Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
« Aller à Canossa »
Le chancelier Bismarck, qui ne voulait pas se faire humilier par l’Église catholique, a rendu célèbre l’expression « aller à Canossa », c’est-à-dire faire acte de contrition.
Il faut gravir des centaines de marches, surplombant un spectaculaire « amphithéâtre » de calanques, pour en découvrir les restes, les remparts méridionaux, les ruines de la crypte de Saint-Apollonio, ainsi qu’un petit musée dont le fleuron est un fond baptismal, vestige de l’église de Saint-Apollonio.
Un conflit entre Pape et un jeune empereur
Au centre de l’histoire, règne la comtesse Mathilde de Canossa, propriétaire du château au moment – 1077 – où s’y rend le jeune empereur Henri IV, un an après avoir été excommunié, pour solliciter le pardon du pape Grégoire VII. C’est le début de la querelle des Investitures (1075 -1122) qui entachera les relations entre la papauté et les empereurs.
Élu en 1073, Grégoire VII s’attelle d’emblée à la réforme de l’Église pour imposer la suprématie de la papauté sur les souverains. Il publie en 1075 le Dictatus papae (l’Édit du pape), dans lequel il stipule entre autres que les évêques doivent être nommés par le pape et non plus par l’empereur. Henri IV – la plus haute autorité politique de l’époque - riposte. Sur sa sollicitation, le synode des évêques allemands prononce, en 1076, la déposition de Grégoire VII. Le Souverain Pontife contre-attaque en l’excommuniant.
Afin de recouvrer une crédibilité fortement entamée auprès de ses vassaux, l’empereur germanique condamné aux flammes de l’enfer n’a pas d’autre choix que d’aller à Canossa supplier le pape. Il lui faut traverser les Alpes pour se rendre au château de la comtesse où ce dernier séjourne. Et là, pieds nus dans la neige d’un hiver glacial, vêtu de bure en signe de pénitence, il va attendre trois jours, du 25 au 28 janvier 1077, devant une des enceintes du château, jusqu’à ce que le pape daigne le recevoir et finalement lui accorde son pardon en levant l’excommunication.
L’épisode de Canossa, un acte d’humiliation pour Bismarck
La mémoire de cette humiliation – bien que feinte, car Henri IV n’entendait pas céder une once de pouvoir – traversa les siècles. « Nach Canossa gehen wir nicht ! » (« Nous n’irons pas à Canossa ! »), s’exclama Otto von Bismarck devant le Reichstag en 1872, après que Pie IX eut refusé d’accréditer Gustave-Adolphe de Hohenlohe comme ambassadeur d’Allemagne près le Saint-Siège, par soutien aux catholiques aux prises avec les lois hostiles à l’Église dans l’empire allemand. Le chancelier allemand finira toutefois par perdre cette épreuve de force avec l’Église et par là même une partie de son prestige et de son autorité.
Pour l’heure, Mathilde de Canossa, une femme de grande foi, soutient ardemment le pape Grégoire VII dans ses réformes. La comtesse est une grande érudite – elle parlait cinq langues – et une femme extrêmement puissante qui domine politiquement et militairement la moitié du pays. Après l’assassinat de son père lorsqu’elle était enfant et la mort de ses deux frère et sœur, elle s’était retrouvée l’unique héritière des immenses biens féodaux de sa famille en Lorraine et surtout en Italie, du Latium jusqu’au lac de Garde.
Une comtesse puissante au rôle de médiatrice
Veuve à 30 ans de Godefroy III d’Ardenne, dit le Bossu (mort en 1076), remariée à 42 ans pour une alliance tout aussi politique avec le très jeune Guelfe de Bavière, âgé de 17 ans, elle régna en maître sur ses terres. Sa puissance sera aussi stratégique pour les papes que pour les empereurs.
« La comtesse, héroïne de la liberté de l’Église, a joué le rôle de médiatrice entre son ami Grégoire VII et Henri IV, qui était son cousin », précise Mario Bernabei, directeur du centre touristique « Andare a Canossa » et auteur de l’ouvrage Matilde e il Castello di Canossa. À sa mort, en 1115, Mathilde léguera d’ailleurs toutes ses possessions à l’Église de Rome. Et elle sera la première femme (quatre aujourd’hui) à reposer dans la basilique Saint-Pierre, où sa dépouille sera transférée au XVIIe siècle. Mathilde de Canossa a même trouvé sa place dans le Paradis de La Divine Comédie de Dante en raison de son rôle déterminant dans la reprise de contact entre l’Église que réformera Grégoire VII et l’empereur Henri IV. Aujourd’hui, les visiteurs du centre touristique de Canossa peuvent admirer, entre autres, un portrait de Donna Mathilde di Canossa, celui d’une belle femme aux traits volontaires, vêtue d’une longue robe rouge, qui tient, dans sa main droite, une grenade, symbole au Moyen Âge de l’élévation spirituelle.
Canossa, aujourd’hui un lieu de pèlerinage
Chaque année près de 50 000 personnes se rendent, en touriste ou en pèlerin, à Canossa. « Parmi eux, je vois des Allemands monter pieds nus les marches menant au château », rapporte Mario Bernabei. Puis il montre fièrement une photo de 1971 immortalisant le plus célèbre des Allemands, attaché à Canossa en tant que symbole de l’identité chrétienne de l’Europe, Joseph Ratzinger.
L’événement de Canossa se soldera toutefois par un échec. Henri IV, « le traître » humilié, continuera de nommer des évêques, sera excommunié une seconde fois en 1080 et reviendra en Italie pour faire la guerre au pape et à Mathilde. Il livrera Rome au pillage et, en 1084, couronnera à Rome un antipape, l’archevêque Guibert de Ravenne, qui prendra le nom de Clément III. Là encore, Mathilde essaiera de lui barrer la route, avec son armée. En vain… La paix revenue, la papauté légitimée par les Croisades, Mathilde se consacrera à ses terres et aux prières. En 1111, cinq ans après la mort d’Henri IV, elle sera nommée vice-reine d’Italie par Henri V, nouvel empereur et fils de son grand ennemi.
Un lieu de spiritualité et de dégustations
De nos jours, prendre le chemin de Canossa, c’est aller à la découverte d’un lieu chargé de spiritualité, qui séduira les amateurs d’histoire médiévale et de randonnées sur le chemin de Mathilde et de ses 22 châteaux qui jalonnent la région. Aller à Canossa, c’est aussi prendre le chemin de la gastronomie. Au temps de Mathilde, le château de Canossa était déjà célèbre pour ses fûts dans lesquels vieillissait pendant des années le vinaigre balsamique.
C’est aujourd’hui toujours l’occasion de savourer les tortellinis à la courge ou l’erbazonne, tourte aux épinards et aux blettes. On les déguste avec un verre du fameux Lambrusco. Évidemment, on ne résistera ni au parmigiano reggiano ni au jambon de Parme. Mais il faut aussi goûter le culatello di Canossa, charcuterie locale. L’accueil toujours courtois de la population devient chaleureux dès que la confiance s’instaure. Solidarité, collaboration sont d’ailleurs les valeurs clés de l’Émilie-Romagne, région parmi les plus prospères de la péninsule.
Anne Le Nir
http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Aller-a-Canossa-2013-08-28-1003348