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L’art et la jachère

19 juin 2013 à 20:56 (Mis à jour: 21 juin 2013 à 12:03)

Par EDOUARD LAUNETEnvoyé spécial à Amiens et à Chaumont-sur-Loire

Jardins. A Chaumont-sur-Loire et Amiens, deux festivals invitent des artistes à rhabiller les paysages.

«Last Splash» de Boris Chouvellon. - Photo Paul Kanitzer

Ça ne va pas du tout. A force d’annoncer pour le lendemain un temps encore pire que celui de la veille, Météo France a réussi à nous gâcher le printemps. Résultat : les jardins ne savent plus où ils en sont, les jardiniers dépriment, les promeneurs s’égarent. Hier, on croyait cueillir du muguet, ce n’étaient encore que des perce-neige ! C’est probablement pour anticiper ce genre d’aléas climatiques que beaucoup de festivals liés aux jardins se sont ouverts à l’art contemporain : le créateur est moins sensible à la température que les camélias et les rhododendrons, et il livre ses productions à l’heure (enfin, assez souvent). En sus, le calme plaisir d’une promenade dans la verdure vous met dans une disposition d’esprit permettant d’apprécier jusqu’à l’œuvre la plus incongrue. Deux manifestations, à Amiens et à Chaumont-sur-Loire, au nord et au sud de Paris donc, donnent de ce mariage art-végétal deux moutures diamétralement opposées. A Amiens, le tout jeune festival Art, Villes et Paysage a parsemé les hortillonnages - jolis marais parcourus de canaux, au bord de la ville - de clins d’œil faits par des artistes britanniques et français de moins de 36 ans. C’est une exposition foutraque que l’on visite en barque, en allant d’île en île, en slalomant entre les canards et les mouettes, entre les huttes de chasseurs et les bateaux de maraîchers. A Chaumont, ce sont les paysages plus sucrés du cœur de la France, le prestige d’une manifestation - le festival international des jardins - qui en est déjà à sa 22e édition, un rendez-vous de paysagistes et d’artistes renommés, le voisinage des châteaux de la Loire. Lesquels vivent dans une ambiance assez peu maraîchère.

Canardage. Commençons par Amiens et cette belle idée : confier une petite île des hortillonnages à chacune des équipes sélectionnées par le festival créé par la maison de la culture (MCA) de la ville. La manifestation est née il y a quatre ans dans le sillage suspect de l’éphémère Conseil de la création artistique, machin sarkozien pour doubler le ministère de la Culture par sa droite. La chose avait accouché de l’initiative «Imaginez maintenant» destinée à doper la jeune création dans une dizaine de villes. De ces roides forceps a au moins émergé une manifestation pérenne, qui a pris cette année un nouveau nom - Arts, Villes et Paysages, donc - et une nouvelle direction : l’amitié franco-britannique, ce qui lui permet de bénéficier de quelques subsides européens. Le visiteur embarqué avec son chapeau et ses lunettes de soleil découvrira 18 jardins et 11 installations ; il passera près d’îles privées garnies de charmants bungalows et de moulins à vents miniatures ; il saluera en passant une douzaine de huttes de chasseurs entourées de leurs «appelants» (canards pour attirer les canards) ; il sera rassuré de savoir que le canardage n’a lieu que tôt le matin et tard le soir.

Bref, le visiteur passera deux charmantes heures dans une joyeuse mixité horticolo-culturelle. Comme si le Palais de Tokyo avait soudainement débordé dans un jardin ouvrier ! C’est d’ailleurs l’idée directrice de ce festival, ainsi résumée par Gilbert Fillinger, directeur de la MCA : «Exposer un large public à la création contemporaine sans l’obliger à passer par l’institution.» Saluons un embryon de festival «off» : sur l’île aux fagots, juste à côté d’une parcelle où le plasticien marseillais Boris Chouvellon a dressé les ruines d’un toboggan aquatique, un particulier a planté dans son potager une forêt de parapluies transparents qui ont la double qualité de protéger les fraisiers et d’adresser un amical salut à Daniel Buren et à ses parasols de la Monumenta 2012. Mais peut-être nous trompons-nous.

Big-bang. Direction Chaumont-sur-Loire maintenant, où Chantal Colleu-Dumond et François Barré veillent sur un domaine toujours plus grand, semé d’œuvres monumentales, de microjardins et - nouveauté - de quelques animaux. Le festival, créé en 1992 par Jean-Paul Pigeat, continue d’exécuter sa petite musique de fleurs et d’art, mais l’action se déplace peu à peu vers le parc, qui s’élargit avec les prés du Goualoup et accueille les créations anciennes ou récentes de Giuseppe Penone, Fujiko Nakaya, Patrick Dougherty, Tadashi Kawamata, Anne et Patrick Poirier, Andrea Branzi, Erik Samakh, Shodo Suzuki et quelques autres. Le sculpteur autrichien Klaus Pinter a abrité dans les écuries une énorme bulle transparente dont la surface est constellée de feuilles de magnolias dorées. C’est le big-bang d’un Premier Matin (nom de l’œuvre). Côté festival, soit une trentaine de petites parcelles, le thème de l’année est «Jardins des sensations». Fin mai, la première sensation qui étreignait douloureusement le visiteur était que le printemps pourri n’avait pas facilité le dérèglement des sens. Mais tout va aller mieux : quand la nature prend du retard, la culture doit prendre de l’avance. Et puis l’été ne sera peut-être pas catastrophique.

 

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