Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Troisième refonte en dix ans des programmes de l'école primaire
LE MONDE | 10.10.2013 à 11h06 • Mis à jour le 11.10.2013 à 15h01 | Par Mattea Battaglia et Aurélie Collas
Les programmes de l'école primaire vont être révisés. Encore empêtré dans la réforme des rythmes scolaires, le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, prend le risque d'ouvrir ce nouveau chantier. Jeudi 10 octobre, il devait installer le Conseil supérieur des programmes – l'instance chargée de les concevoir. Afin d'éviter de se voir de nouveau reprocher le manque de concertation, il a porté le sujet jusque dans les écoles, en invitant les enseignants à donner leur avis avant les vacances de la Toussaint.
Les professeurs des écoles s'apprêtent donc à connaître une énième refonte des programmes. La troisième en dix ans, après celles de 2008 et de 2002. La quatrième si l'on remonte à 1995. Vincent Peillon avait donné le ton en février, en déclarant, en marge d'un déplacement à Tours : "Les programmes de 2008 ne sont pas les bons." Sur le terrain, on lui donne assez facilement raison. Trop lourds, trop chargés, trop techniques, trop "vieille école"... Les programmes en vigueur depuis cinq ans à l'école maternelle et élémentaire sont contestés sur la forme comme sur le fond.
DES VOIX S'ÉLÈVENT CONTRE L'ARCHITECTURE "TRADITIONNELLE" DES PROGRAMMES
On les dit impossibles à boucler en temps et en heure, d'autant qu'en 2008 la semaine des écoliers a été allégée, avec le samedi matin supprimé. "D'un côté, le temps consacré au français et aux mathématiques s'est alourdi ; de l'autre, on a chargé la barque en ajoutant de l'informatique, des langues vivantes, de l'histoire des arts, de l'instruction civique et morale, de la prévention routière...", rapporte Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp-FSU, le principal syndicat du primaire.
On leur reproche aussi d'avoir "primarisé" l'école maternelle ; autrement dit, d'avoir transformé la grande section en "petit" CP. L'entrée dans la lecture – à travers la phonologie – se fait aujourd'hui dès 4-5 ans, au détriment, selon certains, du vivre-ensemble, de l'apprentissage par le jeu ou de l'acquisition des règles de socialisation.
D'autres voix s'élèvent contre l'architecture dite "traditionnelle" de ces programmes, avec le retour d'heures dédiées à la grammaire, à la conjugaison, à l'apprentissage du lexique, au calcul... Un revirement par rapport à la logique antérieure. "En 2002, le principe était de décloisonner les disciplines, de ne pas cantonner l'apprentissage du français aux cours de français ou des mathématiques aux cours de mathématiques, explique Philippe Joutard, ancien recteur qui a participé à leur rédaction. En histoire, les élèves peuvent aussi apprendre à lire, à écrire, à partir de récits ; en géographie, ils peuvent faire des mathématiques en maniant des échelles de cartes."
"LE TEMPS DE L'ÉDUCATION EST UN TEMPS LONG, PAS CELUI DE LA POLITIQUE"
En 2002 toujours, les programmes de français avaient tourné le dos au "par coeur" et aux exercices répétés. "Dans toutes les disciplines, il s'agissait de faire de "l'observation réfléchie de la langue" : la tendance était de partir de textes pour poser un problème de grammaire, de vocabulaire ou de conjugaison", souligne Danièle Manesse, professeure en sciences du langage à l'université Paris-III.
Une approche ambitieuse, mais complexe à mettre en oeuvre pour les maîtres. "Elle supposait une capacité de réactivité et une grande maîtrise linguistique", poursuit l'universitaire. Les enseignants n'auront pas eu le temps de s'y faire. En 2008, les leçons d'orthographe, de grammaire... ont été réintroduites, avec des horaires et des objectifs bien définis.
Même revirement en mathématiques : "A l'évidence, les concepteurs des programmes de 2008 ont pensé qu'il fallait se remettre à faire apprendre par coeur les tables de multiplication aux enfants et à faire des exercices", note Rémi Brissiaud, maître de conférences en psychologie cognitive à l'institut universitaire de formation des maîtres de Versailles. En histoire, "on est revenu à la frise chronologique ponctuée de grands personnages : Clovis, Charlemagne, Jeanne d'Arc..., pointe l'historien Benoît Falaize. Une trame qui parle à tout le monde, qui correspond au sens commun de ce que doit être l'histoire."
Car c'était aussi cela la finalité des programmes de 2008 : rassurer l'opinion publique, sensible au slogan du "lire, écrire, compter", en redonnant de la lisibilité aux contenus d'enseignement. L'école avait-elle besoin de ce changement de cap ? Difficile d'en mesurer l'impact sur les résultats des écoliers. Une chose est sûre : ni les programmes de 2008, ni ceux de 2002 n'ont permis d'endiguer la chute du niveau, qui, selon les statistiques de l'éducation nationale, date de la fin des années 1980 en calcul, de la fin des années 1990 en lecture. Et pour cause, on ne leur a pas laissé suffisamment de temps pour faire leurs preuves.
"Le temps de l'éducation est un temps long, pas celui de la politique", observe Ostiane Mathon, enseignante de CM1. Pour elle, comme pour beaucoup de ces professeurs des écoles qu'on dit "chevronnés", ce ne sont pas les changements de programmes qui guident, en premier lieu, l'acte d'enseigner, mais bien les besoins des élèves. "Dans ma classe, ce sont les enfants qui définissent le programme. Chaque matin, c'est le même rituel : ils proposent les sujets, les activités. Ils sont aux commandes de leur trajectoire scolaire."
"LA MAJORITÉ DES COLLÈGUES CONNAISSENT LES PROGRAMMES... ET LES ADAPTENT"
Dans les pratiques quotidiennes, le pragmatisme l'emporte. Les enseignants disent dépasser les clivages théoriques. "Il ne s'agit pas de bannir le par coeur et l'entraînement, témoigne Dominique Deconinck, maître spécialisée. Le temps de l'entraînement a toute sa légitimité, à condition d'être placé au bon moment et toujours au service d'une finalité comprise par l'élève, pour qu'il puisse répondre à la question du "à quoi ça sert ?""
"La majorité des collègues connaissent les programmes... et les adaptent", rapporte Sylvain Grandserre, professeur de CM1 proche du mouvement des "désobéisseurs", opposé aux évaluations instaurées, elles aussi, en 2008, en CE1 et CM2, et qui ne sont plus obligatoires depuis 2012. "J'ai vingt ans d'ancienneté et je n'ai jamais vraiment appliqué un programme en entier. J'élague, j'élude...", dit-il.
Des programmes au service de situations réelles d'apprentissage : c'est ce qu'attendent les enseignants de la réflexion engagée rue de Grenelle. Celle-ci n'échappera toutefois pas au poids des idéologies, toujours présentes dans l'histoire des programmes scolaires.
Lire l'article : Une réforme de la maternelle au collège
- Aurélie Collas
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Ecole et rythmes scolaires 2013
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