Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Álvaro Mutis, le rêveur de navires
Álvaro Mutis a reçu le prix Médicis étranger en 1989 et le prix Cervantes en 2011. Crédits photo : Effigie/Leemage
Monument de la littérature colombienne, le créateur de l'inoubliable marin Maqroll el Gaviero, est décédé dimanche à Mexico, d'une maladie cardio-respiratoire. Il avait 90 ans.
Álvaro Mutis ne ressemblait en rien à l'image attendue du romancier latino-américain. Il ne buvait pas de maté, ne militait dans aucun parti et dédaignait le réalisme magique. Il n'avait lu Azorín qu'en 1945, Pérez Galdós qu'en 1985, et n'émargeait à aucune ambassade.
Né à Bogotá en 1923, ce fils de propriétaires terriens et d'éleveurs passa une partie de son enfance dans les brumes de l'Europe du Nord. À l'ombre du clocher jésuite du collège Saint-Michel de Bruxelles, il devint un «lecteur enragé», découvrant Hector Malot, Dickens, Jules Verne, Walter Scott… En cette époque, pleine de nostalgie, il pensait ne jamais pouvoir retourner en Colombie, bien qu'il y revînt chaque année passer des vacances dans l'hacienda de ses ancêtres.
Faut-il voir dans ces allers et retours annuels la source de son goût futur pour le voyage? Toujours est-il que devant l'imminence de la guerre, et malgré la baisse vertigineuse du cours du café, Álvaro Mutis revint à Bogotá, délaissa ses études, se maria, et publia à 18 ans son premier poème, La Prière de Maqroll el Gaviero.
Quel étrange écrivain colombien, cet Álvaro, qui prisait avant tout les littératures anglaise et française, était hanté par la mer, la mobilité, la marginalité, et confessait facilement son penchant pour les causes perdues, les civilisations disparues et l'inachèvement. Auteur d'une vingtaine de livres - recueils de poèmes et romans -, Mutis fut, dans la littérature hispanique de la deuxième moitié du XXe siècle un cas unique. Un personnage obsessionnel traverse son œuvre. Phénix récurrent, il en est le symptôme et le symbole: Maqroll el Gaviero. Pièce maîtresse de la marine à voile, le gabier avait jadis deux fonctions: juché dans les hunes, il surveillait la manœuvre des focs et le gréement du beaupré ; stationné dans les ports, il en faisait entrer ou sortir les bâtiments de l'État.
Entre le vin et les souvenirs
Né un matin de 1942, dans un poème «mais déjà sans nationalité ni visage pour ne pas en faire, comme chez les romantiques allemands le héros d'une ballade», Maqroll ne profita pas de son passage dans l'univers romanesque d'Álvaro Mutis pour étoffer sa notice biographique, tout juste apprend-on qu'il possédait un faux passeport chypriote! Álvaro Mutis n'éprouva nul besoin de mettre sur son singulier héros un visage. Ni naissance, ni mort. Maqroll ne traverse pas le temps, ne peut en subir les outrages, car il est lui-même à l'intérieur du temps, le constitue et s'y déplace. Inutile donc de chercher dans l'œuvre d'Álvaro Mutis une continuité chronologique.
Álvaro Mutis était un des rares écrivains à savoir parler en termes féconds et exacts de la relation étrange qui lie un homme et son bateau, de leurs voyages avortés, de leurs dérives. Les livres d'Álvaro Mutis ne se résument pas. Il faut les lire du dedans, car aucun ne relate une expérience directe ou autobiographique. Toutes ces errances, vécues par El Gaviero, dans des lieux connus de l'auteur, se nourrissent de récits imaginaires, aventures physiques et culturelles, faisant d'Álvaro Mutis un gabier des lettres, l'explorateur lucide d'une littérature du voyage intérieur. Álvaro Mutis portait un soin minutieux à l'écriture, à la musique de la phrase, à son rythme.
Dans cette œuvre magistrale, qu'un Prix Nobel eût dû couronner, la solidité de son héros, Maqroll el Gaviero, ne tient qu'à un fil: celui qui consiste à tirer des rêves jamais réalisés de solides raisons de vivre. Álvaro Mutis navigua souvent entre le vin et les souvenirs. Sa «disparition» ne clôt pas le cycle de Maqroll le Gabier mais le fait pénétrer dans l'éternité de la lecture: «J'ai si longtemps longé des abîmes auprès desquels la mort n'est qu'un théâtre de marionnettes.»
Les principaux livres d'Álvaro Mutis sont publiés aux Éditions Grasset.
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Álvaro Mutis, le rêveur de navires
Monument de la littérature colombienne, le créateur de l'inoubliable marin Maqroll el Gaviero, est décédé dimanche à Mexico, d'une maladie cardio-respiratoire. Il avait 90 ans.
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Gérard de Cortanze