Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Transatlantic
Avec cet ouvrage qui, sur deux siècles, suit trois histoires parallèles, Colum McCann revient à ses origines irlandaises et tisse un lien magnifique entre plusieurs générations.
Chacune de ces trois histoires est développée par Colum McCann, sans lien apparent l’une avec l’autre, avant de se mêler vers la fin et de former le chœur de ce roman aimanté par les femmes et l’Irlande.
Colum McCann (Danseur, Et que le vaste monde poursuive sa course folle) distille un récit semé de métaphores éblouissantes, d’images fulgurantes, qu’il assemble par des phrases courtes, sans verbe souvent. Phrases réduites à leur quintessence et d’une rayonnante puissance poétique. Recomposé par Colum McCann, le premier vol transatlantique de Jack Alcock et Teddy Brown parcourt des pages fabuleuses sur l’euphorie du départ et la détresse face aux repères effacés par des instruments affolés, le froid glacial de la nuit sans étoiles, les inquiétantes trépidations de la carlingue fragile, l’effroi de s’enfoncer dans les éléments comateux. Alors que tout conjure à les perdre, Alcock et Brown s’accrochent, avant d’aller rudement brouter l’herbe verte des pâturages irlandais, dans un fracas de tôles brisées.
Changement de ton et de décor avec la réception de Frederic Douglass, esclave affranchi et militant abolitionniste, dans les salons de la haute bourgeoisie de Dublin. Tout est nouveau pour lui. On lui parle avec déférence. Attraction exotique, il est confronté au monde libre qui le traite avec bienveillance mais condescendance. Il découvre soudain la misère, inattendue, de la vieille Europe et les ravages de la famine. On veut l’entraîner à prendre position dans la guerre des Irlandais contre les Anglais, mais Douglass ne peut se concentrer que sur une seule cause, la sienne.
Ce vieux combat, George Mitchell y mettra fin, avec sa patience inlassable, écoutant sans fin les protagonistes dévider leurs griefs, usant de subtiles précautions dans son langage et ses gestes pour aborder les parties en présence. Colum McCann explore la peur, de part et d’autre, d’aboutir à un compromis, de renoncer à cette haine qui tient debout mais aussi celle de laisser passer une occasion historique.
Des femmes hantent ce roman du retour aux origines pour Colum McCann, écrivain américain venu d’Irlande. Emily et sa fille Lottie, postées au début du siècle dernier ; Lily Duggan, dont la vie blessée, âpre et sans répit, résume l’ascension sociale des émigrés sans le sou ; Lottie dans sa vieillesse agile ; Hannah, la petite-fille d’Emily, frappée durement par son appartenance à cette terre de tourbes sanglantes.
Remise en 1919 aux aviateurs, la lettre égarée resurgit entre les mains d’Hannah. L’enveloppe décachetée libérera une lointaine profession de foi qui lie les vivants et les morts : « Il est toujours difficile d’estimer les conséquences de nos actes, mais je suis sûre que nos vies résonnent après nous. »
JEAN-CLAUDE RASPIENGEAS
http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/D-un-bord-a-l-autre-du-monde-2013-10-02-1031423