Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Sartre et Camus: une étrange amitié
Albert Camus lors d'un meeting de soutien à la République espagnole en présence de Jean-Paul Sartre, au centre, à Paris. Crédits photo : © Roger-Viollet/© Roger-Viollet
Une lettre inédite du jeune Camus au philosophe offre un éclairage nouveau sur les relations tumultueuses entre les deux hommes.
Tout a été dit sur la querelle entre Sartre et Camus. Au départ, beaucoup de vues communes mais, déjà, les réserves de l'un et l'autre sur leurs ouvrages respectifs puis la distance qui se creuse au gré des prises de position, les mots d'oiseaux qui jaillissent par revues interposées et le livre qui fâche, L'Homme révolté. Camus y écorne les états totalitaires. Plaidoyer un peu trop sincère qui fait bondir l'existentialiste de Saint-Germain-des-Prés. Il fustige l'«incompétence philosophique» de Camus tandis que l'intéressé répond, définitif: «Je suis las d'être critiqué par des gens qui n'ont jamais mis que leur fauteuil dans le sens de l'histoire.»
L'Histoire littéraire a donc retenu la brouille définitive entre les deux hommes. C'était sans compter sur la petite histoire qui vient fréquemment bouleverser l'ordre établi. Certes Sartre et Camus se sont fâchés, mais ils ont aussi fricoté comme deux bons compères. «Mon cher Sartre, Voici vos ors, que je sertis de remerciements. Je vous souhaite ainsi qu'au Castor de beaucoup travailler. Et bien. Car nous avons fait du mauvais travail avec nos amis. Si mauvais que j'en dors mal. Et faites-moi signe à votre retour: nous passerons une soirée dégagée. Amitiés. Camus.» Ce ne sont pas les mots d'un ennemi juré.
Le billet de Camus à Sartre. Crédits photo : Librairie Walden/AFP
Ce billet, non daté, a été retrouvé inséré dans l'exemplaire d'une plaquette tirée à soixante exemplaires publiée par Sartre au lendemain de la mort de Camus. Son propriétaire, un bibliophile, avait enrichi cette plaquette avec cette lettre, placée par le relieur au début du livre, pratique courante chez les collectionneurs avertis.
Inédite jusqu'alors, la lettre sera la curiosité de l'exposition organisée par l'association Sisyphe au château de Lourmarin, en septembre prochain, à l'occasion du centenaire de la naissance de l'auteur de L'Étranger («Albert Camus. De Tipasa à Lourmarin. Une exposition pour le centenaire», du 5 au 8 septembre au château de Lourmarin). Inédite et rare car la grande majorité de la correspondance entre les deux hommes a disparu. De leurs échanges, seules les revues ont gardé traces et elles furent plutôt aigres. On peut donc imaginer l'étonnement des époux Valentin, libraires et bibliophiles, découvrant cette missive alors qu'ils préparaient l'exposition. «Nous avons envoyé un e-mail à Ronald Aronson, professeur américain, parce qu'il est un spécialiste de Sartre et a étudié les rapports qu'il entretenait avec Camus, confie la libraire. Il nous a précisé l'intérêt de cette lettre qui pourrait avoir été écrite entre 1943, l'année de leur rencontre, et 1948 avant que leurs relations ne se tendent. Il a émis une hypothèse.»
Quel est donc ce mauvais travail dont parle Camus qui l'aurait empêché de dormir? Il pourrait s'agir de la collaboration avortée entre Camus et Sartre pour la mise en scène de Huis clos. En 1943, séduit par ce jeune écrivain qui venait juste de publier L'Étranger, Sartre lui avait en effet proposé de réaliser la mise en scène de sa pièce. Magnanime, il avait même demandé au ténébreux Méditerranéen d'interpréter le rôle de Garcin. Simone de Beauvoir, alias le Castor, a conté cet épisode. «Camus hésita un peu et comme Sartre insistait, il accepta. Les premières répétitions eurent lieu dans ma chambre… La promptitude avec laquelle Camus se lança dans cette aventure, la disponibilité dont elle témoignait nous donnèrent de l'amitié pour lui.» Mais le directeur du Vieux-Colombier passa outre cette amitié naissante en déclarant que Camus n'était pas assez expérimenté. Puisqu'on lui retirait la mise en scène, Camus renonça également au rôle. Le Castor mentionna par la suite une lettre de Camus «se retirant avec douceur de cette collaboration théâtrale». D'où peut-être ces «ors» que rendrait Camus à Sartre, une manière de se délier tout en montrant son désarroi d'avoir failli, lui le fou de théâtre, en évoquant ses insomnies.
Ce document qui marque un moment précis dans la trajectoire commune des deux hommes sera donc bien la curiosité de l'exposition de Lourmarin qui comptera, on s'en doute, des trésors moins anecdotiques prêtés par des collectionneurs ou des institutions. Parmi eux, d'autres lettres, à Vercors par exemple. Dans celle-ci, Camus le remercie de son mot envoyé après qu'il eut reçu les ors du Nobel. Sacré bon boulot cette fois.
De nombreux inédits pour un centenaire attendu
Le 7 novembre prochain, Albert Camus aurait eu cent ans. Pour célébrer cet anniversaire, les maisons d'édition vont faire flèche de tout bois pour honorer la mémoire de l'écrivain, tout particulièrement du côté de chez Gallimard, qui fut son éditeur exclusif, jusqu'à sa mort tragique en 1960, sur une route de l'Yonne.
La correspondance volumineuse du Prix Nobel de littérature 1957 sera ainsi enrichie en septembre de trois nouveaux volumes totalement inédits, comportant l'intégralité de ses échanges épistolaires avec le poète Francis Ponge, Louis Guilloux et Roger Martin du Gard. Toujours chez Gallimard, la fille et ayant droit moral de l'écrivain, Catherine, publiera en octobre un album abondamment illustré, Le Monde en partage. Itinéraires d'Albert Camus, ouvrage complété par le catalogue de l'exposition «Albert Camus, citoyen du monde», qui se tiendra du 5 octobre au 4 janvier 2014, à Aix-en-Provence. Par ailleurs, l'essentiel du corpus de l'auteur de L'Homme révolté (près de 1500 pages) sera rassemblé dans la collection «Quarto» (depuis L'Envers et l'Endroit, publié en 1937, jusqu'à son récit posthume Le Premier Homme). Une édition accompagnée de nombreux commentaires d'écrivains contemporains et de quelques textes rares.
Du côté des inédits, on retiendra le témoignage de son ami de jeunesse Abel Paul Pitous, écrit il y a près de quarante ans (Mon cher Albert ). Toujours chez Gallimard, les fameux Carnets, véritable laboratoire littéraire, vont faire leur apparition en format poche («Folio»). Même chose pour ses brefs Journaux de voyage et l'intégrale de ses articles pour Combat (1944-1947). On attend également Camus brûlant (Stock), de l'historien Benjamin Stora et du documentariste Jean-Baptiste Péretié, écartés l'été dernier du projet d'exposition consacré à l'écrivain, ainsi que l'essai de Jean Monneret, Camus et le terrorisme (Michalon). Enfin, le romancier Salim Bachi (né en 1971 à Alger) publiera chez Flammarion un portrait de Camus pendant ses années de formation intellectuelle, sous le titre: Le Dernier Été d'un jeune homme.
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