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Féminisme multicartes

26 juin 2013 à 19:06

Critique Briatte-Peters sur la brève histoire des «radicales» allemandes

Par YANNICK RIPA
Libération

En s’autoproclamant «radicales», l’aile minoritaire du féminisme de l’Allemagne wilhelmienne et son «trio moteur» (Minna Cauer, Anita Augspurg, Lida Gustava Heymann), réunis au sein du Frauenwohl (le Bien des femmes), voulaient se démarquer des modérées, inscrites dans la continuité des actions caritatives féminines. Malgré de lointaines prémisses - de la publication en 1792 de l’essai de Theodor Gottlieb von Hippel, favorable à l’émancipation des femmes, aux revendications sur les barricades du Printemps des peuples de 1848 - le féminisme bourgeois, né dans la décennie 1860, dut attendre l’unité nationale pour s’affirmer. Son orientation réformiste bon teint, en faveur de l’instruction ou contre la prostitution réglementée, permit au BDF (Bund Deutscher Frauenvereine, l’Union des associations féminines), fondée en 1894, d’exister malgré l’interdiction aux femmes de participer à des réunions et d’appartenir à des associations politiques. Cette ligne contrarie les «radicales» qui font scission en 1899 et accusent toute mesure favorable aux femmes d’être une concession, non un acte de droit exigé par l’universalité, faute de la participation féminine au législatif.

Autonomie. Leur féminisme entend dépasser la cause des femmes pour déboucher sur une recomposition de l’ordre social, économique et politique, afin «de faire de la nation allemande une nation d’individus "libres", c’est-à-dire autonomes, condition indispensable au progrès de l’humanité». Voilà pourquoi ces «championnes de la démocratisation du système politique», ces soutiens indéfectibles au «parlementarisme représentatif et au pluralisme politique» se qualifient de «radicales» ; voilà pourquoi la question de la nature du féminisme (un mouvement social et/ou politique ?) est ici hors de propos ; voilà pourquoi l’historienne Anne-Laure Briatte-Peters découvre là un «féminisme éthique», à l’existence brève, de 1888 à 1919, date du droit de vote des Allemandes.

Au temps de la gestation auprès des modérées, succède, de 1899 à 1908, celui de la maturité, orchestré par une organisation directrice, le VfF (Verband fortschrittlicher Frauenvereine, Confédération des associations progressistes des femmes) en lutte contre la double morale, pour l’obtention des droits civiques, l’instruction des jeunes filles, et la collaboration avec les travailleuses. L’auteure montre l’enjeu de cette alliance : la défense des prolétaires certes, mais aussi la nécessité pour les «radicales» d’élargir leur influence. Vain effort : les associations ouvrières n’ont pas oublié le camouflet du BDF, qui les a exclues à sa fondation, et suivent la politique de «séparation nette» prônée par Clara Zetkin. Guère plus efficaces furent les tentatives des «radicales» d’internationaliser leur mouvement, malgré le rôle d’Anita Augspurg dans la fondation de l’AISF (Alliance internationale pour le suffrage des femmes).

Libéraux. Recentrées sur le terrain national, les «radicales» brillèrent par leurs méthodes de communication (la propagande et la «scandalisation»), et par la spécialisation des militantes, doctorantes ou autodidactes, pour aider les femmes, notamment par la multiplication de bureaux d’assistance juridique. «Citoyennes sous tutelle» certes, mais désireuses d’être reconnues comme actrices politiques, elles instrumentalisent le droit d’assister, en silence, aux sessions parlementaires : moyen d’être vues et même d’être lues, en commentant les débats de la Chambre. Alors que les organisations féministes s’étaient engagées à une totale neutralité politique, les «radicales», toujours en quête de nouveaux partenaires, se tournent vers les libéraux, héritiers, comme elles, de la pensée de Stuart Mill.

La quasi-identité entre le libéralisme démocratique et le mouvement féministe de gauche qu’affirmait Minna Cauer est démentie par la résistance de ces partis à l’arrivée des féministes : en 1906, «le programme d’unification» de la gauche libérale omet le droit de vote des femmes. Deux ans plus tard, alors que la nouvelle loi sur les associations lève l’interdit fait aux femmes, les «radicales» n’investissent pas les partis, mais restreignent leur champ d’action au politique «au détriment des autres dimensions de la lutte pour l’égalité entre les sexes». Dès lors, s’interroge Briatte-Peters, quelles raisons auraient eues les Allemandes de les rejoindre ? Ainsi, dès l’avant-guerre, le glas a sonné pour cette mouvance féministe et son «projet non seulement féminin, mais aussi sociétal et anthropologique».

ANNE-LAURE BRIATTE-PETERS Citoyennes sous tutelle. Le Mouvement féministe «radical» dans l’Allemagne wilhelmienne Ed. Peter Lang, 461 pp., 90,95 €.

http://www.liberation.fr/livres/2013/06/26/feminisme-multicartes_913955

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