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Tarzan, héros postmoderne

 
Johnny Weissmuller dans <i>Tarzan, </i>en 1934.

Johnny Weissmuller dans Tarzan, en 1934. Crédits photo : Harvey White/The Picture Desk

Avec Hongrie-Hollywood Express, Éric Plamondon signe un long poème épique et lyrique

Ceux qui ne jurent que par la narration classique à la française risquent de ne point goûter ce que ce texte, beau et tragique comme un vase en porcelaine éclaté sur du carrelage, a de génial. Il est composé de quatre-vingts vignettes qui racontent, par fragments, une histoire, celle de Johnny Weissmuller, enfant d'immigrés austro-hongrois, qui fut champion olympique de natation avant d'incarner le premier Tarzan du cinéma parlant. Sur l'histoire de ce héros que la gloire a fini par laisser tomber comme une vieille chaussette, l'auteur greffe d'autres bouts de récit qui ont toujours un rapport, bien que parfois ténu, avec le sujet principal.

Ce livre pourrait être la mise en scène poétique d'une longue dérive hallucinée sur la Toile, lorsqu'on saute de lien en lien, jusqu'à l'autre bout du monde ou du temps. On y croise par exemple l'inventeur de la statue de la Liberté, devant laquelle les parents de Weissmuller, âgé alors d'un an, sont passés en arrivant en fond de cale en 1915 en Amérique. Un autre minichapitre est intitulé AEIOU, les initiales de la devise de l'Empire austro-hongrois, où naquit le futur Tarzan. L'auteur ouvre aussi une fenêtre sur Edgar Rice Burroughs, vendeur de taille-crayons et inventeur du héros à la liane.

La vie de Johnny Weissmuller n'est pas racontée de façon chronologique ; et même certaines scènes sont évoquées à plusieurs reprises, mais d'un autre point de vue. Cela fait comme une composition musicale avec des motifs récurrents arrangés différemment. Il y a quelque chose de lyrique dans ce texte. Il exprime, bien qu'indirectement, à travers le récit de centaines d'anecdotes, un désarroi émerveillé.

«Bateau ivre»

À première vue, cette juxtaposition de scènes qui enjambent les mers et les siècles met en lumière l'éclatement du monde et son incohérence. Mais, lorsque le même passage réunit le premier cinéma qui s'ouvre en Amérique, Zola qui meurt asphyxié à Paris et le père du futur Tarzan engagé dans l'armée de François-Jo­seph Ier, on est plutôt saisi par l'unité sous-jacente à ce monde profus. En cela, c'est un texte post-postmoderne: il déconstruit l'unité de façade pour mettre au jour des liens souterrains. L'auteur, Éric Plamondon, dont c'est le premier livre, est né à Québec en 1969 et vit désormais à Bordeaux. Il est présent dans son œuvre de façon clignotante par la voix d'un narrateur qui est lui-même un personnage ; il apparaît sur le devant de la scène le temps d'une page ou deux, les plus saisissantes de l'ensemble, et disparaît: «J'ai vu des milliers de boutiques ouvertes toute la soirée. J'ai traversé vingt feux rouges et quatorze feux verts. J'ai vu trois cent vingt-quatre taxis jaunes. J'ai vu les échafaudages des devantures de travaux. J'ai vu les femmes et les hommes. Ils marchaient avec des sacs et des poches. J'ai vu la moiteur d'une journée après la pluie.» Cette narration chahutée a parfois un rythme et des couleurs de Bateau ivre.

Hongrie-Hollywood Express est le premier volume d'une trilogie intitulée 1984. Après Weissmuller, l'écrivain Richard Brautigan et Steve Jobs seront les héros des prochains livres. Cherchez le lien entre les trois hommes… Un indice: il est mathématique.

Hongrie-Hollywood Express, d'Éric Plamondon, Phébus, 140 p., 14 €.

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