Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
La rentrée littéraire entre les lignes
Moins de romans français, mais plus de jeunes auteurs : ainsi parle la statistique, scrupuleusement établie depuis des lustres, par l'indispensable « Livres Hebdo ». On y apprend que le nombre de romans, français et étrangers, qui se présentent sur la ligne de départ des grands prix d'automne, a drastiquement chuté - de 646 en 2012 à 555 cette année, soit un recul de 14 %. L'étiage le plus bas depuis au moins vingt ans !
Une crise de lucidité semble avoir frappé, enfin, l'édition, trop longtemps lancée dans une fuite en avant qui avait fini par lasser libraires, journalistes et, surtout, les lecteurs. Combien de fois avons-nous entendu les éditeurs de la place jurer qu'ils allaient « réduire la voilure », sans résultat… Eh bien cette fois, c'est historique, c'est fait ! Le nombre des romans français, qui flirtait avec la barre des 500 en 2007, année du début de la crise économique, chute à 357 ; celui des romans étrangers, de 234 (à cette même date) à 198.
Pour autant, les éditeurs ne font pas l'impasse, loin de là, sur l'avenir : ils choisissent au contraire de privilégier les premiers romans, dont le nombre bondit de 69 à 86, ce qui laisse augurer de jolies découvertes pour qui saura être curieux… Gallimard publie pas moins de quatre nouveaux romans ; Fayard, Buchet-Chastel, Stock, L'Harmattan, Intervalles, Le Manuscrit, trois. Parmi les « primo-romanciers » connus, citons Laure Adler avec « Immortelles » (Grasset), l'histoire sur plusieurs décennies de trois femmes, trois amies, aux destins tragiques. Marie Modiano, chanteuse de talent et fille de l'auteur de « La Place de l'Etoile » signe « Upsilon Corpii », titre énigmatique (chez Gallimard, comme papa, le 26 septembre).
Romanciers et romancières confirmé(e)s sont, bien sûr, nombreux au rendez-vous. Avec la métronomique Amélie Nothomb qui donne son 21 e roman « La Nostalgie heureuse », retour aux sources japonaises, où la romancière se livre un peu plus que de coutume - sans bouleverser pour autant. Ce n'est pas du niveau de « Stupeur et Tremblements », loin de là…
Parmi les auteurs attendus de cette rentrée, citons, sans prétendre épuiser la liste : Jean d'Ormesson (« Un jour, je m'en irai sans avoir tout dit ») dont la présentation a beaucoup ému, dit-on, les représentants de sa maison d'édition Robert Laffont. Le nouvel occupant du siège 33 de l'Académie royale de la langue et littérature française de Belgique, occupé avant lui par Colette et Cocteau, Eric-Emmanuel Schmitt, livre un gros roman qui se veut « encyclopédie des désirs, des sentiments et des plaisirs », (« Les Perroquets de la place d'Arezzo », Albin-Michel). Marie Darrieusecq (« Il faut beaucoup aimer les hommes », chez POL) se balade entre l'Afrique et Hollywood en compagnie d'un cinéaste noir qui veut adapter « Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad et dont son héroïne - la Solange de « La Princesse de Clèves » - est amoureuse. La merveilleuse Véronique Ovaldé, déjà récompensée à plusieurs reprises par des prix littéraires majeurs, pourrait bien décrocher cette fois le graal (« La Grâce des brigands », à L'Olivier), et ce serait justice. Nancy Huston, elle aussi multiprimée, fait le grand écart entre l'Irlande, le Canada et le Brésil avec une « Danse noire », rythmée par les codes de la capoeira, chez son fidèle éditeur Actes Sud.
Le virtuose des éditions de Minuit, Jean-Philippe Toussaint, clôt avec « Nue » sa série amoureuse (« Faire l'amour », « Fuir », « La vérité sur Marie »). La subtile Sylvie Germain nous emmène, le temps d'un demi-siècle, sur les traces d'une petite fille adoptée, née dans l'immédiat après-guerre (« Petites scènes capitales » chez Albin-Michel). Yasmina Khadra, qui délaisse un instant les drames contemporains de l'Algérie ou de la Palestine, s'essaie au roman grand public avec la tragique histoire d'un boxeur berbère dans le Oran des années 1920. Le fantasque Jean Rolin a abandonné Britney Spears à Los Angeles, pour se mettre cette fois dans le sillage d'un improbable personnage nommé « Wax » qui prépare une traversée du détroit d'Ormuz à la nage (« Ormuz », POL). La prometteuse Karine Tuil se lance dans une fresque ambitieuse autour de trois personnages, amis d'enfance, au destin tragique (« L'invention de nos vies », Grasset). Et le non moins prometteur Tristan Garcia « Faber le destructeur » (Gallimard) s'empare lui aussi de la figure du trio d'amis, autour d'un personnage charismatique et destructeur, Mehdi Faber, qui lui donne l'occasion de brosser un portrait plutôt désabusé de sa génération.
Les grands reporters de guerre que sont Sorj Chalandon et Jean Hatzfeld, deux ex-« Libé », poursuivent leur incursion dans le roman. Le premier, décidément bien talentueux, raconte l'histoire d'un jeune Français qui veut monter l'« Antigone » d'Anouilh dans le Beyrouth à feu et à sang des années 1980 avec des chiites, des sunnites, des druzes, des chrétiens. Un roman dont on ne sort pas indemne. Le second replonge dans la guerre de l'ex-Yougoslavie pour évoquer l'histoire tragique de deux athlètes de l'équipe de tir de Yougoslavie - elle est serbe ; il est musulman ; ils s'aiment - qui se préparent pour les JO de Barcelone (« Robert Mitchum ne revient pas », Gallimard).
Que serait enfin une rentrée littéraire sans DSK ? Après « Chaos brûlant » de Serge Zagdanski en 2012, c'est Marc Weitzman qui s'y colle cette année avec « Une matière inflammable », chez Stock. Où l'on suit la progression psychologique et matérielle depuis le début des années 1990 d'un certain Frank Schreiber, apprenti écrivain qui fait le nègre pour un économiste à succès lequel gravite dans l'ombre du patron du FMI. L'incipit est incisif : « Anne Sinclair »...