Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
La bataille mondiale des biennales d'art
La XIe édition de la Biennale de Sharjah redessine le monde avec l'exposition Bubbles. Crédits photo : DR
INFO LE FIGARO - À l heure où s'ouvre la Biennale de Venise, le Qatar prepare en grand secret sa biennale en 2014 pour concurrencer celle de Sharjah, émirat voisin du Golfe persique.
Une biennale chasse l'autre: hier Sharjah, aujourd'hui Venise, bientôt Lyon, Istanbul, Singapour. L'art, comme la musique, devrait adoucir les mœurs et imposer un tempo plus humain. Mais lorsque l'on dénombre soixante biennales et triennales en cours de gestation, on mesure l'enjeu frénétique de la compétition internationale. Le 13 mai s'achevait la XIe édition de la Biennale de Sharjah, bulle réflexive et étonnamment sobre dans les Émirats arabes unis, synonymes d'or noir, de pouvoir d'achat gros comme l'Hôtel Lambert et de grosse soif contemporaine. Délibérément, la jeune Cheikha Hoor, 32 ans, fille de l'émir Sultan Bin Mohamed al-Qasimi, s'est maintenue en artiste à l'écart des créateurs de foires. Elle a repoussé les prétendants du marché vers l'émirat voisin de Dubaï et inauguré sa biennale une semaine avant Art Dubai pour éviter l'amalgame art-argent et le zapping sauvage du consommateur.
La compétition était déjà ailleurs. De bonne source, nous savons que le Qatar prépare en grand secret «sa» biennale pour 2014, soit en alternance avec celle de l'émirat de Sharjah, rival aux moyens moins somptuaires et aux goûts intellos forgés sur l'exemple de la Documenta de Cassel. Comment sera cette concurrente de Doha qu'elle se promet, princière, de produire de A à Z? Rien ne filtre officiellement. Si ce n'est que le jeune Marocain Abdellah Karroum, directeur artistique de la Fondation Pierre de Monaco et futur directeur du Mathaf (Musée arabe d'art moderne), quittera Venise samedi 1er juin pour prendre ses fonctions à Doha. Il ne devrait pas être en charge de cette biennale du Moyen-Orient confiée à un collège d'experts. Du moins pas tout de suite, précise une source fort discrète.
De Marrakech (Maroc) à Melbourne (Australie), de Naples (Italie) à Lintz (Pologne), de La Havane (Cuba) à Kiev (Ukraine), la liste des biennales d'arts plastiques est aussi vertigineuse que le parchemin d'un apprenti sorcier. «Une trentaine d'entre elles sont vraiment intéressantes et une dizaine, indispensables, résume Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, à Paris. Je ne raterai pas Sharjah qui, depuis deux éditions, sous l'impulsion de Cheikha Hoor, s'est imposée comme une référence. La manière dont l'art in situ joue de l'espace public est édifiante. La performance de l'artiste égyptien Wael Shawky, qui a mis la censure de la Biennale 2011 en musique, a fait sensation.»
Sur sa feuille de route, Jean de Loisy note toujours Venise, Istanbul et Lyon. Et la Biennale de Gwangju (Corée du Sud), laboratoire qui a su repérer les plus brillants commissaires de la jeune génération. À commencer par Massimiliano Gioni, qui est celui de cette 55e Biennale de Venise cette année. «Une biennale, dit-il, c'est un lieu, une histoire, un symbole, un groupe d'artistes, des commissaires, un engagement et une recherche. C'est-à-dire une énorme pièce de théâtre qui doit dire son temps.»
Avant, c'est-à-dire il y a vingt ans, trois rendez-vous incontournables - Venise, Paris et Sao Paulo - faisaient paisiblement voyager les amateurs d'art autour du globe terrestre. S'y s'ajoutait Documenta l'intello qui depuis 1955 brasse les idées de l'art pendant cent jours, tous les cinq ans, à Kassel, au cœur de l'Allemagne la plus verte. Créée en 1959, au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, avec «une sculpture qui fait de la peinture» de Jean Tinguely, la Biennale de Paris a disparu de ce circuit vénérable en 1987. «C'est complètement fou! Désormais, il y en a une par semaine ou à peu près, on reçoit un e-mail tous les cinq minutes. Impossible de suivre pareille cadence infernale!», note Alfred Pacquement, directeur du Musée national d'art moderne au Centre Pompidou.
Un fil d'Ariane
Il y a, analyse-t-il, deux types de biennales. Celles qui «produisent de l'information à grande échelle et dont la championne reste Venise», vivier d'artistes plus ou moins connus, plus ou moins cotés, à écumer avec la foi de l'inventeur, la méthode drastique du géomètre et des jambes de cycliste. Et celles qui se «construisent autour d'un thème, fil d'Ariane dont Documenta est la souveraine absolue, ou expédition en terra incognita, autour d'un continent entier comme la Biennale de Sao Paulo ou la Bienal do Mercosul de Porto Alegre, moisson qu'il s'agit de décanter, de digérer, de travailler.» Et de s'émouvoir du si large public brésilien, qui faisait la queue à la Biennale de Sao Paulo 2012 pour entrer dans le bâtiment historique dessiné par feu Oscar Niemeyer en 1957 et aller, en masse, à la rencontre de l'art contemporain.
La cote des biennales monte et descend selon les éditions, le programme, le choix des artistes, leurs commissaires, et la mode aussi. Tout le monde courait à la Biennale de La Havane, au Whitney Museum de New York et à Shanghaï. Tout le monde parle aujourd'hui de Sharjah, de Kochi (dans l'État de Kerala, en Inde) et d'Istanbul.
Comme des vampires
Abondance de biens nuit-elle? D'avis de pro, le vernissage de la Biennale de Venise, avec ses bouchons d'habitués collés-serrés dans le vaporetto qui relie l'Arsenal aux Giardini, les debriefings à bâtons rompus sur les meilleurs pavillons et les dîners obligés, «tout cela constitue une frénésie artificielle, un rien absurde, digne du Festival de Cannes». Le vrai public est ailleurs, qui vient plus tard, au fil de l'été, flâner comme bon lui semble, quitte à se perdre dans Venise comme les personnages errants du vidéaste Steve McQueen, exposé actuellement au Schaulager de Bâle. «C'est une très bonne chose que toute cette production d'informations artistiques qui sort des lois du marché, particulièrement fort puisque 900 millions de dollars d'art contemporain se sont vendus en deux jours d'enchères début mai à New York», estime l'Islandais Gunnar B. Kvaran, directeur de l'Astrup Fearnley Museet d'Oslo et commissaire de la prochaine Biennale de Lyon, en septembre. D'avis général, la bataille la plus sanglante oppose les biennales et les foires, vues comme des satellites ou des vampires.
«Difficile de dire qu'il y a trop de culture», souligne Yves Aupetitallot, directeur du Magasin, le centre d'art de Grenoble. «Trop de biennales? Si vous êtes à Tirana ou à Taïpeh, il y en a une ou il n'y a rien», résume Hans Ulrich Obrist, codirecteur de la Serpentine Gallery de Londres et grand manitou de la planète art. Ce lecteur quotidien d'Édouard Glissant opposant «modernité et mondialisation» est déjà passé à la vitesse supérieure, soit des festivals d'un troisième type conçus à long terme et qui prédisent l'avenir de l'art.
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28/05/2013 16:08