Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Le bric à Braque
Les Poissons noirs, 1942, Georges Braque. Crédits photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.Rmn-Grand Palais / Droits réservés © Adagp, Paris 2013
Dix facettes du maître pour un petit portrait cubiste qui n'épuise pas son étrangeté.
Impossible d'épuiser Braque. Il faut aller, revenir, tourner autour… Son art n'est pas fait de clefs, tout au plus de signes déposés dans les compositions après mûre réflexion mais sans règle. Ici, dix mots divers. Non les indices pour un jeu de piste mais une carte du tendre, une manière d'allégorie des étapes d'un homme-poète né à Argenteuil (Val-d'Oise) en 1882 et qui repose au cimetière marin de Varengeville (Seine-Maritime).
Ouvrier
Le bois, la pierre, faux ou stylisés, reviennent dans les compositions au point d'être une de ses caractéristiques. Au Havre, Braque a effectué un apprentissage de peintre en bâtiment dans la société paternelle florissante. Son père, peintre amateur et à l'écoute des nouveautés artistiques (il fut cofondateur du Cercle de l'art moderne), le pousse plutôt vers sa profession. Il l'envoie en stage à Paris afin de perfectionner le savoir-faire dans la fabrication des matériaux décoratifs. Il lui laisse aussi une bourse pour intégrer une école d'art puisqu'il le demande.
Louvre
Braque aimait Cranach, Chardin mais pas les classiques. Il déteste La Joconde. Quant aux impressionnistes, il les a laissés dans sa ville natale d'Argenteuil. Le Louvre ne lui en a pas tenu rigueur. Braque a été le premier peintre vivant à créer dans ce musée (ses oiseaux au plafond de la salle Henri II, collections étrusques).
Matisse
En 1906 et 1907, Braque aime l'opium et le fauvisme comme la première salle du Grand Palais le rappelle. Matisse est l'aîné, l'homme à suivre depuis le choc de La Joie de vivre et de La Femme au chapeau qui vont plus loin que Cézanne, le modèle idolâtré. Suivra le compagnonnage avec Picasso… Mais Braque reviendra périodiquement à Matisse. Comme dans Le Duo de 1937.
Chapeau
Sur les photos de Man Ray ou de Cartier-Bresson, Braque porte une casquette. En toile ou en tweed. Une pour tous les temps afin de protéger sa tête blessée lors de la grande guerre. Mais elles comptent moins que son Cronstadt. Jeune, il arborait ce chapeau, le même que celui de Cézanne. Un melon à dessus plat et bords recourbés. Picasso l'a peint avec, reconnaissant à ce moment que c'est bien son ami qui a hérité de la couronne du roi.
Troisième dimension
La quête de la tridimensionnalité non illusionniste en peinture passe d'abord par le paysage rendu essentiellement par les couleurs. Puis par une attention extrême accordée aux formes des objets les plus banals: pipe, instrument de musique, pot… Autre révolution: les papiers collés d'éléments découpés de journaux, de publicités ou de décoration. Ce vocabulaire plastique nouveau est encore enrichi par des lettres au pochoir et divers matériaux autres que ceux de la palette traditionnelle. Installés dans la composition, ces éléments deviennent mi-clins d'œil, mi-énigmes. Ils augmentent l'effet d'étrangeté.
Crâne
Comme un autre Normand illustre - saint Aubert dont le doigt de l'archange traversa la tête et qui fonda le Mont-Saint-Michel -, Braque n'est plus le même après sa trépanation de 1915. Son œuvre jusque-là essentiellement cérébrale et collective se fait plus instinctive et intime. Il est le seul par exemple à introduire de vastes plans colorés dans des compositions cubistes (La Musicienne, 1918). Sa peinture ne se laisse toutefois pas envahir par le traumatisme de sa blessure, ni par les deux guerres, ni par n'importe quelle actualité. Tout juste, dans ses natures mortes, note-t-on l'apparition du thème du crâne à partir de 1937. Plus comme une masse étudiée que comme un autoportrait ou une vanité.
Aphorismes
Grand lecteur du Tao Te King, le Livre de la voie et de la vertude Lao-Tseu, Braque enlumine Le Tir à l'arc en 1960. Un livre où ses propres aphorismes se trouvent mêlés à une traduction d'un manuel de zen japonais. Il avoue ainsi son intérêt pour une technique faite de sagesse. Un art qui, lié à l'intuition, produit un résultat fulgurant.
Sculptures
À coups de hachoir, Braque taille les galets de Varengeville comme un homme primitif. Déjà polis par mère Nature, ils avaient interpellé avant Apollinaire et Valéry. Braque les dégrossit sur place puis les remonte en haut de la falaise, dans la longère qui abrite son atelier. Il fait des visages de profil ou des petits chevaux. Cela lui permet de briser la routine du peintre et lui procure un peu d'exercice physique. Certains galets pèsent plusieurs kilos.
Amitiés
Des années après Apollinaire, Jean Paulhan est son plus ardent thuriféraire (il a écrit Braque le patron). Francis Ponge est son sosie en poésie. Giacometti, Saint-John Perse et Prévert, ses derniers amis.
Charrues
Elles fouillent la terre, font jaillir le limon fertile comme la peinture. Ce leitmotiv symbolise l'artiste laboureur du réel. De tels autoportraits sont fréquents dans son œuvre. Braque c'est aussi le broc de ses natures mortes (Prévert, Derrida ou Nabokov ne se sont pas privés de tels jeux de mots). Ailleurs, l'instrument de musique est l'antithèse du vacarme et du chaos. Le billard est l'espace travaillé, la lourde masse colorée dont les boules tracent des figures géométriques. Les oiseaux enfin sont l'âme, le dépassement de soi, la matière transformée en air, l'harmonie du vivant. Pour voir si une toile fraîche «tenait», Braque avait l'habitude de la poser dans un champ ou par terre, dans les couleurs réelles.
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Le bric à Braque
Dix facettes du maître pour un petit portrait cubiste qui n'épuise pas son étrangeté.
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