Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
"Die andere Heimat", premier choc de la Mostra
LE MONDE | 29.08.2013 à 11h54 • Mis à jour le 30.08.2013 à 11h46 | Par Franck Nouchi (Venise, envoyé spécial)
Pour son soixante-dixième anniversaire, la Mostra de Venise, qui se tient du 28 août au 7 septembre, n'aura pas eu à attendre longtemps son premier choc cinématographique. Présenté hors compétition, mercredi, Die andere Heimat, d'Edgar Reitz, aurait pu prétendre à la distinction suprême si les sélectionneurs du festival n'avaient craint que sa longueur (3 h 50) ne rebute aussi bien le jury que les festivaliers.
Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés
Dommage ! C'était, enfin, l'occasion de couronner une œuvre sans équivalent dans toute l'histoire du cinéma. Un projet fou commencé au début des années 1980, à la télévision puis au cinéma.
L'idée de son promoteur – Edgar Reitz est né le 1er novembre 1932 à Morbach, en Allemagne – était au départ de proposer, sous la forme d'un feuilleton télévisé, la chronique de Schabbach, un petit village du Hunsrück, entre 1920 et 1945. Quinze heures quarante au total pour évoquer l'histoire de la famille Simon – Maria, l'épouse abandonnée par son mari en 1929, et ses fils Anton, Ernst et Hermann – durant l'entre-deux-guerres, le nazisme et la seconde guerre mondiale.
Diffusé à l'automne 1984 par la télévision allemande, ce feuilleton connut un succès considérable. A l'heure de sa programmation, de la mer Baltique à la Bavière, les rues se vidaient. L'Allemagne tout entière, à l'ouest comme à l'est, se passionnait pour les joies et les peines des gens de Schabbach (Stanley Kubrick a confié qu'il en était fan).
Heimat est un mot difficilement traduisible en français, qui renvoie à la fois à la notion de terre natale et à celle de patrie, au sens régional du terme. Dans l'esprit de son auteur, "Heimat 1, une chronique allemande" entendait mettre un terme à ce que l'historien Christian Meier appelait "la paralysie en quelque sorte hypnotique d'une grande partie de notre peuple à l'égard du passé nazi".
Deux autres "Heimat" allaient suivre. "Heimat 2, chronique d'une jeunesse" (25 h 32) dépeint les illusions des années 1960-1970 et la menace terroriste. "Heimat 3, chronique d'une époque" (10 h 58) commence le jour de la chute du mur de Berlin et s'achève en 2000 sur le constat pessimiste d'une jeunesse confrontée à un avenir pour le moins incertain. "Il ne semble pas y avoir d'échappatoire, expliquait alors Edgar Reitz dans un entretien au Monde. Le sentiment d'être inutile est si fort !"
Dans cette même interview, le réalisateur allemand disait être en train de finir un épilogue de deux heures et demie, manière pour lui, après vingt-cinq ans passés avec eux, de "prendre congé de ses personnages". "Il ne peut pas y avoir de fin d'"Heimat"" ajoutait-il ("Heimat 1" a obtenu le Prix de la critique internationale à la Mostra en 1984 ; "Heimat 2", le Prix spécial en 1992).
A Venise, les spectateurs ont eu la surprise de découvrir non pas la fin mais le tout début de cette histoire extraordinaire, en 1842. Comme la trilogie des "Heimat", Die andere Heimat, Chronik einer Sehnsucht (la traduction française du titre n'est pas encore arrêtée) nous conduit dans ces régions de la rive gauche du Rhin (Hunsrück, Palatinat, Rhénanie) conquises par Bonaparte en 1797 avant d'être intégrées au royaume de Prusse après le congrès de Vienne, en 1815.
A cette époque, Schabbach est un petit village. Ses habitants vivent chichement à l'écart du bruit de la ville. Parmi eux, le forgeron Simon, sa femme, Margarethe, ses deux fils, Jakob et Gustav, sa fille, Lena, qui a eu la malencontreuse idée, sur ces terres de protestantisme, d'épouser un catholique, un oncle un peu fou, une grand-mère...
Une scène du film "Die andere Heimat". | EDGAR REITZ FILMPRODUKTION
CONTRAINTES SOCIALES IMPOSÉES PAR LE DESTIN
C'est une époque étrange où, dans ces zones rurales, sévissent famine et misère sociale ; où règnent en maîtres de petits nobliaux locaux, insupportables à force de privilèges exorbitants. Cependant, depuis 1815, la scolarité est devenue obligatoire et de nombreux jeunes ont appris à lire. Gustav en particulier, au grand dam de son père, est un lecteur insatiable. Sans jamais avoir quitté son village, il connaît le monde comme sa poche. Mieux, il a appris de nombreuses langues étrangères, en particulier certains dialectes des Indiens d'Amazonie. Il lit, et il rêve. D'évasion, de liberté. Du Nouveau Monde. Un jour, il en est sûr, il partira. Comme des milliers de ses compatriotes qui ont fait le choix de tout quitter pour partir s'installer au Brésil. C'est cela que raconte Die andere Heimat : ce rêve d'une autre vie ; cette capacité de l'homme à se déterminer en fonction de ses utopies, à se libérer des contraintes sociales imposées par le destin.
Tourné en noir et blanc (avec quelques impressions de couleur très réussies) – l'image, signée Gernot Roll, est sublime –, "Heimat 4" est à la fois une immense fresque scindée en deux parties – "Chronique d'un rêve" et "L'Exode" – et une bouleversante histoire d'amour. Si l'on devait trouver un pendant littéraire à ce film, ce serait quelque part du côté des Buddenbrook, de Thomas Mann.
Tourné en Cinémascope à l'aide de grands-angles qui ne cessent d'évoquer la rotondité de la Terre, alternant des gros plans à la Dreyer et d'autres, plus larges, qui rappellent certains grands films russes ou américains, c'est un film lumineux. Rarement au cinéma, la lumière a été à ce point comptable de l'histoire qui se déroule devant nos yeux. Tout fait sens, une simple bougie comme un clair de lune ; ici, tout est vrai, sans artifice – grâce soit rendue à la caméra Alexa Studio de chez Arri et à son incroyable sensibilité à la lumière !
L'esprit des Lumières semble d'ailleurs planer au-dessus de ce film à bien des égards rousseauiste. "C'est le diable qui a inventé toutes les religions, car elles n'apportent que la discorde dans le monde", assure Walter, le gendre catholique. Quant à Jakob, précurseur à sa manière de Claude Lévi-Strauss, il ne peut s'empêcher de dire à la belle Jettchen lorsqu'elle pose son bras sur son épaule : "Les Indiens ne font pas ça." Esprit universel, utopiste, il fera in fine le choix ultime de rester à Schabbach, près des siens.
Jan Dieter Schneider, qui interprète le rôle de Jakob, est bouleversant d'intelligence et de sensibilité. En l'écoutant, en croisant son regard halluciné et ô combien humain, on se prend à rêver ; à espérer, un jour, comme lui, arriver à voler. Au Brésil ou en Allemagne, habité par l'idée que la science peut changer le monde – le grand savant Alexander von Humboldt, interprété par Werner Herzog, ne lui a-t-il pas rendu hommage dans une lettre très élogieuse ? –, on souhaite ardemment qu'il parvienne enfin à croiser les chemins de la liberté.
LA BANDE-ANNONCE (en VO non sous-titrée)
Lire aussi : "Pour l'ouverture du festival, un flirt et une catastrophe en apesanteur"
Le site Internet de la 70e Mostra de Venise : www.labiennale.org/it/cinema
Mostra de Venise 2013
Édition abonnés Contenu exclusif