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Catégories : A lire, CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE

Des adieux beaux comme le jour

 

Le poète Jean-Claude Pirotte livre un texte ultime avec la simplicité des recommencements.

 
25/9/13
 
brouillard

BROUILLARD
de Jean-Claude Pirotte
Éditions Cherche Midi, 142 p., 13,50 €

Jean-Claude Pirotte ne va pas fort – le cancer reprend ses maléfices –, mais il offre un récit des plus forts, tout en finesse, sur les souvenirs et la disparition, le réel et le rêve, l’ombre et la lumière, la béance à l’œuvre que surpasse le mot juste. Il a composé, tel un montreur de lanterne magique, des extraits de prétendus carnets du passé. Se silhouettent ainsi des moments d’une existence souvent foudroyée: conflits familiaux entre Namur et Bruxelles, mariage saugrenu menant au deuil en deux temps – femme puis fille –, fric-frac de tableaux dans les caves d’une banque, carrière d’avocat trop proche des marlous et poursuivi comme tel par la police belge, d’où une cavale folle, haletante, rimbaldienne, usante: 

«Je ne cherche pas à me dédouaner. Je constate. Je rumine. Mes délits me paraissent imaginaires. C’est dans un état second – mais lucide – que je les ai commis. Une autre vie, décidément, si j’envisage celle-ci, à laquelle je me suis condamné.» Puis, jusqu’à présent, l’existence d’un poète modernement maudit donc sans le sou, déménageant à mesure de l’extension de la dèche et de l’avancement du mal qui le ronge: 

«L’enfant coupable n’a tenté que rarement de me laisser en paix. L’adolescent “monstrueux” est toujours là, réduit à l’inactivité, au silence, mais planté en moi comme une statue du Commandeur. Nous n’évacuons pas nos déchets, ils seraient plutôt de nature à fermenter en nous comme du grain pourri. (…) Et en cherchant à me débarrasser avec la plume et du papier de ce chancre originel, je n’effectue que des prélèvements, je me livre à ma propre endoscopie mentale.» 

Voilà qui pourrait peser, mais que le style, les phrases et le souffle rendent diaphane, léger, mystérieux, aérien et profond comme le Requiem de Fauré. L’écriture résiste, chemine, apaise et transporte en dépit de ce qui s’abat pour écraser ou faire barrage. Jean-Claude Pirotte réalise un chef-d’œuvre de fragilité spirituelle, avec la puissance de ce qui va de soi pour la dernière fois peut-être. 

Brouillard caresse la vie, frôle la mort, montre la voie dans la clarté de ce qui va s’éteindre: «C’est que j’avais encore envie de vivre, et de voir passer les nuages, et d’écrire ceci, ou autre chose. Il arrive que la douleur soit en voie d’excéder mes forces. Mais je m’obstine, je tiens la fenêtre ouverte,
au moins je respire et un chien aboie.» 

Tel Joachim du Bellay, nostalgique du clos de sa pauvre maison suite au déclic provoqué par le séjour romain – «Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine» –, Jean-Claude Pirotte cisèle ses Regrets. Et il retrouve le timbre des cloches de la campagne qui sonnaient pour les morts. Avec, toutefois, des accents d’espérance: «C’est peut-être que la maladie exonère de toute inculpation. Et qu’en sa présence on redevient l’enfant qui ne sait rien d’elle, sinon qu’elle autorise à sécher l’école. Le bonheur est là, à portée de main, cela vaut bien la légère souffrance. Ce serait trop beau tout de même, que la vie soit suspendue.» 

 

 

ANTOINE PERRAUD

http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Des-adieux-beaux-comme-le-jour-2013-09-25-1024769

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