Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Les tribulations d'un architecte en Chine
Façade Ouest du Namoc qui épouse tous les reflets du paysage. Crédits photo : Ateliers Jean Nouvel & BIAD
Vue de la façade Ouest depuis le parvis avec la perspective sur le Nid d'oiseau. Crédits photo : Ateliers Jean Nouvel & BIAD
Le hall d'hiver s'articulant autour du puit de lumière en forme de cône inversé. Crédits photo : Ateliers Jean Nouvel & BIAD
En exclusivité, Jean Nouvel révèle son projet pour le futur National Art Museum of China qui sera construit à Pékin, à proximité du stade le «Nid d'oiseau».
Du plus loin qu'on l'aperçoit, il émerge tel un premier trait de pinceau. Pour comprendre l'essence du projet de Jean Nouvel pour le futur National Art Museum of China (Namoc), tenu secret jusqu'à aujourd'hui, il faut se plonger dans la calligraphie chinoise vue par Shitao, poète et peintre de la dynastie Qing. «Un unique trait est la source de tout, explique l'architecte, la racine de dix mille images. De lui procède la diversité de formes innombrables et toutes s'en reviennent à lui.»
La calligraphie est la base de l'écriture et c'est cette écriture que Jean Nouvel a cherché à insuffler dans ce projet hors norme qui sera réalisé avec le Beijing Institute Architecture Design (Biad). L'architecte, qui a gagné en 2010 ce concours en trois phases, impliquant sept équipes chinoises et treize agences étrangères de grand renom, lui a donné une identité forte et reconnaissable, à l'image d'un pays en plein boom cherchant à affirmer son image culturelle. Son implantation sur un axe Nord-Sud, partant de la Cité interdite au site olympique, confirme la symbolique de ce musée voulant faire le lien entre ses collections d'art ancien et celles d'art contemporain, que l'État continue d'enrichir.
«Je n'allais pas changer de religion du jour au lendemain, raconte Jean Nouvel. Alors, il m'a fallu faire comme si j'étais chinois, en me plongeant dans la culture ancestrale de ce pays. Ce premier geste que passent la moitié de l'année les apprentis calligraphe à maîtriser s'est imposé comme une évidence, après un an d'immersion, de dialogue, d'exploration pour traduire, synthétiser puis matérialiser l'esprit d'une civilisation.» Nul doute que Jean Nouvel s'est passionné pour le «qi», cette approche spirituelle d'un principe fondamental qui englobe tout l'univers et relie les êtres et les choses entre eux et n'a pas son équivalent en occident.
Une vue du jardin intérieur. Crédits photo : Ateliers Jean Nouvel & BIAD
Étrange comme un animal prêt à bondir, la forme ample et généreuse de ce musée tout en pierre, verre et métal contient cette force jaillissante du trait d'encre. L'attaque est tranchante au sud et la finale s'arrondit, onctueuse, au nord. Mais l'impression générale est que l'ensemble est traversé par un même et puissant élan que renforcent les lignes aux intervalles inégaux traversant de part et d'autre la façade longue de 225 mètres et sur lesquelles semblent marcher les visiteurs projetés sur les images en 3D. Autre axe de réflexion pour ce bâtiment qui, au fur et à mesure des rendus de projets, a gagné en légèreté et en transparence, à la demande des Chinois: le reflet du temps. Les points de vue sont aussi changeants que les paysages. D'où l'idée de façades captant tous les reflets. Elles varient avec les heures du jour, les variations du ciel, les changements des saisons. Elles se métamorphosent selon les angles de vue. Dans le grain de la matière s'esquissent en veinures des formes vagues, en transformation continue pour envelopper ce musée de mystère.
Pour arriver à une telle alchimie, l'équipe de Jean Nouvel a travaillé pendant deux ans, impliquant parfois plus d'une trentaine de personnes au pic du projet. Celle-ci a bataillé ferme contre ses autres compétiteurs: Zaha Hadid et Frank Gehry, en phase 3 du concours. Elle a inventé une savante cartographie des matériaux. Il a fallu marier les effets mat et brillant, rugueux et poli, miroir ou semi-miroir pour donner au spectateur l'impression d'être dans le ciel ou les montagnes. En tout cas, complètement immergé dans la matière. Au nord, la façade poreuse laisse le regard s'infiltrer dans sa végétation abondante, par le creusement d'une serre intérieure. Au sud, la façade lisse comme une glace regardant vers le «Nid d'oiseau» par l'échancrure de son belvédère où se trouve le restaurant réfléchit les 153 drapeaux rouges flottant au vent plantés sur un petit monticule. Les façades est et ouest sont percées quant à elles de grandes fenêtres.
Toute la réussite de ce musée réside aussi dans son intégration avec le paysage, dans son inscription urbaine avec les autres bâtiments du Cultural District, notamment le Musée des sciences. Pour créer ce lien, Jean Nouvel a fait appel à son ami Gilles Clément pour le paysage: un jardin aux tonalités rouges de l'automne des ginkgos biloba et des érables. Les plantations tourneront autour des étangs qui ont la forme d'un gigantesque dragon, voire d'un hippocampe si on les regarde avec un œil plus occidental.
Relier ce musée avec l'espace public, pour lui donner de l'étoffe au sein de cette cité tentaculaire qu'est Pékin, était aussi un enjeu. Sous le bâtiment, se glisse une gigantesque «place des arts» que couvre une voûte or pâle, comme l'appelle Jean Nouvel. Un gigantesque puits de lumière, tel un cône renversé qui peut s'ouvrir ou se refermer jusqu'à ne former plus qu'un quartier de lune, diffuse une belle lumière. L'entrée s'effectue par quatre côtés correspondant à la structure qui porte la carcasse de béton du bâtiment à l'intérieur de laquelle on a suspendu les volumes des salles de dimension très variée. Une terrasse panoramique, avec des effets d'eau tout autour, offre une vue unique sur la ville. Ce musée a été conçu comme une centrale électrique. Il faudra à peine cinq ans pour qu'il sorte de terre. Un temps très court. Mais on sait de quoi sont capables les Chinois pour un coût de construction encore top secret mais au moins trois fois moins élevé qu'en France.