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Le vin espagnol à la conquête du monde

 

LE MONDE | 20.06.2013 à 12h25 • Mis à jour le 21.06.2013 à 10h43 | Par Sandrine Morel

Maria Marsans (à droite), propriétaire du domaine vinicole Arrayan à La Torre de Esteban Hambrán, dans les environs de Tolède, le 4 juin.

Maria Marsans (à droite), propriétaire du domaine vinicole Arrayan à La Torre de Esteban Hambrán, dans les environs de Tolède, le 4 juin. | Jonas Bel/Nophoto pour Le Monde

La Torre de Esteban Hambran (Tolède), envoyée spéciale

La route qui mène au village de La Torre de Esteban Hambran, dans la province de Tolède, traverse les plaines de Castille et ses champs jaunis par le soleil. Elle longe des vestiges du boom immobilier devenus autant de stigmates de la crise : de grands lotissements construits au milieu de nulle part, déserts, annoncés par les panneaux oxydés de promoteurs ruinés, des colonnes en pierre blanche qui ne soutiennent aucun mur et s'ouvrent sur des champs abandonnés.

Pourtant, tout n'est pas que ruine et rêves brisés dans cette région, qui produit près de la moitié du vin espagnol. Ici, Maria Marsans, propriétaire du domaine vinicole Arrayan, a fait de la crise une chance. Son histoire illustre le changement de stratégie de nombreuses entreprises espagnoles qui ont dû se tourner vers l'étranger pour surmonter la déroute espagnole et la chute de la consommation. Un changement de stratégie qui se lit dans les chiffres du commerce extérieur du pays : en avril, selon des données publiées mercredi 19 juin, les exportations ont augmenté de 18,6 % par rapport au même mois de 2012. Sur un an, le déficit commercial a chuté de 51 %, et le pays est désormais excédentaire vis-à-vis de l'Union européenne.

En 2008, Arrayan exportait à peine 27 % de sa production de vins. Quatre ans plus tard, en 2012, les ventes à l'étranger représentent plus de 89 % du total. Ce virage lui a permis non seulement de compenser la baisse de la demande interne, mais aussi d'augmenter ses ventes, de 68 000 bouteilles en 2008 à 94 000 en 2012. Son cas n'est pas isolé. En 2012, les ventes de vin espagnol ont augmenté de 11,8 % en valeur, selon l'Observatoire espagnol du marché du vin (OEMV). Elles s'étaient déjà accrues de 16,7 % en 2011.

 "LE SECTEUR A BEAUCOUP INVESTI"

Comme tant d'autres domaines viticoles, Arrayan est né en 1999 du caprice d'un grand constructeur, José Maria Entrecanales. L'ancien président-fondateur du groupe Acciona avait décidé de planter des vignes dans son refuge dominical, un vaste domaine de 600 hectares à une heure de Madrid, où courent les cerfs et les sangliers au milieu de chênes centenaires. "L'idée l'amusait", se rappelle son épouse, Maria Marsans, qui a repris les rênes de l'exploitation au décès de son mari, en 2008.

Pour mener à bien son rêve, l'homme d'affaires fait appel à un expert australien, Richard Smart, qui analyse le relief, le sol, le climat, les variétés de vignes, l'exposition et l'orientation les plus favorables au terrain. Sur 26 hectares d'une terre sablonneuse et ensoleillée, il plante des variétés de syrah, petit verdot, cabernet-sauvignon et merlot. Le peintre Eduardo Arroyo réalise l'étiquette. La vieille bâtisse de pierre qui se trouvait sur les terres est transformée en cave, deux autres édifices modernes sont ajoutés, l'un doté de cuves en inox pour la fermentation du vin et d'un laboratoire d'analyse, l'autre de barriques de chêne français pour la maturation.

A l'époque, l'argent n'est pas un problème. L'Espagne multiplie les grands travaux et les constructeurs s'enrichissent. M. Entrecanales ne lésine pas sur les dépenses pour faire un vin de qualité. Il n'est pas le seul. "Dans les années 2000, le secteur a beaucoup investi pour restructurer les vignes, construire de nouvelles bodegas, améliorer l'irrigation, se professionnaliser et travailler le marketing", rappelle Rafael del Rey, président de l'OEMV.

 "LA BODEGA ÉTAIT EN DANGER"

Les nouvelles bodegas [domaines viticoles] Ysios, confiées à l'architecte Santiago Calatrava, Marques de Riscal, à Frank Gery, ou Lopez Heredia, à Zaha Hadid, sont le symbole de ces grands investissements. Elles ont attiré de nombreux touristes et amélioré l'image de marque des vins espagnols. "Lorsque la crise est venue, le terrain était déjà préparé", souligne M. del Rey. Lorsque Maria Marsans reprend le domaine, la crise justement frappe à la porte. Et elle se rend compte que "la bodega était en danger. Nous vendions surtout à des restaurateurs, or les ventes avaient chuté sur ce secteur", raconte cette femme d'affaires, également à la tête d'une entreprise de papiers décoratifs, Papelmania.

Dans la salle de dégustation, assise sur un grand canapé couronné de deux trophées de chasse, bustes de grands cerfs chassés sur le domaine, elle parle avec assurance du virage qu'il lui a fallu prendre. Choisir un nouvel oenologue : une jeune femme, fille d'un grand critique de vin espagnol, Maité Sanchez, ingénieur agronome de 31 ans qui a fait ses premières armes en Bourgogne, dans les régions espagnoles de la Rioja, du Priorat et de Ribera del Duero chez Vega Sicilia, mais aussi au Chili et en Nouvelle-Zélande. Un nouveau commercial, qui travaille sur l'exportation, invite les importateurs dans la bodega, et met en valeur son produit. "Nous ne sommes ni rioja, ni ribera del duero (les deux plus célèbres dénominations d'origine), mais nous pouvons exister sur le marché", résume-t-elle.

En 2009, le guide The Wine Advocate du célèbre critique américain Robert Parker, qui a fait beaucoup pour la renommée des vins espagnols, attribue 93 points à ce vin de la dénomination mentrida, méconnue du public. Les portes des Etats-Unis, troisième destination du secteur après l'Allemagne et le Royaume-Uni, s'ouvrent.

 LE SECTEUR NE MANQUE PAS D'ATOUTS

Grâce au service d'un conseiller en importation de vins vers l'Asie, Pablo Alomar, qui travaillait depuis 2007 avec son époux, elle accroît sa présence au Japon, son deuxième débouché après les Etats-Unis. La mode exige des vins plus acides, plus frais ? Qu'à cela ne tienne, on avance un peu les dates de vendanges pour obtenir un vin plus frais et créer un rosé. Le vin écologique a le vent en poupe ? On demande l'homologation.

Le secteur, en général, ne manque pas d'atouts. A commencer par le prix du vin, plus bas, à qualité égale, que celui de ses voisins. "Les coûts de production sont relativement bas, la main-d'oeuvre est moins chère et l'exploitation est plus économique du fait du fort ensoleillement", résume M. del Rey.

Avec plus de 1 million d'hectares, contre les 800 000 en France, selon l'Organisation internationale du vin, l'Espagne espère devenir le premier exportateur mondial en volume, devant la France. Maria Marsans, elle, estime qu'elle devrait équilibrer ses comptes cette année et être en mesure de produire jusqu'à 120 000 bouteilles par an prochainement.

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