Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Le Nôtre, l'orfèvre de la terre
Portrait de Le Nôtre par Carlo Maratta. Ce petit-fils de jardinier du roi réussit avec habileté à se glisser dans les structures sociales pour occuper une place unique auprès du monarque et imposer une œuvre nouvelle. Crédits photo : ERICH LESSING/AKG IMAGES
Le plus célèbre des jardiniers, dont on fête cette année le quatrième centenaire de la naissance, reste enveloppé d'une aura de mystère.
Le créateur des jardins de Versailles, de Vaux-le-Vicomte et de Chantilly porta la science du jardinage à son plus haut point de perfection. Mais on n'imagine pas l'influence qu'eut aussi André Le Nôtre sur l'architecture et l'urbanisme contemporains. Le mall de Washington (1902), les premières autoroutes, la dalle de la Défense, le Rockefeller Center à New York, etc., lui doivent beaucoup. Mais que sait-on de lui, de l'homme et du parcours? Le «bonhomme» Le Nôtre fut-il le modeste jardinier que l'on dépeint?
Sur cet «heureux génie» qui était dyslexique, il y eut des essais étincelants, mais, étrangement, pas de véritable biographie. C'est chose réparée avec la somme - une référence - que vient de publier Patricia Bouchenot-Déchin, également commissaire avec Béatrix Saule d'une grande exposition qui aura lieu en octobre au château de Versailles (1).
L'historienne qui, pendant quinze ans de recherches, a dépouillé près d'un millier d'actes, tient à libérer Le Nôtre d'idées fausses ou simplificatrices. Avec une érudition prolixe qui ne ressemble pas toujours à un jardin «à la française», elle nous fait redécouvrir un personnage enraciné dans son époque.
Si la légende Le Nôtre existait déjà de son vivant, c'est que l'intéressé avait contribué à la forger.
Voici comme un chroniqueur rapporte, un mois avant sa mort, ses dernières paroles: «Le roi le fit mettre dans une chaise roulante comme la sienne. Il le promena par tous les jardins, et M. Le Nostre disait: “Ah! Mon pauvre père, si tu vivais et que tu puisses voir un pauvre jardinier comme ton fils se promener en chaise à côté du plus grand roi du monde, rien ne manquerait à ma joie!”»
«Il avait une probité, une exactitude et une droiture qui le faisaient estimer et aimer de tout le monde»
Un «pauvre jardinier»! Cette appellation témoigne plutôt de l'habileté de Le Nôtre à manœuvrer dans le labyrinthe des intrigues de la Cour. Pour déjouer la jalousie des courtisans, il fait montre d'une modestie et d'une prudence extrêmes. Même cette langue de vipère de Saint-Simon fait son éloge: il «avait une probité, une exactitude et une droiture qui le faisaient estimer et aimer de tout le monde».
En réalité, sans être brillante, la situation des parents de Le Nôtre était des plus honorables. Même un précepteur lui enseigna sans doute l'arithmétique et la géométrie. Le futur grand homme possède bien des atouts: un réseau familial et amical solidement implanté aux Tuileries, où il naît le 12 mars 1613. Sa famille y est depuis plus de quarante ans au service des jardins. Comme écrivait Charles Perrault: «C'est assurément un très grand avantage pour réussir dans une profession que d'être né de parents qui l'ont exercée, ou l'exercent avec succès.» Ce petit-fils de jardinier du roi réussit avec habileté à se glisser dans les structures sociales pour occuper une place unique auprès du roi et imposer une œuvre nouvelle.
Dans l'intimité du pouvoir
Il existe un malentendu sur le mot de «jardinier»: on imagine celui qui exerce cette profession muni d'une bêche et d'un chapeau de paille… Précisons d'abord que si un La Quintinie a perfectionné les jardins fruitiers et potagers, Le Nôtre est, quant à lui, un jardinier paysagiste. Ensuite, Le Nôtre n'est pas seulement jardinier du roi. Ses titres et fonctions sont aussi: dessinateur de Sa Majesté, conseiller du roi, contrôleur général des Bâtiments, des Jardins, des Arts et Manufactures…
Il existe un fossé immense entre maîtres jardiniers et jardiniers du roi, qui détiennent un office. Véritables entrepreneurs, ceux-là ont des équipes sous leurs ordres. Mais leur vrai privilège est d'appartenir à l'intimité du roi. Le Nôtre, qui pourrait être le père de Louis XIV, le côtoie depuis qu'il a l'âge de cinq ans. Il est devenu intime avec lui au point de l'embrasser chaque fois qu'il le retrouve. Au fond, Le Nôtre rassure le Roi-Soleil. Il est un des rares dont il accepte une franchise totale.
Ainsi son histoire ne commence-t-elle pas avec le coup d'éclat de Vaux-le-Vicomte. Celui qui a débuté en tant que jardinier de Gaston d'Orléans est alors déjà connu depuis longtemps. Si Le Nôtre s'est démarqué, c'est qu'il sut être à la pointe de son temps. Il a fréquenté de près le monde scientifique. Des artistes comme Vouet, Poussin, le Bernin l'ont influencé. S'il utilise les mêmes éléments que les autres jardiniers (canaux, allées, palissades, parterres, bassins, fontaines…), il va inscrire ses compositions dans une dramaturgie au service du mouvement. Il associe de manière toute personnelle le végétal, le minéral et l'eau. Cet illusionniste combine équilibre et élégance, masque la complexité des effets voulus derrière un tracé limpide.
Une immense fortune
Le «modeste jardinier» acquiert une immense fortune, devient un collectionneur de renom. Il lègue même au Roi ses chefs-d'œuvre, ce qui est un rare privilège. Le Nôtre n'aurait pas connu un tel engouement sans la fascination, quasi spirituelle, qu'exerce le jardinier depuis au moins la Renaissance. Ce n'est pas pour rien qu'on appelle celui-ci «l'orfèvre de la terre». Son art, bien plus qu'une distraction, soutient la contemplation. Si ce mystère dépasse Le Nôtre, il l'a incarné à la perfection.
(1) «André Le Nôtre en perspectives, 1613-2013», du 22 octobre au 24 février 2014.
«André Le Nôtre», de Patricia Bouchenot-Déchin, Fayard, 654p., 27€.
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Le Nôtre, l'orfèvre de la terre
Le plus célèbre des jardiniers, dont on fête cette année le quatrième centenaire de la naissance, reste enveloppé d'une aura de mystère.
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