Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
"Dernier été", de Patrick Pécherot, illustré par Joe Pinelli
Le Monde.fr | 23.08.2013 à 14h04 | Par Macha Séry
QUESTION D'ATMOSPHÈRE
Atmosphère, atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?" Eh bien oui, les récits de Patrick Pécherot ont une gueule d'atmosphère. Question d'ambiance, de gouaille. Quelques lignes suffisent pour plonger dans la France d'autrefois, celle de 14-18 (Tranchecaille, Gallimard, 2010) ou des Années folles dépeintes dans Les Brouillards de la Butte, (Gallimard, 2001, Grand Prix de littérature policière 2002), premier volet d'une trilogie consacrée à Nestor Burma, célèbre héros de Léo Malet.
Celui-ci est l'un des modèles de Patrick Pécherot. L'autre s'appelle Jean Amila (1910-1995). Entré en littérature l'année ayant suivi sa disparition, Patrick Pécherot est le digne héritier de ce grand écrivain réfractaire qui a su rallier, sous la même bannière, polar et roman prolétarien, cette littérature où de petites gens essaient de sortir de leur condition et se révoltent contre l'inacceptable.
Une illustration de Joe Pinelli pour "Dernier été". | Le Monde
Dans Dernier été, les soldats, rendus en 1871 à la vie civile après la défaite infligée par l'armée allemande, fument du tabac maryland et sifflent des chopines. Le héros n'était pas un va-t-en-guerre. Les balles prussiennes l'ont épargné. Un lieutenant du 3e zouave n'a pas eu cette chance. Engagé volontaire, ce peintre de talent a été fauché près de Montargis. Avant de mourir, il aurait lâché : "Famille... connerie..." Ce sont ces derniers mots qu'est venu rapporter l'ex-fantassin, ainsi que la chevalière qu'il lui a dérobée. "Je me suis juré que si je m'en sortais, j'irais droit la porter à son père. Même cul-de-jatte, j'y serais allé. Sur mes moignons dans une caisse à savon, un fer à repasser dans chaque main pour m'aider à crapahuter." Serait-ce donc d'une dette d'honneur qu'il s'acquitte ?
A l'entendre dégoiser, les certitudes s'évanouissent peu à peu. A qui, d'ailleurs, s'adresse cet homme du peuple qui raconte sa guerre et l'enquête qu'il a menée pour percer le mystère des ultimes paroles du jeune gradé ? A qui est destiné son monologue-fleuve, tour à tour cocasse, effrayant, paranoïaque ?
Au-delà de l'exercice de style consistant à ressusciter une époque disparue, le tour de force de Patrick Pécherot tient dans cette ambiguïté sur la nature de son protagoniste : bon camarade, doux dingue, psychopathe, oiseaux de mauvais augure ? A découvrir avec délectation. M. S.
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PAtrick Pécherot et Joe Pinelli vus par Joe Pinelli. | Le Monde
L'auteur: Patrick Pécherot
Né en 1953, à Courbevoie, Patrick Pécherot a exercé plusieurs métiers avant de devenir journaliste dans la presse syndicale. Le polar l'intéresse à travers les figures symboliques du grand roman populaire. En particulier celle de Jean Meckert (1910-1995), qui signa sous le pseudonyme de Jean Amila des œuvres sombres sur la société et ses dérives. Didier Daeninckx fait également partie des auteurs dont Pécherot revendique l'influence. En 1996, il publie son premier livre, Tiuraï, à la Série noire. Le roman est situé à Papeete, où un jeune Tahitien et son frère handicapé meurent un 14 juillet. Pas de vahinés, mais une enquête menée par le journaliste Thomas Mecker, qu'on retrouvera dans Terminus nuit, en 1999. L'intrigue se déroule à Paris pendant les grandes grèves de 1995.
En 2001 paraît Les Brouillards de la Butte, qui obtient le Grand Prix de littérature policière. Cette fois, il s'agit d'honorer un certain Léo Malet et son héros, Nestor Burma. Nous sommes à Paris, en 1926, et Patrick Pécherot entraîne son lecteur dans les milieux surréalistes et anarchistes. Nestor reviendra dans deux autres romans : Belleville-Barcelone (en 2003), à la fin du Front populaire, et Boulevard des branques (en 2005), en 1940, pendant l'exode.
Parallèlement, Patrick Pécherot signe des bandes dessinées avec Jeff Pourquié. Ils publient Des méduses plein la tête, Ciao Pékin et Vague à l'âme (chez Casterman), trois albums qui continuent de scruter la société, entre humour, musique et désenchantement. En 2007, Patrick Pécherot abandonne Nestor pour écrire Soleil noir (Série noire), une histoire de braquage, mais surtout celle d'une poignée d'hommes fragiles, modestes et dépassés. En 2008, il publie Tranchecaille, retournant en 1917, sur le Chemin des Dames, pour accompagner un homme seul face à la justice et à l'injustice. En 2011, avec L'Homme à la carabine (Gallimard), il brosse le portrait d'André Soudy, le plus jeune membre de la bande à Bonnot. Son dernier livre, Petit éloge des coins de rue (en 2012, chez Folio), est une promenade dans certains quartiers et carrefours oubliés, à l'ombre de Francis Carco et d'Arletty. Chr. F.
L'illustrateur: Joe Pinelli
Né en 1960 en Belgique, près de Charleroi, Joe G. Pinelli s'installe à Liège en 1978. Il étudie l'illustration et la bande dessinée à l'Académie royale des Beaux-Arts. Aujourd'hui, toujours à Liège, il enseigne tour à tour la bande dessinée, l'illustration, le dessin, et ce, depuis vingt-cinq ans. Au début des années 1990, il commence à publier des autofictions dans des fanzines ou chez des éditeurs indépendants comme PLG ou Sherpa. Il imagine deux trilogies, No Mas Pulpo et La Dinde sauvage (réédités en 2013 chez Égo comme x), qui mettent en scène sa vie en Belgique, mais également ses rencontres plus ou moins rêvées avec des éleveurs de chiens ou ses balades à Paris et Angoulême. On y trouve déjà ses thèmes de prédilection : le voyage nostalgique, les couleurs des villes, la beauté des corps féminins. Après avoir écrit et dessiné seul ses livres, il se rapproche d'auteurs de polars comme Jean-Bernard Pouy pour Sirop de Liège en 2005, dans la collection des carnets littéraires édités par L'Estuaire. Le duo se reforme pour Fratelli, qui se déroule à New York en 1946. En 2012, ils publient Sous le vent (chez Lattès) une oeuvre très colorée, dans laquelle Pinelli propose des dessins à l'huile, entre la Bretagne et les îles. Passionné de musique, blues et jazz, il réalise, sur des textes de Marc Villard, In a Blue Hour et Bye Bye Blackbird (en 2006 et 2010, chez Nocturne). Ces livrets ont pour principe d'accompagner deux CD formant une sorte de bande originale et musicale. En 2009, avec Jean- Hugues Oppel, il travaille à l'adaptation de Trouille, d'après Marc Behm, publié chez Rivages/Casterman/Noir. Dans ce livre où la mort a les traits d'une femme superbe, Pinelli se dégage des contraintes BD pour aller vers le roman graphique, accentuant l'atmosphère d'un paysage en déliquescence. À ce propos, il cite volontiers des photographes comme Walker Evans, Bernard Plossu ou le peintre Edward Hopper. En 2011, il publie avec le journaliste Thierry Bellegroid, Féroces Tropiques (Dupuis), parcours initiatique, hautement coloré, d'un peintre allemand entre 1913 et 1940 en Papouasie, sur la Somme, et à Weimar. Joe Pinelli a publié plus de trente livres, et ses dessins sont exposés dans des galeries comme Oblique, à Paris. Chr. F.
Macha Séry