Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Ickx : «Le Mans, la course mythique»
Le célèbre pilote belge, en août dernier à Monaco, lors de la présentation de la Volkswagen Polo WRC Crédits photo : Panoramic
Le sextuple vainqueur des 24 Heures du Mans évoque quelques grands moments de la célèbre course qui fêtera, ce week-end, ses 90 ans
Le Figaro : Plus de trente ans après votre dernière victoire (1982), le mythe est-il resté intact ?
Jacky Ickx : Quatre-vingt-dix ans… quel miracle! La pérennité de cette épreuve est une aventure extraordinaire. Nous n'étions pas contemporains des premières éditions, dans les années 1920, mais on peut imaginer que c'était déjà une machine à rêve. Dans le monde entier, les gens se sont passionnés pour cette épreuve si particulière. Son essor est lié au fait que l'automobile a bouleversé la liberté individuelle de l'homme du XXe siècle. Les 24 Heures ont réussi à faire le lien entre l'automobile, et ce qu'elle consacre par essence en tant que liberté, et la compétition du sport automobile. D'ailleurs, l'endurance a toujours été considérée comme un banc d'essai pour l'industrie automobile, donc un lien entre le commun des mortels et le sport de haut niveau. Ce n'est pas un faire-valoir mais quelque chose de concret.
Quel regard porte l'ancien pilote sur les 24 Heures du Mans actuelles ?
Ces dernières années ont été exceptionnelles. Je pense aux duels Audi-Peugeot, le sommet étant le combat mémorable en 2011 et la victoire pour moins de 14 secondes d'Audi! Par rapport à mon époque, la course a évidemment évolué. Aujourd'hui, c'est devenu un Grand Prix de 24 heures où les pilotes, souvent plus jeunes, sont à fond tout le temps. Comme on dit: ça passe ou ça casse. Ce n'était pas toujours le cas il y a trente ans. L'avenir est prometteur: Porsche affrontera Audi en 2014 et, même si ce sont deux marques du même groupe, ce sera tout sauf un combat de convenance. Et puis, j'ai le sentiment que les organisateurs actuels sont animés par la passion. Sans elle, cette course n'aurait pas survécu.
Avec vos six victoires, on vous surnomme «Monsieur Le Mans». Laquelle se détache ?
On me parle souvent de l'édition 1969, mais j'ai une préférence pour celle de 1977. Elle prouve qu'il ne faut jamais renoncer. Je faisais équipe avec Henri Pescarolo sur Porsche, face aux Renault. On a été contraints à l'abandon après trois heures de course sur ennui moteur. Suppléant de la deuxième 936 engagée, j'ai rejoint l'autre équipage (Jürgen Barth et Hurley Haywood, NDLR). On était 41es après un souci mécanique qui nous avait fait perdre plus de trente minutes. Il y a eu une folle remontée et nous avons finalement gagné à l'issue d'un sprint incroyable. Ce jour-là, il y a eu une sorte d'inspiration globale de toute l'équipe. Nous étions comme transcendés. Le genre de course qu'on ne vit qu'une ou deux fois dans une carrière.
Votre victoire en 1969 a, elle, été marquée par ce fameux geste de protestation contre la procédure de départ…
Nous sommes à un moment charnière où la course auto passe du statut d'acte de chevalerie à celui d'un sport plus raisonné, plus encadré. Nous étions au b.a.-ba de la sécurité et les pilotes se posaient la question de savoir s'ils seraient encore vivants à la prochaine course. Une situation acceptée par le public. Pour prendre un bon départ au Mans à l'époque, il fallait courir le plus vite vers sa voiture à l'autre bout de la piste et démarrer en trombe. Certains attendaient d'être à 300 km/h en ligne droite pour attacher leur ceinture, d'autres effectuaient leur relais sans le faire… Lorsque les autres ont couru, j'ai marché sur la piste et nous nous sommes élancés derniers avec la Ford. On a gagné avec 120 mètres d'avance. Tout s'est joué dans le dernier tour. Mais je suis celui par qui le changement de la procédure de départ est arrivé…
Et le lendemain, vous êtes victime d'un accident de la route…
Quel drôle de paradoxe! (Rires.) On fait une course incroyable et, le lundi, sur la route Le Mans-Paris, je me retrouve face à un tracteur qui traverse un petit village. Je dois l'éviter, mais ma voiture s'est retrouvée encastrée dans une église. Je suis rentré en faisant du stop, récupéré par des spectateurs belges qui m'ont reconnu.
La renommée du Mans, c'est aussi la ligne droite des Hunaudières, coupée par deux chicanes en 1990. Aviez-vous milité à l'époque pour ces aménagements ?
Non. J'ai toujours connu le circuit sans ces chicanes. Ce fut une décision extrêmement sage après une série d'accidents impressionnants. Jusqu'à la fin des années 1960, on cherchait surtout de la vitesse au détriment de la stabilité des voitures et flirter avec les 400 km/h dans un proto qui bougeait n'était pas grisant du tout! C'était au contraire compliqué et tendu. Plusieurs années après, avec des voitures enfin plus stables, c'était différent. On en profitait pour se reposer à plus de 360 km/h! À tel point qu'à l'époque, on pouvait presque voir qui mangeait des cuisses de grenouilles au restaurant des Hunaudières. (Rires.)
Vous avez 68 ans. Vous considérez-vous comme un rescapé de ces années à très haut risque dans le sport automobile ?
Dans le succès d'une carrière, je crois évidemment à l'importance du talent et de la raison d'un pilote - tant que celle-ci n'est pas un frein à la performance. Mais je crois fermement à la réussite et au facteur chance qui accompagnent ou pas un pilote. Le palmarès se construit grâce au travail des hommes dans l'ombre. Mon destin de pilote a été d'avoir été là au bon moment, avec des voitures compétitives et entouré de gens de grande qualité.