Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Dina Nayeri : le retour aux sources d’une Iranienne par l’écriture
Née en Iran en 1979, année de la révolution, Américaine d’adoption, Dina Nayeri recherche à travers l’écriture cette part d’« iranité » enfouie dans son passé.
Dina Nayeri : « Mes racines iraniennes me manquent, l’écriture peut me les rendre. »
Son livre Une pincée de terre et de mer (1) raconte l’histoire d’une Iranienne de 9 ans, restée en Iran alors que sa mère et sa jumelle, Mahtab, sont parties – elle en est sûre – s’exiler aux États-Unis, en pleine révolution iranienne. Saba, restée avec son père dans le village familial, vit par procuration le destin de son double aux États-Unis. Dina Nayeri, l’auteure, est à la fois Saba et Mahtab. Son histoire s’écrit lorsqu’elle quitte l’Iran, avec sa mère et son frère, en 1989.
Sa mère, gynécologue, n’avait pas eu le choix : elle s’était convertie au christianisme. « Je suis devenue chrétienne aussi, et même si je n’avais que 6 ans, j’en étais fière, raconte Dina. J’avais l’impression de me rapprocher de ma grand-mère qui vivait à Londres. » Sauf qu’en Iran, l’apostasie est punie de la peine de mort. En pleine guerre Iran-Irak, sa mère affiche ouvertement ses convictions religieuses. Dina aussi. Leurs amis sont arméniens, elles fêtent Noël.
Les professeurs de Dina la mettent en garde. Elle est exclue de sa classe. Sa mère est arrêtée à plusieurs reprises. Elle est placée en résidence surveillée. À la faveur d’un bombardement sur leur quartier, elle profite de la confusion pour s’évader avec ses deux enfants, laissant en arrière le père de Dina, qui ne veut pas de l’exil.
En Oklahoma, les Iraniens étaient mal vus
Leur voyage vers « la liberté » passe par Rome. La famille attend le feu vert pour l’émigration vers les États-Unis. En 1991, Dina arrive avec sa mère et son frère en Oklahoma. « Je pensais que c’était la fin du voyage, mais en fait ce n’était que la seconde étape. » L’Oklahoma n’est pas ce dont elle rêvait. En pleine guerre du Golfe, dans cette région du Midwest, les Iraniens sont mal vus. « Dans mon imaginaire, l’Amérique était un melting-pot. En fait, constate-t-elle avec le recul, je ne me suis pas fondue dans le pot. »
Elle comprend qu’il lui faudra beaucoup d’« efforts pour être intégrée », met les bouchées doubles. « L’Amérique que je voulais était ailleurs, à Princeton et Harvard », où elle veut étudier. Pour être acceptée, elle sait qu’elle doit exceller en tout. Ce qu’elle fait. Sportive, elle pratique le taekwondo, devient championne nationale, fait une formation pour être sauveteur en mer. Engagée, elle crée sur le campus une ONG pour aider les enfants défavorisés.
L’excellence de son parcours la conduit à Princeton, l’université des élites américaines. « Je garde le souvenir d’un campus où les étudiants étaient sophistiqués, issus de familles riches, la plupart venaient d’Europe. » Dina accède enfin à l’Amérique rêvée. Elle y rencontre son futur mari, lui aussi figure de l’intégration réussie : il parle plusieurs langues et possède cinq passeports.
« L’idée d’écrire un livre m’est venue à Paris. »
Le couple déménage à New York, se marie. Les deux intègrent Harvard. Puis, Dina est embauchée dans un cabinet d’audit international. La réussite. Le couple déménage en France, son mari fait une année d’études à Fontainebleau. « L’idée d’écrire un livre m’est venue à Paris. » Le couple s’installe ensuite à Amsterdam. Et se sépare. Dina rentre aux États-Unis. Elle veut écrire, comme une thérapie vers des retrouvailles avec l’Iranienne qu’elle pense au fond d’elle-même avoir toujours été. Elle obtient la bourse Truman Capote et participe à un atelier d’écriture à l’université de l’Iowa.
« Pour la première fois de ma vie, j’avais vraiment le choix, celui de réfléchir à qui j’étais. J’avais passé beaucoup de temps à devenir une bonne Américaine et une bonne Occidentale. Les souvenirs du village de mon père – que je n’ai revu que trois fois –, où nous nous retrouvions tous pour de grands repas, l’idée d’avoir une famille autour de moi, à qui je pouvais me confier, tout cela me manquait. Ma vie a été bâtie sur une image à laquelle je devais ressembler. »
L’Iran, sa famille, sa culture, les odeurs, les rites familiaux, Dina veut les retrouver. Cela devient une obsession. Elle repeint même sa chambre en bleu d’Ispahan. Ne pouvant retourner en Iran, elle fait des recherches, des interviews, réussit à recréer « sa vie antérieure ». « On peut avoir des racines ou des ailes. Mon père a ses racines, moi les ailes. Mes racines me manquent, l’écriture peut me les rendre. »
(1) Éditions Calmann-Lévy, 468 p., 20,90 €.
Agnès Rotivel