Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Emmanuel Perrotin, l'« art-fairiste »
Emmanuel Perrotin devant le mini-ascenseur de légende de Maurizio Cattelan. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/JC MARMARA/LE FIGARO
Suite à une mise en demeure, je supprime cette photo
Avec son allure de Gatsby, ce businessman de l'art part à la conquête de Manhattan après avoir séduit Paris et Hongkong.
Le visage est un peu rond, enfantin malgré la quarantaine bien entamée. Peut-être ces gros yeux bleus qui vous fixent, vous soupèsent et vous maintiennent dans un certain no man's land entre affaires sans rémission et amitié de façade. La courtoisie de rigueur de bon matin résiste mal au stress de l'écume des jours. Ne pas chatouiller les moustaches du tigre avec une curiosité déplacée ou l'oubli de son rang devant tant de succès. La colère ou les larmes amères peuvent exploser comme une bombe. «Emmanuel n'a pas le cuir épais », dit son ami de Londres et de Hongkong, le galeriste Ben Brown, 45 ans, fils bien né d'un architecte et d'une peintre, époux d'une vraie Guinness. «Emmanuel perd beaucoup ses nerfs. J'ai peur pour le garçon, cette pression énorme sur lui », renchérit son ami et artiste, le Belge Wim Delvoye. Le changement brutal d'humeur est souvent l'apanage du pouvoir, de l'orgueil et de la solitude.
La ligne est un peu moins svelte que dans les années 1990 lorsque «Perrotin le magnifique » était plutôt «Emmanuel », un phénomène décapant dans le monde naissant de l'art contemporain à Paris. L'autoentrepreneur dormait sur un canapé dans sa petite galerie du XIIIe. Cette volonté à la Bel Ami lui a valu l'amitié de Bernard Herbo, son ex-financier et «toujours son ami » malgré leur divorce âpre, comme de Cattelan, compagnon de bohème désormais courtisé par tout le marché. Emmanuel ? Un interlocuteur au tutoiement tout neuf, au sourire indestructible, au rire caustique comme un tract de fac. Une sorte d'oisillon vengeur qui partait à l'attaque du monde comme un aigle en puissance. Un mélange de candeur fraîche et de culot, de bagout de pro hyperprécoce et de débraillé étudié comme il sied aux Beaux-Arts et aux noceurs épidermiques à la Dutronc. La séduction est un flux d'énergie. À ce titre, Emmanuel Perrotin fut et reste une jeune centrale nucléaire.
Aujourd'hui, son blazer pâle aux boutons plats dorés pourrait être celui d'un Tea Party dans les Hamptons. Le visage impassible, fermé comme un secret bancaire. Le chic est discret comme ces old money qui ont fait de l'Upper Eastside de Manhattan leur forteresse, leur royaume net, bien gardé et impitoyable où même les musées semblent être leurs dépendances. C'est d'ailleurs dans ces hautes avenues des vieilles fortunes que Perrotin le Français vient d'installer sa galerie américaine, après ses deux espaces dans le plus beau du Marais à Paris, sa tentative hollywoodienne de Miami et sa percée fulgurante à Hongkong. Objectif? Manhattan, la dure en affaires.
Emmanuel Perrotin est un phénomène. Il a réinventé le métier de galeriste, comme il s'est inventé lui-même
Pas question de se noyer dans la masse de Chelsea et ses 284 galeries que la planète art visite à la file le week-end entre les semaines de ventes aux enchères de mai et novembre. Comme Larry Gagosian, le wonderboy de cinéma passé des trottoirs californiens à la tête du marché de l'art international, le «Poker Face» qui a pris sa place dans l'immeuble convoité à Hongkong, et «celui dont manifestement on ne doit pas dire le nom », Emmanuel Perrotin a opté pour le surclassement. L'habit fait le moine, en art aussi. Il s'est donc installé avec les peluches géantes de Paola Pivi sur Madison Avenue, dans un immeuble sage où l'étage abrite la galerie de Dominique Lévy, fille de collectionneurs et référence du marché new-yorkais, œil «aussi raffiné et élitiste que celui d'Emmanuel est porté vers le glamour, le flash visuel, le gag et la provocation acide à mèche lente », note un confrère de Londres.
Conquêtes? Le pluriel lui va bien. À l'homme réputé hautement consommateur de poupées blondes, péchés mignons tout en fossettes et princesses muettes comme dans les films de collégiens américains. Mais aussi au galeriste intrépide qui chiffre à l'instant ses idées et multiplie les projets (la semaine dernière, Damien Hirst à Doha chez les émirs, cette semaine ses 25 ans de galeriste exposés au Tripostal de Lille chez Martine Aubry), les voyages (jusqu'à Séoul avec son cher Othoniel), les expansions (sa troisième galerie parisienne du Marais, en travaux, s'annonce spectaculaire). Il paraît loin le temps où tout le petit monde de l'art s'entassait sans chichis dans le même taxi à l'aéroport de Miami pour gagner l'une des premières éditions de la foire ArtBasel South Beach à moindres frais. Où, joyeux comme un Italien, cet intuitif profitait de la course pour noter son numéro de portable ni vu ni connu dans la paume d'une belle à cueillir le soir même, entre la fête du Delano et l'after-party sur les planches du Raleigh. En novembre 2011, les VIP rentraient en business du PAD (Pavillon des arts et du design) à l'Armory de Park Avenue. Il trônait tout seul en première.
Insouciance et rapidité, jeu de rôle et promesses sans limites du succès, la vie semblait une fête. Il l'endossait comme un costume de théâtre, lui, le trublion parisien qui fit rire la galerie et établit sa légende en 1995 en acceptant de se déguiser en phallus rose géant et de danser sans vergogne en «Errotin le lapin » pour le bien de son artiste, un certain Maurizio Cattelan. Emmanuel l'outsider, le fils de banlieue qui écumait les nuits de Paris et rentrait au petit matin en RER, le self-made-man de l'art qui a laissé ses études au lycée et s'est autogéré à 16 ans dans le sillage du suicide de son frère aîné, l'aventurier sans complexes apparents, ressemblant à ses artistes révolutionnaires qu'il fit découvrir à Paris. À Damien Hirst, le bad boyanglais qui portait encore le col roulé jaune fluo et posait rigolard à la morgue à côté d'une tête tranchée. À Maurizio Cattelan, l'artiste vagabond de Padoue qui flinguait à vue l'ordre bourgeois et détournait le drame de l'histoire, de Trotsky à Hitler, par ses installations subversives. Et même à Takashi Murakami, ce fils de taxi tokyoïte obsédé par l'art, la peinture et les femmes.
Dudit Cattelan lui reste le mini-ascenseur installé dans l'escalier de sa galerie au 76, rue de Turenne comme le Rosebud de Citizen Kane. Mais «Perrotin le magnifique » n'a plus toujours le cœur à jouer les Marx Brothers pour l'objectif, aimerait être pris au sérieux d'emblée comme un banquier de Wall Street. Il y a comme un fossé entre la gaîté d'antan, désordonnée et conviviale, et tout le convenable de la maturité établie. Son auteur préféré? «Fitzgerald, pour ses histoires terribles d'un homme qui rêve, réussit et s'effondre.» Au Russian Tea Room, il a organisé une fête incroyable et séduit les plus aguerris des New-Yorkais par «son charme de Français». Dans son appartement parisien, splendide et dépouillé, agencé par le galeriste de l'Art déco suédois Éric Philippe, il y a des catalogues, le costume en feutre de Beuys, sa réplique miniature et moqueuse par Cattelan. Mais pas de Daisy, ni de romans pour rêver sur la table de chevet.
• Happy Birthday, Galerie Perrotin, Tripostal, à Lille (59). Du 11 octobre au 12 janvier.
PHILIPPE SÉGALOT. Le joker
Philippe Ségalot. Crédits photo : FRED DUFOUR/AFP
En 1997, lors de la fameuse vente Ganz qui dispersait à New York une collection de Picasso historiques, un jeune «auctioneer» au brushing de Sami Frey se faisait remarquer par sa force de persuasion et son charme un rien sorcier. Philippe Ségalot allait bientôt sortir de l'art moderne et suivre la courbe exponentielle de l'art contemporain. Il réinventa les catalogues de Christie's pour doper ses ventes d'art contemporain. Sa réussite de courtier très privé, spectaculaire, est parallèle à celle du galeriste, son contemporain et ami. Pour lui, Emmanuel Perrotin risqua le bannissement de la foire d'ArtBasel: il lui prêta un badge professionnel avec lequel il put visiter la foire la veille du vernissage officiel. De l'histoire ancienne, maintenant que ces deux conquérants ont imposé leur loi.
Les complices du Baron
André Saraiva. Crédits photo : Andrew H. Walker/AFP
Charme canaille et petite surface enfumée ont transformé l'ancien «bar à hôtesses» en lieu de l'art et rendez-vous obligé de l'after party «le plus branché de Paris» (encore en 2010). Le Baron a été ouvert le 14 octobre 2004 par André Saraiva (photo) et Lionel Bensemoun, organisateurs des soirées La Johnson, deux grands amis d'Emmanuel Perrotin qu'il a d'ailleurs présentés l'un à l'autre au cours de vacances communes. «Je ne suis pas associé en affaires avec eux, mais nous sommes amis et avons monté nombre de fêtes ensemble, de Londres à Miami», nous précise le galeriste, 45 ans, qui«ne peut pas vivre sans musique». Longtemps, cet oiseau de nuit ne s'est pas couché de bonne heure.
PHARRELL WILLIAMS. La bombe musicale
Pharrell Williams. Crédits photo : TIBOUL /MAXPPP
Né le 5 avril 1973 à Virginia Beach, ce musicien américain, producteur, interprète de Get Lucky, le tube de l'année des Daft Punk, est arrivé comme une bombe dans l'univers d'Emmanuel Perrotin. L'art et la musique s'y sont joyeusement télescopés. Le chanteur a créé Simple Things(2008-2009), sculpture au kitsch invraisemblable avec Murakami et Jacob the Jeweler, pièce qui aurait été vendue 2 millions de dollars. Lors de l'ouverture de sa galerie à New York, Emmanuel Perrotin a vu Pharrell débarquer vers 3 heures du matin et l'a suivi en studio, où le musicien lui a fait écouter son
TAKASHI MURAKAMI. L'empereur manga
Takashi Murakami. Crédits photo : François BOUCHON/Le Figaro
Né en 1962 à Tokyo, Takashi Murakami est apparu comme un personnage de manga dans la scène de l'art contemporain. Mêlant culture populaire et tradition des arts décoratifs japonais, ce fils d'un chauffeur de taxi est aussi perfectionniste et jusqu'au-boutiste qu'imprévisible. À l'automne 2006, déjà star japonaise des enchères, il présentait chez Emmanuel Perrotin, à Paris, The Pressure Point of Painting. En sous-sol, son acupuncteur, l'éminent Kenzo Kawai, était venu en personne pour démontrer à tout sceptique sa nouvelle théorie des couleurs.
MAURIZIO CATTELAN. L'agitateur
Maurizio Cattelan. Crédits photo : ROBERT LAKOW/Madame Figaro
L'artiste italien, né à Padoue en 1960, a exposé pour la première fois dans la galerie Perrotin. C'était en 1995. Maurizio Cattelan avait demandé alors au galeriste parisien d'arborer six semaines durant un déguisement rose en forme de lapin phallique. Francesco Bonami, commissaire de la dernière exposition à la Fondation Beyeler, dresse le portrait d'un Cattelan qui «sait inventer des images lourdes de sens, avec un art de la communication peut-être plus humain que celui de Damien Hirst». «L'explosion cosmique de sa rétrospective au Guggenheim (en 2011) était plus frappante dans les photos des journaux qu'au musée. Comme Fellini pour le cinéma, c'est un Italien qui dépasse par son mélange local-universel les frontières de l'Italie», estime encore son compatriote.
FRANÇOIS PINAULT. Le mentor
François Pinault. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro
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«Non, il n'est pas le financier de ma galerie», dément catégoriquement Emmanuel Perrotin, interview après interview. Il s'agace de la rumeur persistante et insidieuse du marché parisien qui lui voit des accointances avec Pinault. On ne prête qu'aux riches... «C'est une fausse information colportée par des jaloux qui refusent de reconnaître mon travail personnel d'entrepreneur, mes vingt-cinq ans d'efforts et de doutes, voire mon mérite dans la réussite de ma galerie.» En revanche, l'homme d'affaires breton a été un grand client de la galerie Perrotin, de Murakami à Cattelan qu'il a gracieusement exposés à la Pointe de la Douane et au Palazzo Grassi, à Venise.
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