Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Jean Rolin: transpirer dans le détroit d'Ormuz
LE MONDE DES LIVRES | 22.08.2013 à 16h21 | Raphaëlle Leyris
De Los Angeles au détroit d'Ormuz - qui relie le golfe Persique au golfe d'Oman. Le changement de décor opéré entre Le Ravissement de Britney Spears (POL, 2011) et le nouveau livre de Jean Rolin peut sembler brusque, tout comme le passage d'un livre centré sur une pop star à un texte autour des enjeux géostratégiques d'un détroit qui voit passer un tiers du pétrole mondial. Mais la démarche à l'origine de l'écriture est la même pour chaque ouvrage de cet auteur passionnant, qui promène depuis plus de trente ans son ironie et sa mélancolie à travers le monde. C'est une affaire de lieux, toujours. Pour qu'il y ait texte, il faut que l'ancien Prix Albert Londres (1988), qui se définit moins comme journaliste que comme adepte du "reportage", ait l'envie d'aller y voir. La curiosité d'arpenter un espace.
C'est ainsi qu'à la fin de l'année 2011 le détroit d'Ormuz - encadré par l'Iran, le sultanat d'Oman et les Emirats arabes unis - s'impose comme son prochain territoire. A l'époque, rappelle-t-il, "les Israéliens demandent aux Américains de contraindre l'Iran à renoncer à son programme nucléaire, y compris par des bombardements - trop bruyamment pour être crédibles". L'Iran menace "comme d'habitude" de bloquer le détroit d'Ormuz, et chacun déploie sur mer ses plus beaux atours militaires.
FJORDS NORVÉGIENS, VERSION FOURNAISE
S'il ne croit pas à la possibilité d'un bombardement, ce contexte ranime un "vieil intérêt" de Jean Rolin pour la région. Celu...
De la digression. Critique et extrait
Tout le monde ment, dans Ormuz. Et d'abord Wax, autour duquel tourne le livre, un homme plus tout jeune, sans doute mythomane (y compris lorsqu'il prétend avoir été un nageur de combat), qui a disparu après s'être lancé dans une entreprise folle : traverser seul, à la nage, le détroit d'Ormuz, qui relie le golfe Persique au golfe d'Oman - un franchissement lui aussi caractérisé par la mystification, puisque Wax a très vite pensé qu'il le réaliserait avec de l'aide.
Mais le narrateur lui non plus n'est pas tout à fait clair. Ce "je" qui ne cesse de promettre au lecteur des révélations, éternellement reportées, qui arpente une région sous tension pour y faire des repérages destinés au dérisoire projet de Wax, afin de vérifier quel serait le lieu le plus propice à la traversée du détroit, ne nous enfume-t-il pas, lui aussi ? Qui peut-on croire dans le contexte d'agitation où se trouvent les rives arabe et iranienne en cette année 2012, tandis que les différentes puissances en présence exhibent leurs muscles et leurs flottes ?
Si le lecteur s'égare un peu, parfois, dans les méandres d'une aire géographique compliquée, il est stupéfait par la traversée que lui offre l'auteur. Surtout, Ormuz emporte l'enthousiasme par la beauté et la drôlerie tapies dans les longues phrases de Jean Rolin, qui fait de son roman un beau traité sur la digression : de même que la traversée de Wax en est une - par rapport au cadre où elle doit avoir lieu -, la digression est une ruse récurrente du narrateur et le mode d'avancée de l'écriture de Rolin, proustien revendiqué. Qui feint de livrer un roman d'espionnage pour mieux prendre la tangente.
Ormuz, de Jean Rolin, POL, 224 p., 16 €.
EXTRAIT
"Arrivé le matin même de Téhéran, par un train de nuit à bord duquel il partageait avec trois autres personnes un compartiment de première classe (...), Wax, après s'être installé à l'hôtel Atilar, choisi de préférence à l'Hormoz pour l'unique raison qu'il avait repéré à la réception du premier une jeune femme attrayante, et bien qu'il ne se berce évidemment d'aucune illusion la concernant, Wax entreprend maintenant, dans la chaleur et la lumière déclinante, de remonter le boulevard Imam-Khomeiny, en direction de l'est, vers cette plage, longue de plusieurs kilomètres, dont on lui a garanti qu'elle attirerait en ce vendredi soir une foule nombreuse."
Ormuz, pages 202-203