empêcher de se perdre dans ses pensées à imaginer l’avenir.Tous ses collègues partagent le même désarroi. « Quand notre directrice Cécile Jore a reçu le coup de fil, elle nous a aussitôt réunis, raconte Julie Ricouart, vendeuse d’une vingtaine d’années. Nous avons tous fondu en larmes, et avons dû fermer pour le reste de la journée. Nous n’étions pas en état de recevoir les clients. »
Inquiète, la directrice fait toujours régulièrement le tour de son magasin. Non plus pour distribuer des sourires et vérifier que les clients se sentent bien, mais pour soutenir ceux qu’elle appelle sa « deuxième famille ». « Régulièrement des vendeurs craquent, se mettent à pleurer. Je veux être là pour les réconforter et leur éviter de faire un mauvais geste, explique celle qui a renoncé à une semaine de vacances avec ses enfants pour rester avec ses employés. Je suis le capitaine du navire, il faut que je prenne soin de tout le monde quand le bateau sombre… »
En bon marin, Cécile Jore maintient le cap pour ses deux familles. « Je me dis que j’ai l’essentiel en voyant mon mari et mes enfants, confie-t-elle. Mon entourage me porte, je me recentre sur mes propres valeurs. Comme tout le monde ici. » Après avoir expliqué la situation à ses enfants de 7 et 11 ans, elle a été soulagée par l’arrivée des vacances. « C’était très dur pour eux à l’école, tous les enfants venaient les voir pour savoir ce qui se passait », soupire-t-elle.
Comme si la culture devenait accessoire
Des enfants, Cathy Malfoi, vendeuse au rayon papeterie, en a quatre, âgés de 2 à 14 ans. « Mon mari travaille au magasin Auchan de Calais, mais nous ne pouvons pas les élever avec un seul salaire, glisse-t-elle, amère. J’attends de voir avec quelles indemnités nous allons partir pour chercher un autre travail. » « Nous sommes tous nés ici, nous savons bien que ce qui nous attend ce n’est pas le paradis, lâche encore Cécile Jore. Il n’y a pas de travail dans le coin, on ne se fait pas d’illusions. »
Claude Allan, premier adjoint au maire et Boulonnais de naissance, s’inquiète comme tout le monde de la désertification des commerces du centre-ville. « À une époque, nous avions quatre librairies. Le Furet du Nord, puis Majuscule ont fermé, et maintenant c’est au tour de Chapitre, se désole cet ancien bibliothécaire. Nous avons également appris la fermeture de deux boutiques de vêtements, et des bruits inquiétants circulent concernant d’autres commerces. La mairie ne va pas laisser faire. »
À Boulogne-sur-Mer, Chapitre est à la fois le symbole de ce marasme local et d’une culture qui devient accessoire dans une ville où les activités qui ont forgé son identité, la pêche et le transport maritime vers la Grande-Bretagne, sont en crise. « On va laisser crever tout le monde si on ne fait rien, tempête encore l’élu. Nous voulons relancer l’économie locale en incitant les 600 000 visiteurs annuels de l’aquarium Nausicaa à passer du temps à Boulogne. Mais pour cela, il nous faut des commerces en ville. »
Boulogne-sur-Mer souffre de la mauvaise réputation des villes du Nord pour leur climat. Comme Cécile Jore, Valérie Broutin, propriétaire de la librairie L’Horizon, à 200 mètres de Chapitre, concède qu’« il est difficile de faire venir les auteurs ici ».
Sa boutique, dont tous les livres ont été choisis par ses soins, réunit pourtant 200 fidèles et attire des visiteurs de passage. « J’étais là avant Chapitre et je lui survivrai, plaisante la libraire, le cœur lourd. Nous ne faisons pas le même métier, les amateurs de livres viennent chez moi pour le conseil. Plus qu’un concurrent, c’est une offre culturelle que l’on perd et qui ne sera pas remplacée. »
Comme l’adjoint au maire, Valérie Broutin craint pour les commerces de la rue Adolphe-Thiers, dans laquelle se trouve Chapitre : « Les autres commerçants se plaignent de sa fermeture car Chapitre leur amenait du monde. » Dans cette artère piétonne, les rafales de vent froid gâchent le plaisir de se promener au soleil. Quatre jeunes de 15 ans, assis sur un banc en face de Chapitre, racontent : « C’est là qu’on traîne en hiver pour se mettre au chaud et regarder les DVD. Où va-t-on aller maintenant ? »
Silence radio de la direction
La question se retrouve sur toutes les lèvres. Damien et Martin, lycéens, discutent de la fermeture de l’enseigne. « Nous venons tout le temps acheter des jeux, des magazines, des livres, ou nos fournitures scolaires… Et on se promène dans les rayons quand on a du temps à perdre. » Plus qu’un magasin, c’est un lieu de vie qui disparaît.
Les clients se disent atterrés par l’absence d’informations dont disposent les employés de la librairie. La directrice ne décolère pas. « C’est le silence radio depuis l’annonce de notre fermeture. Je n’ai ni la date de fermeture, ni aucune consigne, fulmine-t-elle. Je dois pousser l’équipe à continuer à travailler alors que tout le monde vient à reculons. Ce qu’on nous fait vivre, c’est de l’ignominie ! »
Même si elle sait que l’avenir de Chapitre à Boulogne-sur-Mer est scellé, Cécile Jore promet de se battre jusqu’au bout : « Ma priorité, aujourd’hui, c’est d’accompagner chacun des vingt-deux employés jusqu’au bout du plan social. Si je peux leur faire gagner un mois de salaire en indemnités, je le ferai. J’en fais un point d’honneur. »
Dans la cuisine de l’arrière-boutique, les lettres de soutien s’accumulent, envoyées par les directeurs d’autres librairies Chapitre. « Je les ai affichées ici, histoire de rappeler que chacun ici a de la valeur et que la fermeture n’a rien à voir avec nos compétences », assure la directrice. À côté des caisses, deux petits cahiers se remplissent de signatures et de mots de soutien des clients à leur magasin.
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Un plan privilégiant la vente en ligne
Boulogne-sur-Mer, Calais, Cannes, Dax, Évreux, Grenoble, Lyon, Nancy, Narbonne, Belfort, Colmar, Toulouse… Les librairies Chapitre de ces villes fermeront toutes leurs portes, selon le plan annoncé par le groupe américain Actissia. Avec ces fermetures, 271 suppressions de postes sont prévues, sur les 1 200 salariés que comptent les 57 librairies du groupe.
Les librairies restantes devront pour leur part diversifier leurs activités : crèmes de beauté et compléments alimentaires seront désormais disponibles à côté de la presse, des livres, CD et DVD. Ce plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) montre surtout la décision d’Actissia, actuel numéro deux de la distribution de livres en France, d’axer son activité sur le commerce en ligne.
CLAIRE BARROIS (à Boulogne-sur-Mer)