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J'ai aimé voir jeudi midi:Le Romantisme noir: l'exposition du Musée d'Orsay

Le Romantisme noir: l'exposition du Musée d'Orsay

Par Annick Colonna-Césari (L'Express), publié le29/03/2013 à 16:46

 

ROMANTISME NOIR AU MUSEE D'ORSAY - Une étonnante exposition. Au programme: monstres, vampires, sorcières et démons.

© Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

Les sorciers de Harry Potter et les vampires de Twilight n'ont qu'à bien se tenir. Le musée d'Orsay vient de convoquer entre ses murs tous les monstres, les démons et les spectres de la terre, exposés sous l'intitulé L'Ange du bizarre. Depuis la fin du 18ème siècle, le goût du fantastique et du macabre irrigue en effet les arts européens. Réaction aux Lumières et fruit du vent de liberté qui se met alors à souffler, ce mouvement a bousculé les conventions sociales, morales et esthétiques. 

Le Romantisme noir: l'exposition du Musée d'Orsay

Le musée d'Orsay propose, jusqu'au 9 juin, une étonnante exposition autour du "romantisme noir". Au programme: monstres, vampires, sorcières et démons. Vous êtes déjà mordus? Suivez le guide. 

Né de la tourmente révolutionnaire, ce "fleuve noir" n'a cessé de se nourrir des inquiétudes du temps, réactivé, à la fin du xixe siècle, par les symbolistes puis, entre les deux guerres, par les surréalistes. Ce parcours, qui rassemble 200 oeuvres, essentiellement des peintures, est ponctué d'extraits de grands classiques du cinéma, traversé, lui aussi, par ce courant démoniaque. Goya, Füssli et Delacroix, Ernst, Dali et Magritte côtoient donc Fritz Lang, Luis Buñuel et Alfred Hitchcock. On y croise les forces obscures qui font aujourd'hui la saveur des films d'un Tim Burton. Ou des contes d'Edgar Allan Poe, dont l'exposition reprend l'un des titres. Visite guidée en quatre thèmes : cauchemar, barbarie, menace, vertige. Bonne nuit. 

Le Grenouillard de Jean Carriès

Le Grenouillard de Jean Carriès

© Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

CAUCHEMAR

Le roman de "monstres" naît en Angleterre, lorsque Horace Walpole, homme d'Etat et écrivain, publie, en 1764, Le Château d'Otrante. Cette intrigue, dans laquelle s'affrontent seigneurs sanguinaires et fantômes démoniaques, remporte un énorme succès. Et influencera l'Europe entière, donnant naissance au courant gothique, dans lequel s'inscriront Frankenstein, de Mary Shelley (1818), et Dracula, de Bram Stoker (1897). C'est dans cette Angleterre propice à l'épanouissement de l'imaginaire, que vit le peintre suisse Johann Heinrich Füssli. Il est l'un des premiers à explorer les abîmes de l'âme. Füssli s'inspire non de Walpole, mais de Shakespeare et de John Milton, donnant corps à des visions d'épouvante dont plusieurs figurent dans l'exposition. 

Dans cette toile intitulée Cauchemar, il laisse libre cours à ses propres fantasmes. Elle représente une jeune femme en proie aux démons de la nuit. Exposée à Londres en 1782, elle provoquera l'émoi et le scandale. A tel point qu'il est alors conseillé aux personnes ayant les nerfs fragiles de ne pas s'en approcher. L'image incarne le triomphe de l'irrationnel au siècle des Lumières, et témoigne également d'une incroyable liberté sexuelle ; on peut y voir un coït avec le diable. 

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© RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Le cauchemar imprègne bien d'autres oeuvres romantiques, dont celles du Britannique William Blake, proche de Füssli. Dans les années 1800, cet excentrique jette sur la toile un effrayant bestiaire, fruit de ses hallucinations. Au 19ème siècle, le symboliste français Odilon Redon explore la profondeur des rêves, les matérialisant dans de mystérieuses gravures, empreintes de spiritisme, qui font froid dans le dos. Les films d'horreur regorgent aussi de scènes angoissantes. S'appuyant sur les classiques de la littérature, ils doivent aussi beaucoup à la peinture. Dans Frankenstein, de James Whale (1931), la mariée, étranglée, laissée agonisante sur son lit, est une citation directe du tableau de Füssli. 

BARBARIE

Quoi de plus horrible que la vision de ces deux hommes nus engagés dans un violent corps-à-corps? L'un plante ses dents dans le cou de l'autre, tandis qu'un démon au sourire grimaçant observe la scène. Dante et Virgile aux Enfers fut exécuté en 1850 par le Français William Bouguereau. Ce tableau s'inscrit dans la sensibilité de l'époque. Depuis le début du xixe siècle, nombreuses sont les représentations de cannibalisme ou d'actes contre nature. Vers 1836, Delacroix peint Médée étouffant ses enfants. S'inspirant d'un événement contemporain, Le Radeau de la Méduse, réalisé en 1819 par Théodore Géricault, met en scène une situation de nature similaire : le destin d'un navire naufragé dont l'équipage avait fini par s'entre-dévorer pour survivre. Mais que la situation dépeinte soit, ou non, ancrée dans la réalité ne change rien à la problématique : ces tableaux renvoient aux désillusions du siècle. En dépit des progrès de la raison apportés par le siècle des Lumières, l'être humain reste apparenté à une bête. En 1799, Goya avait intitulé l'une de ses gravures : "Le sommeil de la raison engendre des monstres" ; il ne croyait pas si bien dire.  

Cet enthousiaste partisan des Lumières allait encore davantage déchanter, à mesure que la Révolution française basculait dans la terreur. En 1808, l'Espagne est envahie par les troupes napoléoniennes. Dans Les Désastres de la guerre, l'artiste espagnol décrit les horreurs que subissent ses compatriotes, et dont il fut lui-même le témoin. Ses eaux-fortes dénoncent la barbarie, cadavres réduits en pièces, femmes violées, enfants assassinés. Mais elles ont aussi valeur universelle. Dès 1792, Goya écrivait: "Je n'ai pas peur des sorcières, des lutins, des apparitions, des géants vantards, des esprits malins, des farfadets, etc., ni d'aucun autre genre de créature, hormis les êtres humains." 

Dante et Virgile aux Enfers d'Adolphe William Bouguereau

Dante et Virgile aux Enfers d'Adolphe William Bouguereau

© Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

MENACE

A la fin du 19ème siècle surgit le mythe de la femme fatale. Les symbolistes ressuscitent les grandes héroïnes de l'Histoire, Salammbô, Méduse, Cléopâtre, et les autres, aussi envoûtantes que vénéneuses. A l'image de cette Salomé que Gustave Moreau représente en 1893, dans une peinture à l'huile intitulée La Débauche. La créature exhibe sa nudité, juchée sur un autel au pied duquel se traînent les hommes qu'elle a ensorcelés. Les femmes fatales apparaissent comme les allégories de la nature vue comme une force destructrice. Le développement de la prostitution et des maladies vénériennes, fléau de l'époque, n'a fait qu'exacerber les imaginaires. Dans son tableau, Le Péché, datant de 1893, l'Allemand Franz von Stuck représente une Eve délicieusement scandaleuse, aux antipodes de l'iconographie traditionnelle. La jeune femme ne cherche pas à voiler sa nudité. Regard provocateur, sourire séducteur, elle semble fanfaronner, sous les traits d'une dompteuse de serpent au nombril aguicheur. En 1916, le Norvégien Edvard Munch livrera une version moderne de la femme dangereuse. Dans son tableau Vampire, il peint une femme aux cheveux rouge sang, se penchant sur un homme pour l'enlacer. Mais le baiser s'apparente à une morsure. Certains artistes pousseront encore plus loin la perversité, marqués par les écrits sulfureux du marquis de Sade. Les surréalistes en sont particulièrement friands. Les poupées désarticulées que met en scène Hans Bellmer dans ses photos sont les héritières de la tradition libertine, séductrices et victimes à la fois.  

VERTIGE

Les paysages font écho aux sorciers et aux démons, peut-être encore plus inquiétants, car ils s'appuient souvent sur des lieux réels. Saisis au clair de lune, comme ce rivage peint en 1836 par l'Allemand Caspar David Friedrich, ou sous la brume, par temps d'orage, ils sont généralement vides de toute présence humaine. Et provoquent ce que le philosophe Edmund Burke, théoricien du sublime, appelle, en 1757, une "horreur délicieuse".  

Bouclier avec le visage de Méduse d'Arnold Böcklin

Bouclier avec le visage de Méduse d'Arnold Böcklin

© RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

En Allemagne, en Suisse ou en Angleterre, les romantiques affectionnent le spectacle des grottes et des gouffres qui plongent dans les entrailles de la Terre, symbolisant la descente aux Enfers. Mais aussi celui des ruines, qui exacerbent la sensation de solitude des châteaux, cimetières ou cloîtres, évocateurs d'enfermement. Ces paysages sont tellement obsédants qu'ils imprégneront l'imaginaire des générations futures. Les surréalistes y seront particulièrement sensibles, à commencer par Max Ernst, qu'inspirent les forêts sombres et mystérieuses de Friedrich.  

De même pour les cinéastes. Les films de Friedrich Wilhelm Murnau et de Fritz Lang regorgent de sous-bois obscurs, de scènes de brouillard et de pleine lune, lourdes de menaces. Une séquence célèbre du Chien andalou, tourné par Luis Buñuel en 1929, ressemble étonnamment au clair de lune de Friedrich, lorsque la lame de rasoir tranche l'oeil, telle la traînée de lumière qui fend le paysage marin. 

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