Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Mort de Patrice Chéreau, metteur en scène sans limite
Le Monde.fr |07.10.2013 à 21h12 • Mis à jour le07.10.2013 à 23h47
Portrait de Patrice Chéreau en 2006, lors de la sortie de "Gabrielle". | AFP/PEDRO ARMESTRE
Il était encore au lycée que sa réputation de metteur en scène de théâtre était faite à Paris. Ensuite, comme un jeune conquérant (il a incarné Bonaparte à l'écran), Patrice Chéreau a pris d'assaut l'opéra, le cinéma. Ce metteur en scène universel est mort lundi 7 octobre, à 68 ans. De ses premiers spectacles au théâtre de Sartrouville, alors que la France était prise dans les convulsions de mai 1968, à son triomphe cannois avec La Reine Margot, de sa mise en scène du Ring de Richard Wagner, qui révolutionna le monde de l'opéra, alors qu'il n'avait pas 30 ans, à son dernier spectacle, Elektra, opéra de Richard Strauss, créé à Aix-en-Provence en juillet (voir la retransmission, toujours accessible sur le site Arte live Web), Patrice Chéreau a laissé une empreinte profonde sur son temps.
Il naquit le 2 novembre 1944 à Lézigné, dans le Maine-et-Loire, dans une famille d'artistes. Au lycée Louis-le-Grand, de Paris, il rejoint la troupe de théâtre, dont il devient le metteur en scène, produisant des spectacles dont la renommée passe de loin les murs du vénérable établissement. A 22 ans, il prend la tête du théâtre de Sartrouville après avoir monté L'Affaire de la rue Lourcine, d'Eugène Labiche, d'une manière qui a profondément divisé public et critique. En banlieue parisienne, il assied sa renommée mais ne peut éviter la faillite de son théâtre.
Il part alors pour l'Italie où il travaille aux côtés de Giorgio Strehler, au Piccolo Teatro de Milan. Il met en scène Marivaux, ou le Toller de Tankred Dorst, autour de la figure du révolutionnaire allemand. Chéreau est alors au cœur du mouvement de contestation de l'ordre établi, tout en proposant des mises en scène construites sur des décors minutieusement conçus par Richard Peduzzi, qu'il a rencontré à Sartrouville, éclairées avec une science qui évoque forcément le cinéma.
EN SE FROTTANT À WAGNER, IL CONNAÎT LE TRIOMPHE
En 1971, Roger Planchon, qui dirige le Théâtre national populaire de Villeurbanne, lui demande de le rejoindre. Chéreau met alors en scène des spectacles qui font de lui un grand homme, presque universellement respecté : La Dispute, de Marivaux, Lear d'Edward Bond... Le compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez, qui dirige alors le festival de Bayreuth, fait appel au jeune homme (on est en 1976) pour lui confier la mise en scène de la Tétralogie de Wagner, sur les lieux mêmes de sa création un siècle plus tôt. L'irruption dans le monde de l'opéra de l'esthétique de Chéreau dans l'univers wagnérien est un séisme et un triomphe. Capté pour la télévision, ce Ring est diffusé dans le monde entier.
Patrice Chéreau en 1983, lors d'une réception au ministère de la culture. | AFP/GABRIEL DUVAL
En même temps, Chéreau se lance dans le cinéma, dirigeant Charlotte Rampling dans La Chair de l'orchidée (1974), Simone Signoret dans Judith Therpauve (1979), Jean-Hugues Anglade dans L'Homme blessé (1983) récit d'une liaison homosexuelle qui vaut à son metteur en scène d'être reconnu comme un cinéaste à part entière. Il est aussi acteur, incarnant Camille Desmoulins dans le Danton d'Andrzej Wajda, tenant le rôle-titre dans le Bonaparte en Egypte de Youssef Chahine ou jouant le général Montcalm dans Le Dernier des Mohicans de Michael Mann.
Il s'avance encore plus loin dans le domaine du cinéma, mettant en scène une énorme production française, La Reine Margot, que produit Claude Berri (qui a tenu un petit rôle dans L'Homme blessé) et qu'interprète Isabelle Adjani. Présenté à Cannes en 1994, le film reçoit le Prix du jury.
Chéreau ne tentera plus l'aventure du grand spectacle et ses films suivants, Ceux qui m'aiment prendront le train (qui lui vaudra le César du meilleur réalisateur en 1999), Intimité (Ours d'or à Berlin en 2000), Son frère, Gabrielle et Persécution ne quitteront pas la sphère privée. Son projet de Napoléon, avec Al Pacino dans le rôle de l'empereur exilé à Sainte-Hélèn,e ne verra jamais le jour.
Ce parcours de cinéaste n'empiète en rien sur celui de l'homme de scène. En 1982, Patrice Chéreau est devenu directeur du théâtre des Amandiers de Nanterre. Il y reste jusqu'en 1990, mettant en scène Bernard-Marie Koltès, Heiner Müller, et, toujours, Marivaux. En 1988, au Festival d'Avignon, il présente un Hamlet, avec Gérard Desarthe dans le rôle du prince du Danemark, qui devient pour quelques décennies l'aune à laquelle on juge une mise en scène de la pièce. Le Temps et la chambre, de Botho Strauss, en 1991, Phèdre, de Racine, avec Dominique Blanc, en 2003 sont d'autres jalons de ce parcours vertigineux qu'il poursuit aussi à l'opéra.
Avec Boulez il a mis en scène Lulu de Berg. Chéreau se tourne ensuite vers Mozart, montant Don Giovanni à Salzbourg, Cosi fan tutte à Aix. A partir de 2009, il prend l'habitude de donner une lecture de Coma de Pierre Guyotat. Un geste qu'il a réédité le 26 juillet en clôture du festival d'Avignon, lors d'une dernière rencontre avec le public.
Lire notre compte-rendu de Coma de Guyotat, lu par Chéreau
Un dernier spectacle à l'affiche
Une dernière œuvre théâtrale de Patrice Chéreau, Les Visages et les corps, sera à l'affiche du Théâtre du Rond-Point à Paris, du 15 octobre au 10 novembre. Cette pièce, mise en scène et interprétée par Philippe Calvario, est tirée de l'expérience de Patrice Chéreau au musée du Louvre. Invité à l'automne 2010 à établir un parcours personnel à travers les collections du musée, Chéreau avait alors livré sa vision de l'art dans un journal intime aujourd'hui adapté au théâtre.