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Trieste, l'exquise mélancolie

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    • Par François Simon
    • Mis à jourle 06/05/2013 à 15:53
    • Publiéle 03/05/2013 à 17:04

EN IMAGES - Voisine de Venise, Trieste, prise par le roulis d'une histoire hautement contrariée, goûte aujourd'hui une paix dans le calme d'un tourisme de discrétion, avec, à la clé, le souvenir d'écrivains illustres et l'incroyable dispositif de cafés dignes de Vienne.

 

Lorsque vous lirez ces lignes, il y a de fortes chances que la ville de Trieste soit sous un ciel bleu. Comme dans une chambre d'enfant trop bien rangée. Ces immeubles de haute prospérité, aux fronts hauts et intelligents feront comme si de rien n'était ; places lumineuses (le pavé le plus beau d'Europe), mer ondoyante, musées au taquet, cappuccino crémeux. C'est parfait, à présent, vous pouvez vous installer, boire à petites gorgées la mélancolie de la ville, vous laisser parfumer par la nature proche: châtaigniers, buissons de figuiers, de grenadiers, de myrtes et de jasmins… «La nature, poursuit l'écrivain Charles Nodier, a donné à Trieste une petite forêt de chênes verts, qui est devenue un lieu de délices ; on l'appelle dans le langage du pays, le Farnedo, ou le Bosquet (…) Le Bosquet joint souvent même à tous ces charmes celui de la solitude ; car l'habitant de Trieste, occupé de spéculations lointaines, a besoin d'un point de vue vaste et indéfini comme l'espérance.»

Neptune veille sur la Place de la Bourse.

Neptune veille sur la Place de la Bourse. Crédits photo : Franck Prignet

Pourtant, fin mars, cette ville vous aurait vitrifié d'effroi et de glace. Elle rugissait, mettait un souk sans nom dans les penderies, soufflait comme une démone. Dans les rues, il fallait s'accrocher aux rambardes, car la bora, ce vent venu du nord, avait repris possession des lieux. Il poussait ces jours-là à 75 km/h, inutile de dire que l'on marchait en oblique (75°), en embardées, parfois même porté sur quatre pas en redoutant que des rafales historiques ­reviennent culbuter les records (225 km/h). Dans ces cas-là, on ne maudit personne. On s'envole sans doute, veste et jupon par-dessus tête. Trop heureux d'être en vie et surtout d'avoir connu le vrai caractère de la ville, une sorte de tumulte monstrueux qui attira ici l'un des plus beaux castings de la Mitteleuropa: Sigmund Freud, James Joyce, Rainer Maria Rilke, Italo Svevo, Stendhal, Casanova… Pfuit, la liste est interminable, on se demanderait presque si l'office de tourisme n'a pas traficoté Wikipédia. Pourtant, c'est bien ici que sont passés les Claudio Magris, les Jules Verne… Paul Morand fit mélanger ses cendres à celles de son épouse, Hélène Soutzo, au cimetière grec orthodoxe de Trieste.

Le tramway, toujours l'un des plus lents d'Europe

Le vent rend régulièrement cette ville marteau. Du reste, l'antipsychiatrie y connut des heures de gloire. On venait de toute l'Europe voir les «fous» gambader en liberté dans les jardins bordant la route. Véritable laboratoire du malaise, au bord de nulle part et de l'irréel, on réalise ce qu'un Rainer Maria Rilke venait puiser à Duino, auprès de la princesse von Thurn und Taxis: s'exposer à la tempête au-dessus du gouffre de l'immensité. Le château est terrible posé sur la roche comme le menton sur la paume. Egon Schiele venait y peindre des barques et des bateaux. Le tramway bleu et blanc, toujours en exercice, est sans doute l'un des plus lents d'Europe.

Ambiance viennoise au Caffè San Marco.

Ambiance viennoise au Caffè San Marco. Crédits photo : Franck Prignet

Tout cet esprit, ces vents contraires, vous les retrouverez résumés dans l'univers des cafés… Partout, ils prennent le relais comme s'ils vous tenaient par la main. Pour vous rassurer, vous apaiser. Voici un lieu de paix, de rédemption. Ici, on calme ses angoisses en buvant d'un trait les «capo in b» (cappuccino in bicchiere), petites bombinettes surdistillées. On se réveille des torpeurs molles nées de ce climat étrange à la fois suave et tumultueux. Les cafés de Trieste sont des lieux si vivants qu'on s'y endort. On y passe des après-midi entières. Peut-être rejoindrez-vous alors la compagnie des caféistes, groupe non identifié, ne se contentant pas seulement de boire le café sous toutes ses formes mais également de s'inspirer de cette façon quasi existentielle de pousser les arômes jusqu'au bout (la torréfaction), d'en puiser l'acuité et l'accélération. Véritable drogue légale que l'on tient à la pincée, le café est le trait d'union de la ville, c'est son réveille-matin, sa canne blanche. Il ne vous faudra pas longtemps pour gager cette torpeur amusée, passer son temps à ne rien faire, se promener lentement dans les jardins du château de Miramare. Lire et relire.

Folie végétale dans le parc Miramar.

Folie végétale dans le parc Miramar. Crédits photo : Franck Prignet

Aller à Trieste, c'est un peu le contre-pied des voyages. L'offre culturelle n'est pas trop asphyxiante, les journées sont belles et l'exposition magnifique. Peut-être réussirez-vous à prendre l'accent triestin, une sorte de subtil zézaiement qui faisait la fierté de Joyce lorsqu'il écoutait ses enfants nés ici même. La ville a le cœur grand et gros, l'histoire l'a régulièrement bafouée et fait trébucher. Elle passa entre les mains du monde entier: l'Empire romain (deux siècles avant J.-C.), la Vénétie républicaine (1202), les Habsbourg (1303), l'Italie, puis les nazis et même Tito. Elle loupa l'arrivée des chemins de fer, perdit son ascendant sur Venise ; son port qui était un véritable emporium ne se consacra plus qu'au transit et se vit tour à tour dépossédé par Gênes, Naples, ­Palerme, Brindisi, puis Hambourg et Brême… «Mon regret, disait Julien Gracq qui regrettait beaucoup, est d'avoir manqué Trieste, le Trieste de Mathias Sandorf, de Sten­dhal et de Paul Morand. (…) J'y aurais cherché en vain les traces du deuil, du long deuil de l'empire du Milieu traîné par une ville qui fut le poumon de l'Autriche-Hongrie, la tristesse d'une Venise sans canaux, sans tableaux et sans touristes, le fantôme d'une City mort-née et d'un Llyod sans affrètements et sans navires, les ruelles herbues, désertes, grelottantes sous le fleuve d'air glacé de la bora, qui montent vers le désert sans arbres, le plateau africain du Karst tout proche.»

Las, Trieste pourtant ne renonce jamais. La culture lui redonne des couleurs ; les docks réhabilités (comme à Hambourg, Londres, Nantes…) redonnent du coffre à la ville. S'il existe une destination bien dissimulée, incroyablement féconde, ample dans ses tourments, c'est bien elle. De surcroît, ces villes aiguës, de paquebots et de fortunes perdues, de larmes et de neurasthénie, de renoncement et d'empêchement, vous donnent paradoxalement l'agréable et inattendu sentiment. Celui d'être bienheureux.


LE CARNET DE VOYAGE

Utile

L'office du tourisme italien (01.42.66.03.96 ; www.enit.it).

Y aller

En attendant que quelques vols directs desservent Trieste, il vous faudra transiter par Munich, Rome ou Milan. Notre recommandation: passer par Venise avec Air France (3654 ; www.airfrance.fr), à partir de 265 € l'aller-retour. Puis longez la côte en train (comptez 1 h 30 à 3 h de voyage, de 12 à 19 €) ou en voiture (1 h 30).

Elégance italienne au Savoia Palace.

Elégance italienne au Savoia Palace. Crédits photo : Franck Prignet

Hôtels

Deux beaux hôtels se partagent des situations superbes, à commencer par le Savoia Excelsior Palace (00.39.040.77941 ; www.starhotels.it), idéalement placé face à la mer, récemment refait. Un décor calme et moderne ponctué de vastes abat-jour circulaires. A partir de 160 € . Le Grand Hotel Duchi d'Aosta (00.39.040.760.0011 ; www.duchi.eu) tient son rang sur la piazza Unità d'Italia, l'Urban Hotel (00.39.040.302.065 ; www.urbanhotel.it) quant à lui, assume le rôle du boutique-hôtel versant dans le design tout en bois blond rehaussé de meubles conçus par Ron Arad pour Moroso. A partir de 132 €.

Restaurants

Faut-il le rappeler, on mange régulièrement bien en Italie. Comme en France, il faut juste éviter de tomber sur les paresseux. Avec cette pincée d'adresses, vous pourrez traverser aisément votre séjour. Personne ne vous reprochera d'aller au Harry's Restaurant, 2, (00.39.040.660.606), 2 piazza Unità d'Italia, parce qu'il y a là une clientèle civilisée ravie de ronronner au-dessus de plats techniquement au point avec cette touche de modernité charmante voletant sur le répertoire local . 50 €.

Le restaurant du Savoia donne également dans ce genre d'exercice: coller aux classiques mais en faisant preuve de distinction. Vaste salle à manger enthousiasmante lorsqu'elle est vide (on y devinerait Rainer Maria Rilke venu alimenter sa neurasthénie). Pour les poissons, notez bien sur le front de mer Al Bragozzo (00.39.040.314.111) , 22, riva Nazario Sauro . 30 €. Ou Nastro Azzurro (00.39.040.305.789) , 12, riva Nazario Sauro. 40 €.

Le Buffet da Pepi (00.39.040.366.858) 3, via della Cassa di Risparmio, met tout le monde d'accord pour ses viandes grillées devant vous et parfois glissées dans des petits pains avalés le long du comptoir ; le tout pour moins de 10 €. L'un de nos restaurants préférés restant Al Bagatto (00.39.040.301.771) 7, via Cadorna, pour son ambiance stylée et ses plats francs et inspirés (bar en croûte de sel) . Un cran au-dessus, Chimera di Bacco (00.39.040.364.023) 2, via del Pane, avec Luca Morgan distribuant une cuisine de saveurs et de produits d'une remarquable exécution libérée et frontale. La meilleure table .

Douceurs exquises à la Bomboniera.

Douceurs exquises à la Bomboniera. Crédits photo : Franck Prignet

Cafés et pâtisseries

Nos préférés? Tout de suite: le Caffè San Marco, 18, via Battisti, pour son ampleur, ses climats et lumières et ce style sécession viennoise qui vous mettront en joie. D'autres vous précédèrent dans ce sentiment: Italo Svevo, Umberto Saba, James Joyce… Autre café remarquable, le Tommaseo, 4, piazza Tommaseo, déplie ses salles, recoins et miroirs réalisés en Belgique. Il délivre, le dimanche matin, un petit concert charmant. C'est le plus vieux café de Trieste. Plaisant dans ses boiseries et petit, le Torinese, 2, corso Italia, propose cafés et miels à emporter. Ou encore le Stella Polare pour son style austro-hongrois, sa terrasse à l'instar du Caffè degli Specchi, piazza Unità d'Italia. Au risque d'y sombrer, deux pâtisseries spectaculaires: Pirona (style art nouveau) 12, largo della Barriera Vecchia, et La Bomboniera 3, via Trenta Ottobre, pour ses strudels, kugelhopfs, putizza, presnitz.

Coup de cœur

Indispensable coup d'œil dans le magnifique fatras de la libreria antiquaria Umberto Saba, 30, via San Nicolo, avec son monument vivant Carlo Cerne.

Le bémol

L'accès quelque peu laborieux de la ville ; cela dit, ces escales de transit participent à la magie de cette cité italienne, à son éloignement précieux.

À voir

Le château-musée de Miramare (00.39.040.224. 143 ; www.castello-miramare.it). A 8 kilomètres du centre-ville, la résidence de l'archiduc Maximilien de Habsbourg et son parc luxuriant, à pic sur la mer. Entrée 4 € .

À lire

Si vous parvenez à mettre la main sur le petit livre Le Goût de Trieste, vous avez de la chance car il est épatant (mais épuisé), au Petit Mercure. Rainer Maria Rilke (Les Elégies de Duino), ltalo Svevo (La Conscience de Zeno), James Joyce. Il y a aussi Daniele Del Giudice et son roman, Le Stade de Wimbledon, dont Mathieu Amalric a tiré une version filmée plus que réussie.

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