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Bienvenue chez Oscar Wilde

Pavonia, de Frederic Leighton. (© Christie's Images)Pavonia, de Frederic Leighton. (© Christie's Images)

Eric Bietry-Rivierre

  • Mis à jourle 15/09/2011 à 11:20
  • Publiéle 01/01/1970 à 01:00

Réuni autour de l'écrivain, l'Aesthetic Movement parade au Musée d'Orsay. Dans l'Angleterre victorienne, cette avant-garde bohème prônait l'art pour l'art et faisait fi de toute morale. 

Dans un vase Nankin, un bouquet de lys accueille le visiteur. La saison dernière au Victoria & Albert Museum de Londres, dans la version initiale de cette exposition, les tournesols étaient à l'honneur (nos éditions du 20 juin). Qu'importe la fleur, en vérité: les artistes et poètes qui, dans le dernier tiers du XIXe en Angleterre, ont participé à l'Aesthetic Movement n'en retenaient que la forme stylisée, la symbolique sexuée et aussi le caractère extravagant.

Bien que cultivant chacun leur originalité, ils communiaient dans l'amour de la provocation et le culte de l'éblouissement. L'art pour l'art était leur credo, emprunté à Théophile Gautier. La subtilité et l'insolence leurs valeurs. Et le paon leur animal fétiche. Les moirures vertes et aubergine du volatile ont inspiré à Nathalie Crinière l'atmosphère générale du parcours. Contrairement à son homologue du V & A, la scénographe d'Orsay n'est toutefois pas allée jusqu'à prendre également au plumage le bleu vénitien, le jaune beurre ou en encore le bois sombre. A-t-elle craint un effet too much que recherchaient pourtant les intéressés?

De même, le conservateur Yves Badetz a rationalisé la présentation. À l'effervescence de l'époque, il donne un fil conducteur, Oscar Wilde. Un auteur qui, malgré ses qualités de biographe et porte-parole du mouvement, n'en fut cependant qu'un des cadets. On peut admirer au fil des vitrines ondulantes les photographies sépia de ses célèbres mines mélancoliques signées Napoleon Sarony. Et aussi, peut-être, un de ses costumes d'absolu dandy.

Surtout, ses aphorismes en forme de paradoxes fructueux font merveille aux murs. Ils ajoutent aux notices explicatives la profondeur de sens nécessaire. «Seuls les gens qui manquent d'imagination inventent. On reconnaît le véritable artiste à la façon dont il utilise ce qu'il s'annexe, et il s'annexe tout», assène par exemple notre drogué de beau.

Pour preuve, les incessants amalgames de styles dans les tableaux, les meubles, les bijoux, les services à thé. Et plus encore, dans les aménagements de demeures entières. Elles étaient d'un luxe incroyable. La légendaire Peacock room de l'armateur liverpudlian Frederick Leyland, entièrement décorée par James Abbott McNeill Whistler, acquise au début du XXe siècle par un collectionneur américain qui l'emmena outre-Atlantique en la modifiant - conservée aujourd'hui au Smithsonian de Washington -, est reconstituée virtuellement.

Autre exemple de ces évocations d'intérieurs, un cassone d'une Renaissance réinventée par Burne-Jones est rapproché de sa splendide tapisserie néomédiévale, don de Pierre Bergé. À une Florence botticellienne côtoyant un Moyen Âge fantasmé l'exposition ajoute, pour donner une idée juste du mouvement, la manie de l'Asie, des lignes zen du Japon au fourmillement de l'art chinois ; la passion de l'Antiquité, de préférence dans son versant dionysiaque ; l'exemple du premier romantisme, celui de Walter Scott et de William Blake. Et encore les olympiens, les parnassiens…

Symphonie en blanc n°1 : La Fille blanche. (© National Gallery of Art, Washington, Harris Whittemore collection)
Symphonie en blanc n°1 : La Fille blanche. (© National Gallery of Art, Washington, Harris Whittemore collection)

Ces mélanges faisaient perdre leur lorgnon aux académiciens de l'ère victorienne. Mais le choc le plus fort résultait encore d'un érotisme militant, clamant dans cette société ultrapuritaine le droit à toutes les sexualités. Dans son Adoration, Burne-Jones donne à deux des Rois mages des traits plus qu'androgynes, quasiment féminins. Dans sa si délicate et si monumentale Symphonie en blanc N° 1, Whistler fait gronder une dépouille d'ours aux pieds d'une vierge immaculée. Plus loin, Simeon Solomon joue sur l'ambivalence des genres dans Les Dormeurs et la Gardienne. Tout comme James Hadley qui modèle une théière biface s'amusant de l'opposition masculin-féminin. Cette volupté teintée d'humour imprègne jusqu'au plus infime détail du quotidien.

Partis du noyau préraphaélite, les émules de William Morris, Frederic Leighton ou encore de Dante Gabriel Rossetti s'emploieront ainsi à dynamiser les arts appliqués. Ferronnerie, tel ce Portail des quatre saisons aux affolantes volutes végétales de Thomas Jeckyll, joaillerie, papiers peints, faïences, vitraux, argenterie, reliures, vêtements. Ce New Romantism finira par triompher. Au passage, des métiers naîtront : dessinateur industriel, designer, scénographe d'intérieur, publicitaire… Voilà donc ce qui bouillonnait sous les jupons de la queen.

Malheureusement cette vitalité liée à l'âge industriel s'avilira dans la standardisation des formes. L'aristocratie d'esthètes créateurs des débuts sombrera dans le kitsch. Témoin l'Eros d'Alfred Gilbert. Ce bronze qui sautille sur une jambe décoche sa flèche vers la sortie. La messe était-elle donc dite à l'orée du XXe siècle? Voire. Cette jeunesse révolutionnaire, qui suivait celle de la bataille d'Hernani, précède le groupe de Bloomsbury, le Swinging London et toute la pop d'aujourd'hui. Le paon était en réalité un phœnix.

«Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde», jusqu'au 15 janvier au Musée d'Orsay 1, rue de la Légion d'honneur, Paris VIIe. Catalogue Musée/Skira-Flammarion, 224 p., 25 euros. Tél. : 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

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