Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Biennale de Venise: le carnet de route des VIP de l'art
REPORTAGE - La 55e Biennale de Venise, mode d'emploi en sept chapitres. Jusqu'au 24 novembre, le public peut s'approprier plus calmement les expositions innombrables, visitées au pas de course par les professionnels, les artistes et les stars de toutes natures pendant la semaine de vernissage. Choses vues.
Envoyée spéciale à Venise
Nous avons vu ce bateau
- ÊTRE LES PREMIERS SUR LA LAGUNE
La semaine de vernissage de la Biennale de Venise est toujours un marathon pour l'oeil et le mollet. Cette année, le marathon était pris d'assaut (4513 journalistes, soit + 21% par rapport à 2011!). Et la Mostra vendait aux amateurs des accréditations spéciales, à partir de 200 euros, pour ceux qui ne pouvaient attendre le 1er juin et l'ouverture au public. Dès le lundi 27 mai, soit deux jours avant le vernissage officiel, les ultimes préparatifs concentraient encore un petit peuple laborieux d'artistes perfectionnistes, de commissaires aux aguets et de professionnels impatients sur la lagune.
Joana Vasconcelos a transformé un ferry de Lisbonne en création 100% portugaise. PHOTO VD/ LE FIGARO
2- PARTIR EN MER
En arrivant aux Giardini, un air de fado faisait tourner la tête. Le Pavillon du Portugal est un pavillon flottant, un petit ferry affrété depuis Lisbonne, venu par cabotage, mais dûment customisé par Joana Vasconcelos, reine de Versailles l'été dernier. Ce jour-là, on pouvait monter en avant-première à bord et ressentir la franche bonne humeur de cette équipe méditerranéenne. Rondeur callipyge et bouille enfantine, Joana est le capitaine allègre de ce bateau de l'art, brunette en chasuble de designer, frange d'écolière et maquillage «nude». Sur la coque bombée de ce pseudo «vaporetto», une large frise d'azulejos dessinent la ville portugaise en bleu. Joana bat tous les records de popularité au Portugal, a gagné deux fois le concours de la «people préférée» dans la presse du même nom, expose cœur en fourchettes rouges (Coraçâo Independente Vermelho ou Red Independent Heart) et lustre en tampons pâles OB (A Novia ou The Bride, refusée d'entrée à Versailles en 2012) dans le Palacio Nacional da Ajuda, jusqu'au 25 août.
Joana Vasconcelos à son dîner de gala, le vendredi soir, au Club nautique sur l'île de San Giorgio Maggiore, pile en face de son bateau amarré aux Giardini. PHOTO VD/ LE FIGARO
A Venise, elle n'a rien perdu de son exubérance. Du liège brun tapisse entièrement le pont et, dans la cale, gît une caverne tapissée de nuit et de merveilles enfantines avec l'imbrication de crochet, de rubans, de paillettes propres à l'artiste du féminin détourné (invitation à ce «Trafaria Praia» en forme de tickets de ferry XXL multicolores). À raison de 100 passagers, ce pavillon flottant (avec museum shop des designers portugais à l'intérieur) faisait faire aux VIP de l'art le tour de la lagune jusqu'à la Pointe de la Douane. Joana Vasconcelos avait proposé il y a deux ans ce projet navigateur à François Pinault qui préféra lui offrir le Palazzo Grassi pour sa Contamination tentaculaire en 2011.
3- VOIR LES ARTISTES A l'OEUVRE
Dans les Giardini encore calmes en ce premier lundi, on respire l'odeur des «galants de nuit» (jasmin nocturne) et on s'approche doucement de l'art en chantier. La France et l'Allemagne ont échangé leurs pavillons et donc Anri Sala, notre champion, a hérité d'un espace magnifique pour y déployer son art à la fois cérébral, musical et plastique (Ravel/Unravel, trilogie vidéo sur le Concerto pour la main gauche de Ravel). Seul dans l'espace magnifiquement agencé par cet artiste né en Albanie et sa brillante commissaire Christine Macel (Centre Pompidou), on savourait mieux l'intense beauté de ce ballet à une main sur le clavier, puis à deux mains car à deux pianistes, et à deux orchestres. Dès le vernissage, file d'attente et bouchons pour ce grand coup de coeur de la 55e Biennale de Venise, grand favori du buzz et grand perdant du palmarès qui lui a préféré le Pavillon de l'Angola.( (vu)
Anri Sala, héros discret du vernissage aux Giardini.
À la fois réservé et disert, Anri Sala arborait un magnifique coup de soleil vénitien, parce qu'il était juste «sorti de trois semaines de montage et de pénombre et avait retrouvé soudain l'air libre comme un revenant». Les photographes de Point de Vue l'ont suivi dans les Giardini, cheminant avec la belle Rosario de Bulgarie. Le mercredi, un déjeuner très officiel au Gabrielli le faisait s'asseoir à la droite de la Ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, toute de Courrèges turquoise et beige, à une table qui réunissait SE l'Ambassadeur de France en Italie, Alain Le Roy, et Xavier Darcos, président de l'Institut Français.
Natacha Ivanova et Sacha Ponomarev dans les Giardini. PHOTO VD/ LE FIGARO.
Dans les Giardini, les artistes sont à tous les carrefours, ici AA Bronson, seul survivant du collectif canadien General Idea, longue barbe grise et oeil voyou, qui ressemble à un fugitif du groupe texan ZZ Top . Devant le pavillon russe et sa géniale pluie d'or empruntée à Danae (l'artiste Vadim Zakharov a séduit tous les russes par son humour frais et provocateur), la jeune peintre de Saint-Petersbourg Natacha Ivanova discutait ferme avec Sacha Ponomarev, géant de Moscou dont le sous-marin peint et inoffensif incarne toute l'utopie et la poésie grave (Universita Ca' Foscari Dorsoduro).
4- HALTE OBLIGÉE DANS LA CITÉ ET SES PALAIS
Pour cette 55e édition, son jeune commissaire Massimiliano Gioni a conçu un «Palazzo enciclopedico» qui a canalisé très vite toute l'attention et tous les débats (Savant? Trop savant? Historique? Révolutionnaire? Génial? Soûlant?). Etonnamment, l'exposition «Prima Materia»(vu) de Caroline Bourgeois et Michael Govan à la Pointe de la Douane partageait d'instinct cette vision éclectique et accumulatrice, juxtaposant les mondes parfois très lointains (de l'arte povera à Adel Abdessemed, de Roman Opalka à Ryan Trecartin).
Les privilégiés ont pu voir l'artiste et philosophe sud-coréen Lee Ufan réaliser en direct Relatum (Formerly Phenomena And perceptionB), surveillant au centimètre près le lâcher de pierre sur l'épaisse plaque de verre qui devait dessiner trois lignes nettes en trois simples brisures nées de l'impact. Fascinant exercice zen qui a demandé du temps et du doigté à quelques ouvriers vénitiens bien musclés, sommés de retenir leur souffle, la chaîne de métal et le bloc de pierre pour les besoins de l'art.
Lee Ufan surveillant la réalisation de son oeuvre à la Pointe de la Douane. PHOTO VD/ LE FIGARO (vu)
A l'autre bout du Grand Canal, la fondation Prada faisait courir les nostalgiques et les impétrants de l'art contemporain naissant avec Quand les attitudes deviennent forme: Berne 1969 / Venise 2013, hommage conçu par Germano Celant «en dialogue avec Thomas Demand et Rem Koolhaas». Le projet reconstruit dans l'architecture splendide de Ca' Corner della Regina, sous la forme d'un remake inédit, l'exposition conçue en 1969 par Harald Szeeman à la Kunsthalle de Berne.
Germano Celant à la Fondation Prada.
Comme il s'agissait «d'insérer - aux dimensions réelles - les salles modernes de la Kunsthalle, délimitées par les surfaces blanches de leurs murs, au cœur des anciennes salles décorées et peintes à fresque du palais vénitien», la place était fort restreinte. Heureux donc, comme Daniel Buren et Jérôme Sans, ceux qui ont pu visiter ce mirage de l'art dans des conditions optimales. Et discuter avec Germano Celant de cette relecture somptueuse de l'arte povera. Simon de Pury, libéré de ses liens avec la maison de vente Phillips, discuta avec la veuve d'Harald Szeeman, l'artiste Ingeborg Lüscher, qui se rappelait combien elle fut réticente, à l'époque, à cette révolution des formes.
5- L'ART REVIT LE SOIR
Cela commence au crépuscule. Cette fois, de l'autre côté de la lagune pour le vernissage de Marc Quinn à la Fondazione Giorgio Cini Onlus. Difficile de rater, sur l'île de San Giorgio Maggiore, la présence de ce quinqua charmeur de la YBA's Generation, éternel rival de Damien Hirst et collectionneur d'art sacré du Gandhâra. Son énorme statue mauve de femme chauve sans bras en a choqué plus d'un, surtout à côté de pareille beauté palladienne. Est-ce pour cette raison que l'oeuvre gonflable se dégonflait la nuit? Sur le quai grâce à ses galeristes, l'Autrichien du Marais Thaddaeus Ropac et le Londonien ultra-mondain Jay Jopling, le vernissage fut gai et couru, malgré la pluie, une fête très raffinée sans grand rapport avec l'exposition des statues d'handicapés nus en marbre aveuglant de blancheur. Dans la foule très internationale des convives, on allait d'Est en Ouest, de Tony Salamé, collectionneur libanais et pilier de la jeune Beyrouth Art Fair, à Olga Sviblova, grande prêtresse de l'art contemporain et de la photo à Moscou.
Breath, de Marc Quinn, nu géant visible de tous les vaporettos et qui se dégonflait la nuit. PHOTO VD/(vu)
LE FIGARO
C'est toujours un bonheur d'être à Venise, disaient-ils tous à la veille de l'offensive Arsenal + Giardini, cet énorme banquet d'art que représente une Biennale (deux énormes expositions internationales sur deux lieux gigantesques, 88 participations nationales, soit 10 pays de plus qu'en 2011 comprenant le Kosovo, l'Angola, le Koweït, les Maldives et Bahrein). Sans compter les 47 événements collatéraux où la passion et le flair conduisent les plus tenaces et les plus aventuriers des festivaliers.
6- MURANO A LA RESCOUSSE
Le même soir, au Palazzo Cavalli Franchetti pile au débouché du pont de l'Accademia, le Liban fêtait le vernissage de son pavillon avec son artiste Akram Zaatari et son duo pétillant de commissaires, Sam Bardaouil and Till Fellrath pour son beau film grave et dépouillé, Letter To A Refusing Pilot (Arsenal). Parmi les invités du Vénitien Adriano Berengo, trublion aux lunettes rouges et initiateur de l'exposition «Glass Stress» qui associe Murano et l'art contemporain, des artistes venus du Liban comme Mona Hatoum, la femme de verre, d'Iran comme la vidéaste Shirin Neshat et son compagnon, l'écrivain, réalisateur, photographe et cinéaste Shoja Azari (présent dans l'exposition «Love Me, Love Me Not» sur l'art contemporain issu d'Azerbaïdjan et des environs). Des émissaires des institutions françaises sur la lagune, Alain Seban, président du Centre Pompidou, Françoise Pams, son infatigable directrice de communication.
7- QUAND L'ART AGRANDIT SON CERCLE
Depuis l'ouverture du Palazzo Grassi et son premier dîner de gala sous les voûtes de l'Arsenal en 2006, la Biennale de Venise a rendez-vous avec François Pinault, l'homme d'affaires et le collectionneur radical qui a planté le drapeau breton à côté du drapeau vénitien en haut de la Pointe de la Douane. Comme en 2011, le dîner de gala avait lieu le mercredi soir dans les jardins merveilleux du monastère bénédictin de S.Giorgio Maggiore (1500 convives!). Deux allées pour accéder aux hôtes de ces lieux, l'allée VIP et l'allée VIP-VIP réservée aux stars du soir. Pas question cette fois de bousculer la princesse Charlotte de Monaco, la richissime milliardaire russe Dasha Zhukova, compagne de Roman Abramovitch ou l'héritière Niarchios.
Anish Kapoor au dîner de gala de la Fondation François Pinault.
Beaucoup d'artistes bien-sûr: pantalon bleu pétrole comme toujours, Adel Abdessemed dont les Christ en fil de fer barbelé(vu) sont réaccrochés à la Pointe de la Douane après New York (David Zwirner), Colmar et le Centre Pompidou; la star de Monumenta 2011, l'artiste anglo-indien Anish Kapoor, détendu et souriant après le vernissage de sa rétrospective au Gropius Bau à Berlin; Damien Hirst, un peu atone, à la table vedette de Francois-Henri Pinault; Johan Creten le Belge qui transforme la nature en céramique baroque et Jean-Michel Othoniel, bientôt à l'honneur dans les jardins de Versailles... Tout le monde dansait au son des Mariachis (plutôt des Gitans habillés en Mexicains).
Ce soir-là, la fièvre montait grâce à Hollywood. D'abord avec Salma Hayek, tanagra ravissant et Mme François-Henri Pinault à la ville, qui accueillait chaque convive d'un sourire irrésistible. Et surtout Leonardo DiCaprio, arrivé incognito avec veste de reporter et casquette pour duper les paparazzi, qui dîna en tournant le dos (rond) aux admirateurs et aux objectifs. «Sa présence avait-elle un lien avec sa charity auction réalisée avec l'aide de Christie's?», se demandaient les pros du marché. Farouchement discrète, Ségolène Royal faisait sa première apparition dans ce contexte férocement arty. Elle refusa l'invitation d'un gentilhomme suisse qui voulut la raccompagner avec son bateau-taxi.
A côté de Jonathan Zebina, Eric Cantona, impassible, lors de la remise des prix de cette 55e Biennale de Venise.
Les stars du football n'ont pas oublié la Biennale de Venise. Barbu comme un mousquetaire, Éric Cantona et sa compagne Rachida Brakni , cachée sous sa casquette et ses lunettes noires, étaient sagement dans les rangs, samedi aux Giardini, pour la remise des Lions d'Or qui allaient récompenser le Pavillon de l'Angola, l'artiste suisse Tino Sehgal et surtout l'artiste française Camille Henrot, gros coup de coeur de l'Arsenal avec sa vidéo épatante, sorte de Genèse contemporaine en pop-up. Et ce n'est que la première semaine!