Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Michel Melot: «le patrimoine est plus vaste que l'art»
Michel Melot. Crédits photo : FRANCOIS BOUCHON/FRANCOIS BOUCHON
Dans un ouvrage passionnant, Mirabilia, qu'il vient de publier, Michel Melot analyse comment l'humanité est passée des sept merveilles du monde antique aux milliers de sites classés par l'Unesco.
Conservateur, puis directeur du département des estampes et de la photographie à la Bibliothèque nationale, Michel Melot a dirigé l'Inventaire général du patrimoine de 1996 à 2003.
LE FIGARO.- Le Comité du patrimoine mondial de l'Unesco, qui tient en ce moment sa 36e session, a décidé de classer de nouveaux sites. N'assiste-t-on pas depuis quelques décennies à une sorte d'inflation patrimoniale?
Michel MELOT. - Si, d'une certaine manière. Depuis 1972, environ un millier de sites, monuments ou pratiques culturelles ont été classés au patrimoine de l'humanité par l'Unesco. En France, 40.000 monuments historiques sont protégés. Il y a aussi, toujours en France, l'Inventaire général du patrimoine, qui ne comporte pas la conservation. Dans ce cadre, on a passé au peigne fin un quart du territoire et il doit compter cinq millions de notices décrivant des sites ou des bâtiments présentant un intérêt patrimonial.
Y a-t-il des périodes plus propices que d'autres à cette frénésie de conservation?
Les inventaires se font souvent après les guerres ou les révolutions quand on a perdu quelque chose et qu'il faut rattraper le passé. Actuellement, il y a une accélération car on est en train de perdre la mémoire. L'informatique, la rapidité du progrès technique font qu'on oublie au fur et à mesure. L'urbanisme détruit autant qu'il construit. On est dans un rythme historique différent de celui des siècles précédents. Il y a des périodes où les contraintes économiques font fi du patrimoine: la France a détruit Paris sous Haussmann ; la Chine, Pékin avant les Jeux olympiques de 2008. Mais on se rattrape ensuite.
Qu'est-ce qui pousse à vouloir ainsi tout sauver?
Spontanément, de façon presque instinctive, l'être humain cherche à s'enraciner, à garder un souvenir qu'il choisit. «Du passé faisons table rase», c'est une vieille utopie! Le patrimoine consolide des groupes, des communautés. Il fait le lien entre les hommes, dans le temps - on se raccroche aux générations passées - et sur un territoire: la famille, la ville, la nation, la profession, aussi. Les mineurs, par exemple, sont très soudés autour de leur passé et cela fait la force de la candidature du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais auprès de l'Unesco afin de l'inscrire au Patrimoine mondial. On protège ce qui est menacé et ce qu'on ne veut pas voir disparaître.
Tout peut donc être patrimoine?
En France, on avait longtemps eu tendance à confondre art et patrimoine. Notre Inventaire général du patrimoine s'est d'abord appelé Inventaire des richesses artistiques et monumentales de la France. C'est en 1972 que l'expression «patrimoine culturel» apparaît, dans la Convention de l'Unesco. Aujourd'hui, le patrimoine est beaucoup plus vaste que l'art, comme l'avait montré André Malraux.
C'est d'ailleurs ce qui l'avait incité à créer l'Inventaire général lorsqu'il était ministre de la Culture. Tout n'est pas patrimoine mais tout peut le devenir. Le seul critère est la valeur symbolique qu'on accorde à l'objet qui, dès lors qu'il intéresse le groupe, devient un bien collectif.
L'enjeu est-il donc infini?
Oui, car le patrimoine n'est plus assimilable à l'objet - artistique ou non - fabriqué par la main de l'homme. Cela va beaucoup plus loin. C'est aussi bien le patrimoine génétique, naturel. Cela montre que l'homme se rend compte qu'il n'est pas une création extraordinaire et qu'il fait partie de la nature. Pour les Orientaux, cela va de soi mais nos religions nous avaient habitués à penser l'homme comme une exception dans la nature. Le patrimoine génétique, c'est ce qui fait que je suis différent de vous mais votre génome n'a de sens que s'il est partagé.
N'y a-t-il pas aussi des considérations plus terre à terre? Par exemple,
le label Unesco ne favorise-t-il pas le tourisme?
En France, le classement des monuments historiques donne un avantage matériel de la part de l'État. L'Unesco, elle, n'apporte que des contraintes. Les responsables d'un site classé au Patrimoine de l'humanité s'engagent à le respecter et à le préserver. Ils ne reçoivent aucune aide de la communauté internationale alors que le classement provoque effectivement l'intérêt des touristes. Cela peut avoir un effet pervers. À Marrakech, la place Jemaa el-Fna était menacée par le tourisme. Un groupe d'intellectuels s'en est ému et elle a été classée en 2001. Mais le vrai patrimoine de la place Jemaa el-Fna, ce sont ses conteurs, ses montreurs de serpents. Eux, comment les préserver?
La basilique de la Nativité, à Bethléem, vient de faire son entrée au Patrimoine de l'humanité. Celui-ci a-t-il donc à voir avec le sacré?
Un site ou un rite ne peut être classé au titre de la force que lui a donné la religion. Sinon, cela est considéré comme du prosélytisme. C'est là que commencent les problèmes… En Espagne, le Mystère d'Elche, près de Valence, a ainsi été classé comme un spectacle et non comme une procession, pas très politiquement correcte d'ailleurs, car elle donne le mauvais rôle aux Juifs. Si un lieu de culte est classé, il est en quelque sorte «désacralisé», il devient un bien commun de l'humanité. Pour cette raison, les jaïns, en Inde, refusent que l'Unesco classe les temples de Ranakpur. Il est hors de question pour eux qu'ils puissent avoir du sens pour d'autres. En 2001, les talibans, propriétaires de fait des bouddhas de Bamiyan, en Afghanistan, les ont détruits, considérant qu'ils étaient contraires à leur croyance. La communauté internationale, elle, s'y était intéressée non parce que c'était des bouddhas mais des sculptures, des monuments. C'est le paradoxe de l'Unesco.
Ce conflit peut-il se poser pour les musées?
Pour le laïque, un christ en croix au Louvre est une sculpture. Pour un croyant, c'est un crucifix. On observe d'ailleurs une réappropriation religieuse de ce patrimoine artistique. En Russie, l'église et les croyants réclament qu'on sacralise certaines parties des musées où sont conservées des icônes de la galerie Tretiakov.
Le patrimoine ne devient-il pas lui-même une sorte de culte?
Oui, il y a une grande parenté entre patrimoine et sacré. Le sacré, c'est ce qui appartient à une communauté, qu'on ne doit pas toucher mais qu'on a besoin de matérialiser dans des objets de culte: c'est l'hostie chrétienne, par exemple. Le phénomène est analogue pour le patrimoine, même s'il n'y pas de dieu car il n'est pas lié à une croyance surnaturelle. Même les plus athées des athées ont un patrimoine!
Malgré sa vocation universelle, cette notion de patrimoine culturel n'est-elle pas très occidentale?
Le monde occidental ou, plutôt, industrialisé, s'intéresse au patrimoine des autres contrairement aux sociétés fermées. Plus on se mondialise, plus on a besoin de se frotter au patrimoine des autres. Le patrimoine a un côté impérialiste même dans son ouverture. C'est le problème des ethnologues qui donnent une valeur mondiale, universelle à l'objet de leur étude. Par contrecoup, quand les talibans détruisent les bouddhas de Bamiyan, c'est un déni des valeurs des autres. Chacun reconnaît son patrimoine mais ne peut ni interdire celui des autres, ni imposer le sien de façon exclusive.
Michel Melot, Mirabilia, essai sur l'Inventaire général du patrimoine culturel, Gallimard, Bibliothèque des idées, 288 p., 22 €.
LIRE AUSSI:
- L'auteur
- Sur le même sujet
- Réagir (0)
- Partager
Partager cet articleEnvoyer par mail
Michel Melot: «le patrimoine est plus vaste que l'art»
Dans un ouvrage passionnant, Mirabilia, qu'il vient de publier, Michel Melot analyse comment l'humanité est passée des sept merveilles du monde antique aux milliers de sites classés par l'Unesco.
< Envoyer cet article par e-mail - Imprimer
- Haut de page